Kanaëkhian, la fille du Nord [terminée]

Habituée à des climats très rudes, Naë ne craints pas le froid. En revanche, sa peau de porcelaine est très sensible au soleil. Ah ! Et malgré de longues années passées en Gwendalavir, elle conserve également un petit accent exotique lorsqu’elle parle – quand elle est énervée ou en colère, il lui arrive d’ailleurs de pousser de gros jurons dans sa langue natale, ce qui peut paraître un peu surprenant et impressionnant à la fois.

Au sein du camp d’été, installé au bord de la plage, de sa tribu natale : les Aokis. Quatre grandes tribus nomades peuplaient le Septentrion des Géants, cette contrée incessamment balayée et malmenée par des vents froids violents. Au fond, il n’existait pas pire comme endroit : les températures en été frisaient à peine une dizaine de degrés, mais en hiver elles pouvaient descendre très bas. Mais, arrivés sur cette terre bien avant la domination des Ts’liches, les hommes avaient su s’adapter à la rudesse de ce climat nordique.

Les Aokis avaient développés d’excellentes compétences en pêche et en navigation, c’est pourquoi leur quotidien était très tourné vers la mer, en été comme en hiver. Les Trisku étaient plutôt connus pour être de redoutables pisteurs : même au cœur de l’hiver le plus rude, ils étaient capables de traquer et débusquer une proie. Ils vivaient, eux, plutôt à l’intérieur des terres et peuplaient les forêts. Les Hedahe emmagasinaient une connaissance quasiment encyclopédique des plantes, et plus particulièrement des plantes médicinales, ce qui faisait d’eux de très bons guérisseurs. Globalement, ils peuplaient tout le territoire. Enfin, les Konekii travaillaient le minerai qu’ils extrayaient de la montagne. Forgerons hors pairs et guerriers dans l’âme, ils se retranchaient dans les montagnes au sud du Septentrion.  

Malgré quelques rivalités, les relations entre les différents clans restaient toujours relativement bonnes – ou, du moins, neutres. Ils commerçaient régulièrement entre eux, grâce au troc notamment qui leur permettait d’échanger savoirs, outils, vêtements, armes et alimentation. Ils s’expriment dans une langue différente de celle des Alaviriens, avec des sonorités plus brutes et gutturales. Même s’ils parvenaient tous à se comprendre, chaque tribu possédait son propre dialecte particulier.

Khia est plutôt fière de sa grande famille avec qui elle s’est toujours plutôt bien entendue.

Son père, Lehno, est le chef très respecté des Aokis. De longs cheveux blonds cendrés grisonnant, rasés sur les côté de son crâne façon undercut, l’homme en impose clairement malgré ses soixante ans bien passés. Ses grands yeux d’un gris clair presque argenté en disent très long sur les épreuves auxquelles il avait été confronté. Mais à chaque fois qu’il les pose sur sa fille, on peut y lire une tendresse infinie contrastant fortement avec leur sévérité habituelle. Le vieux chef avait une relation très fusionnelle avec sa fille avant que celle-ci ne parte vers d’autres contrées, portée le vent du nord. Il lui manque beaucoup !

Ohawee, sa mère, est originaire du clan Trisku. Les unions entre des membres de tribus différentes ne sont pas forcément monnaie courante mais existent tout de même et cela permet notamment d’intégrer de nouvelles connaissances dans le quotidien des différents clans. La femme d’une soixantaine d’années n’a rien perdu de sa vigueur d’antan et elle est toujours considérée comme l’une des meilleures pisteuses de tout le territoire du Septentrion des Géants. Khia lui ressemble beaucoup sur tous les points, et si les deux femmes s’entendaient bien, il leur arrivait de se disputer assez souvent.

Naë a également quatre frères, tous plus âgés qu’elle. Amarok est l’aîné de la fratrie mais aussi le plus sage d’entre eux. A trente-sept ans, il sera appelé à devenir chef du clan des Aokis à son tour, reprenant ainsi le rôle de son père avant lui. Du moins, il espère s’en montrer digne un jour. Kitaï était plus âgée que sa sœur de cinq ans. Il y a quelques années, alors qu’il allait pêcher en mer avec son équipage, il a disparu lors d’une tempête. Denali et Isha n’ont que peu d’années d’écart avec Khia et la jeune femme était donc naturellement plus proche d’eux que de ses deux autres frères. Tous les trois ensembles, ils parvenaient toujours à faire les pires bêtises. Khia les adore !

Ayana n’est pas de la famille de Kanaëkhian à proprement parler, mais c’est tout comme. En effet, c’est elle qui a formé qui Naë. Elle qui l’a poussé à se dépasser encore et encore. Elle qui a sculpté son corps, ses réflexes. Et modelé ses sens. Elle qui l’a ouvert au monde. Elle qui l’a vue évoluer et grandir sur la Voie. Naë fut la première apprentie d’Ayana Sil’Assan – et sans aucun doute la plus exceptionnelle dira-t-elle ! Elle se souviendra probablement toute sa vie de cette gamine un peu sauvage et complètement perdue qu’elle a prise sous son aile. Aujourd’hui, leur relation est semblable à celle qui unirait deux sœurs – ce qui est assez troublant en fait puisqu’on les prendrait facilement pour des sœurs étant donné leur ressemblance physique étonnante.

« Khia ? Elle vient vraiment d’un autre monde ! » - Jehan Quärk

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S’il y a bien une chose qui est sûre, c’est que Khia ne passe pas inaperçue. C’est vrai, ce n’est pas le genre de femme que l’on croise tous les jours ! Il faut dire qu’elle dégage une espèce de fraîcheur et une joie de vivre rayonnante, qui la rendent diablement attirante. Sa démarche féline, chaloupée et en même temps très terre à terre lui confère également une aura un peu sauvage, teintée d’une tranquille assurance.

Selon de nombreuses légendes Alaviriennes, le Septentrion des Géants serait peuplé… Eh bien ! De géants ! Et rien que d’y songer, ces histoires la faisaient toujours bien rigoler ! Mais même si la Marchombre aime particulièrement laisser planer le doute dans les prunelles des gens qu’elle rencontre, elle finira toujours par démentir sur toute la ligne ces récits fantastiques. Bon ! D’accord ! Elle est plutôt grande du haut de son mètre quatre-vingt-cinq. Mais parmi son peuple, c’est une taille moyenne chez les femmes. Les hommes, eux, peuvent facilement mesurer plus de deux mètres. Globalement, ces hommes et femmes du nord sont à peine plus impressionnants que les Thüls. On est donc bien loin du profil de ces monstres que leur prête parfois l’imaginaire Alavirien !

Naë est peut-être très grande mais elle reste fine et musclée. Son corps est littéralement sculpté par des années d’entraînements intensifs. Sans avoir des courbes particulièrement affolantes, elle arbore tout de même une jolie poitrine au charme très convaincant, mais aussi une belle paire de fesses, des hanches bien dessinées et de longues jambes interminables. Evidemment, la jeune femme sait user de ses atouts quand il le faut !

La Marchombre a beaucoup hérité de sa mère, notamment dans la finesse des traits de son visage. Son nez remonte légèrement en trompette tandis que sa fossette lui donne un air éternellement mutin. Ses pommettes hautes peuvent rosir légèrement au soleil. Mais ses deux grands yeux d’un bleu glacier lui confèrent littéralement un charme magnétique. Selon la lumière, ils oscillent entre des teintes plus turquoises ou bien carrément argentées. Ils brillent littéralement de milles éclats lorsqu’elle est heureuse ou, au contraire, s’assombrissent de nuages orageux lorsque quelque-chose la contrarie. Ce sont autant de raisons pour lesquelles son regard paraît aussi hypnotisant. Si hypnotisant qu’on aurait presque envie de s’y noyer.

Kanaëkhian possède également une épaisse crinière blonde qu’elle a parfois du mal à dompter. Ses cheveux sont si clairs que lorsqu’elle s’expose au soleil, certaines mèches deviennent carrément presque blanches. Rebelles et indisciplinés, ils cascadent librement dans son dos et tombent jusque dans le creux de ses reins. Elle en est très fière et prend souvent soin de les tresser minutieusement, bien plaqués contre son crâne, comme il est de coutume de le faire chez les Aokis. Ainsi, cela lui rappelle un petit peu la terre de son enfance, même s’il lui arrive parfois de laisser ses cheveux complètement détachés.

Côté vêtements, si Khia aime le confort elle accorde aussi une importance toute particulière à son apparence. Lorsqu’elle voyage, elle privilégie notamment de longs pantalons moulants dévoilant le galbe de ses jambes, ainsi qu’un corset de feutrine assorti à la couleur de ses yeux. En hiver, elle ajuste sa tenue avec une simple cape dans les tons gris argentés. Cependant, comme elle a souvent trop chaud, il lui arrive de se changer plusieurs fois dans une journée avant d’être vraiment à son aise. Et pendant les longs mois d’été, il n’est pas rare de la voir se balader quasiment dans son plus simple appareil. Heureusement qu’elle n’est pas vraiment pudique de ce côté-là.

« Ma fille est un esprit libre » - Ohawee Kwaekoanok

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En tant que fille de chef et ayant grandi entourée de quatre frères, tous plus âgés qu’elle, Kanaëkhian a un caractère bien trempé ! Quand elle était plus jeune, elle avait une tendance à être un peu garçon manquée sur les bords, mais c’est parce qu’elle adorait tout particulièrement imiter ses frères – c’était même son passe-temps favori ! Mais Naë a sa personnalité bien à elle : rayonnante et excentrique, elle aime attirer l’attention sur elle – elle y parvient toujours plutôt bien à vrai dire. Son éternelle joie de vivre et son énergie pétillante font d’elle une personne solaire. Du coup, elle attire très souvent la sympathie et la confiance de ceux qu’elle rencontre.

D’un naturel toujours joyeux, la jeune femme est également quelqu’un de très optimiste. Bien sûr, elle a ses propres problèmes et son histoire à elle, mais elle estime que pour avancer dans la vie, il faut voir le côté positif des choses. Parce que pour elle, la vie est une incroyable aventure et elle vaut le coup d’être vécue pleinement, peu importe les coups foireux qui peuvent bien arriver. Oh ! Jamais elle ne dit que c’est aussi simple mais elle considère juste que l’on ne peut pas refaire le passé. Que le futur est incertain. Et que seul le présent en vaut vraiment la chandelle ! Certes, c’est une vision un peu particulière du monde, mais elle a été élevée comme cela et cette éducation a beaucoup contribué à la forger en tant que personne. Et continue de la guider dans chacun de ses pas.  

Khia est très entière. Plus que cela même, elle est passionnée ! Et si une chose est sûre, c’est qu’elle ne fait pas les choses à moitié. Cela se traduit notamment dans ses choix qu’elle assume jusqu’au bout sans demi-mesure. Elle est ce qu’elle est, Marchombre, libre et fière. D’ailleurs, quand elle décide quelque-chose, la jeune femme peut se montrer particulièrement têtue et bornée. Lorsqu’elle a une idée en tête, elle ne l’a vraiment pas ailleurs ; mieux vaut alors ne pas essayer de la dissuader ou de la convaincre du contraire car l’on pourrait tout aussi bien s’adresser à un mur – voire même une muraille ! Un peu casse-cou sur les bords, Naë est capable de se jeter la tête la première dans les emmerdes pour ce qu’elle croit juste. Ou alors simplement parce qu’elle est contrariée.

D’ailleurs, lorsqu’elle est contrariée ou juste vexée, ou énervée, la Marchombre peut réagir de manière très impulsive. Il faut le dire comme c’est, elle n’a pas peur de régler les choses de la manière forte : une bonne droite, ça peut vite calmer un abruti ! Ou au contraire, la situation peut carrément dégénérer et c’est alors l’occasion pour Khia de se défouler un peu. Oh oui ! Elle aime la baston – et le fait qu’elle ait grandi avec quatre frères y est sans doute pour quelque-chose ! En revanche, si elle trouve quelqu’un idiot ou stupide, elle pourra se montrer d’une insolente désinvolture et agira à peine mieux qu’une gamine qui aurait la moitié de son âge.

Globalement, Kanaëkhian est quand même une jeune femme agréable et attachante, même si elle n’est pas facile à vivre tous les jours. Son caractère aventureux la pousse à voyager souvent. Elle aime ça : voyager, découvrir, cela apaise une soif de curiosité insatiable. Naë a toujours eu ce besoin de comprendre le monde qui l’entoure. Et puis, elle a ça dans le sang, cet amour des grands espaces sauvages et indomptables !

Ah ! Et une dernière chose : Khia est bien consciente de ses atouts physiques et n’hésite pas à s’en servir, ce qui la rend particulièrement désirable auprès de la gente masculine. Toutefois, si elle collectionne les conquêtes, elle n’est pas romantique pour deux sous ! D’ailleurs, elle a tellement peu d’empathie de ce côté-là que c’en est presque affligeant ! Mais bon, il ne faut désespérer de rien…  

Depuis quelques années, Khia voyage toujours en compagnie de son étalon, un puissant Suédois du Nord d’environ un mètre-soixante au garrot et à la magnifique robe noire. Elle l’a acquis suite à un pari et l’a appelé Loki. Il est aussi impétueux et imprévisible que sa maîtresse, ce qui explique sans doute pourquoi ils s’entendent si bien !

La jeune femme ne se sépare également jamais de deux petits poignards qu’elle glisse souvent dans chacune de ses bottes. Mais son arme de prédilection reste son arc, unique en Gwendalavir, puisque c’est sa mère qui lui en a fait cadeau avant qu’elle ne parte à l’aventure. Finement sculpté sur ses extrémités, il faut quand même une certaine force pour savoir le manier.

Khia avait les yeux rivés sur la barque funéraire qui s’éloignait lentement à l’horizon. Malgré le vent froid qui soufflait, balayant incessamment le sommet des falaises de granit, la mer était plutôt calme en ce jour sombre. C’était un peu comme si l’océan, habituellement déchaîné, paraissait se joindre au deuil qui secouait le clan des Aokis. Un grand homme s’était éteint, mais la jeune femme se souviendrait toute sa vie de son sourire bienveillant et de ses grands yeux gris clairs, qui brillaient de fierté lorsqu’il les posait sur elle. Elle avait mal ! Là. Juste à l’endroit du cœur. La mort si soudaine de son père causait un grand vide en elle. Se mordant la lèvre inférieure presque jusqu’au sang, Naë jeta un bref regard circulaire autour d’elle. Et croisa celui de son frère aîné, du même gris clair que Lehno.

Elle n’était pas arrivée à temps. Elle s’en voulait énormément pour cela – et elle le regretterait probablement pendant le restant de ses jours ! Elle avait pourtant bien reçu la missive d’Amarok quelques semaines plus tôt, qui précisait que le vieux chef était très malade et ne passerait peut-être pas l’hiver. Kanaëkhian n’avait alors pas hésité une seule seconde. Enfourchant immédiatement Loki, elle avait galopé à bride abattue ; elle avait sans doute traversé l’Empire puis le royaume Raï en un temps record. Toutefois, cela n’avait pas suffi et elle était arrivée trop tard. Le sang de la jeune femme s’était littéralement glacé dans ses veines lorsqu’elle avait aperçu au loin une foule imposante, amassée autour de la jürta du chef. Quelques murmures s’étaient élevés alors qu’elle fendait la masse des Aokis endeuillés. Naë s’était ensuite figée net ; sa mère était là, faisant face à son clan d’adoption, le visage fermé et solennel. Ohawee avait toujours été forte, mais lorsqu’elle avait croisé le regard de sa fille, elle avait secoué la tête avant de vaciller sous le coup du chagrin.

D’un simple signe de tête entendu, regard échangé avec Amarok, Denali et Isha, la Marchombre s’avança lentement vers le rebord de la falaise. Sous ses pieds, les vagues s’écrasaient avec violence sur les rochers près d’une soixantaine de mètres plus bas. D’ordinaire, elle aurait pris la peine d’admirer la beauté sauvage de l’océan, mais là, toute son attention était braquée sur la barque funéraire qui continuait de s’éloigner vers l’horizon. Instinctivement, la jeune femme resserra ses doigts autour de la poignée de son arc, à tel point que ses jointures blanchirent dangereusement. Attrapant une flèche dans son carquois, elle en trempa la pointe dans le feu qui crépitait doucement à sa gauche, avant de l’encocher. La Marchombre plissa un instant les yeux et prit le temps de laisser sa respiration se calmer naturellement. Et se caler sur les battements lents de son cœur. Alors seulement elle laissa filer sa flèche.

La barque où Lehno reposait désormais d’un sommeil éternel s’enflamma immédiatement. Il fallut un effort presque surhumain à Khia pour ne pas laisser couler ces larmes qui lui piquaient atrocement les yeux depuis de longues minutes. Reculant de quelques pas, la jeune femme laissa son frère et tout nouveau chef de la tribu s’avancer à son tour pour rendre un dernier hommage à celui qui avait été son père. Tous se prêtèrent au rituel, chacun leur tour, et la cérémonie s’acheva dans une triste litanie, avec une émotion clairement palpable.  

Cinq ans plus tôt

Ayana pouvait clairement sentir l’excitation grandissante de son apprentie. Cela faisait à peine deux jours qu’elles avaient pénétrés au cœur du Septentrion des Géants. Et pour l’instant, elles n’avaient croisé encore personne, mis à part un petit groupe de chasseurs Konekii. La rencontre avait été très fugace et les deux femmes avaient pu continuer leur route assez rapidement. Selon les calculs d’Ayana, moins de cinq jours de voyage les attendaient désormais. C’était le dernier périple qu’elles avaient entrepris toutes les deux, c’est pourquoi la maître marchombre voulait absolument qu’il soit exceptionnel. Mieux, inoubliable même !

Naë connaissait ces terres mieux que personne et elle prenait un plaisir évident à partager son savoir avec celle qui l’avait formée pendant trois longues années. Elle avait grandi à seulement quelques encablures de là où elle avait dressé leur camp, cette nuit-là. Elle retrouvait cette odeur iodée, pleine de fraîcheur, qui lui avait tant manqué. Oh ! Elle n’arrivait pas encore à croire qu’elle était partie aussi longtemps ! Avec un nœud dans la gorge, la jeune femme réalisa alors que sa famille lui avait beaucoup manqué. Aussi bien sa mère, avec qui elle s’était pris la tête plus d’une fois, que son père et ses trois grands frères. Kanaëkhian eut soudain une pensée pour Kitaï, qui avait disparu en mer peu avant ses seize ans. Peu avant qu’elle ne quitte le clan. Se mordant la lèvre inférieure, Khia secoua toute seule la tête avant de se racler la gorge.    

- « Alors ? » soupira la jeune femme d’un ton détaché tout en croquant avec appétit dans sa tranche de viande séchée « Qu’est que tu vas encore inventer pour me torturer pendant ces prochains jours ? » plaisanta-t-elle joyeusement.

Ayana perdit un instant son regard amusé dans les flammes crépitantes, qui réchauffaient imperceptiblement l’atmosphère. Son sourire s’élargit nettement, alors qu’elle plantait ses yeux noirs dans ceux de son apprentie. Et elle haussa les épaules le plus simplement du monde.

- « Eh bien je crois savoir que le camp d’été des Aokis ne se trouve qu’à quelques encablures d’ici » commença la maître Marchombre d’un ton très suggestif « Je me disais donc que leur rendre une petite visite pourrait se révéler très instructif… » acheva-t-elle, l’air de rien.

Ayana se mordit fortement l’intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire devant la mine surprise de Naë. La jeune femme ne s’y attendait pas du tout et sa réaction était donc d’autant plus drôle pour la Marchombre, qui paraissait toute fière que son annonce ait fait son petit effet. A travers les flammes qui dansaient devant elle, elle put lire dans les yeux de l’apprentie une lueur encore indéfinissable. Et qui faisait briller son regard d’un magnifique bleu glacier.

- « Instructif ? » gloussa Khia « On parle de toi ou de moi, là ? » demanda-t-elle d’un ton taquin.
- « Comme si tu avais encore à apprendre de moi ? » répliqua la femme aux cheveux sombres, entrant dans le petit jeu de son apprentie.
- « Si tu cherches à connaître quelques détails croustillants, tu risques fort d’être déçue ! » lança Kanaëkhian dans une joyeuse boutade.
- « Au contraire, je suis curieuse de rencontrer ta famille » affirma la maître Marchombre avec un sourire en coin « Je suis sûre qu’ils ont beaucoup de choses à raconter… »
- « Ah ! Ah ! Tu voudrais bien ! »




Cette fois, c’était vraiment la fin ! Devant elles, il n’y avait plus rien d’autre que l’océan en furie à perte de vue. Ces falaises se dressaient littéralement sur le bout du monde – si tant est que l’on puisse réellement atteindre le bout du monde. En tout cas, jamais encore Ayana n’avait voyagé aussi loin. Jamais elle n’avait fait d’aussi belles découvertes. Pendant ce périple à travers le Septentrion des Géants, elle avait rencontré un peuple dont elle n’aurait jamais imaginé l’existence. En quelques jours à peine, la maître Marchombre avait beaucoup appris sur les coutumes de ces hommes et femmes du nord. Des Aokis ! Cette tribu possédait un lien profond et étonnant avec la mer, pourtant sauvage et indomptable, sous ses froides latitudes. Ces gens, qu’elle admirait et respectait énormément, vivaient en communion avec une nature imprévisible.

Le vent s’engouffrait avec force dans ses cheveux sombres et semblait vouloir la déstabiliser. Mais la Marchombre resta de longues minutes, les bras croisés sous sa poitrine, admirant l’horizon. Près d’une centaine de mètres plus bas, elle pouvait voir une petite crique relativement protégée de la fureur de l’océan. Les yeux sombres d’Ayana brillèrent un instant et une idée germa dans son esprit. Complètement insensée ! Mais pas impossible ! Fouillant un instant dans sa sacoche de voyage, la Marchombre en sortit deux morceaux de corde. Pas très grands, mais cela serait suffisant pour l’usage qu’elle comptait en faire. Puis, elle se retourna pour faire face à son apprentie.

- « On va descendre ici » annonça-t-elle « Mais avant tu vas mettre ceci, autour de tes poignets et de tes chevilles » précisa la Marchombre en désignant les bouts de corde qu’elle tenait dans sa main.

Kanaëkhian eut un mouvement de recul clairement perceptible et son regard s’était assombrit d’un seul coup, devenant brusquement d’un gris argenté tempétueux. Ayana s’était attendue à cette réaction, parce qu’elle-même était passé par là avant son apprentie. Parce qu’elle avait été à sa place, un jour. Elle aussi confrontée à ces mêmes cordes. Mais elle avait très vite compris ; avec ou sans cordes, avec ou sans entraves, elle était libre. Libre et Marchombre ! Et c’était alors tout ce qui importait !

- « Svätte !  » jura Naë dans sa langue natale « Hors de question que je te laisse me mettre ces trucs-là » se rebella-t-elle.
- « Oh, détrompe-toi jeune fille » rétorqua Ayana d’une voix dénuée d’agressivité « Tu vas faire exactement ce je te dis »
- « Alors là, tu rêves ! » gronda Khia en adoptant une position clairement défensive « Je préfère encore me jeter en bas de ces falaises plutôt que de me laisser enchaîner ! »

Le maître et son apprentie se jaugèrent du regard pendant de longues minutes. La jeune Aoki était en colère, cela se voyait. Son regard, habituellement d’un bleu si pur, était devenu d’un gris tempétueux. Elle foudroyait Ayana des yeux qui, elle, souriait tranquillement. Oh, elle savait que cela énerverait encore plus son apprentie, mais elle s’en fichait pas mal puisque cela ne durait jamais très longtemps chez Khia – si elle était indéniablement plus têtue qu’une mule, elle n’était en revanche pas rancunière du tout et avait vite tendance à oublier sa colère. Lorsque la jolie blonde pinça finalement les lèvres d’un air contrarié, la Marchombre sut qu’elle avait gagné.

- « T’es qu’une tortionnaire ! » lâcha Kanaëkhian en tendant ses poignets devant elle.

Rejetant une mèche sombre par-dessus son épaule, Ayana entreprit d’attacher solidement les poignets de la jeune femme, qui pestait à voix basse. Probablement dans sa langue natale, car c’était instinctif chez elle. Puis, elle lui attacha aussi les chevilles, – assez fort pour limiter ses mouvements, mais pas trop non plus pour ne pas lui couper la circulation sanguine. S’approchant du rebord de la falaise de granit, Ayana apprécia un instant le vent qui s’engouffrait malicieusement dans ses cheveux et sifflait à ses oreilles. Jetant un bref coup d’œil à Naë, qui s’apprêtait à commencer sa longue et fastidieuse descente, la Marchombre s’élança dans le vide.




- « Jaä hadar dsig !  » hurla Kanaëkhian d’une voix rageuse.

Cela faisait au moins la dixième fois qu’elle dérapait sur cette satanée paroi ! Et peut-être la onze ou douzième fois que son cœur ratait un battement. Ses doigts en sang la faisaient terriblement souffrir ! Ses genoux étaient perclus de bleus à force de cogner contre la roche, à chaque fois qu’elle glissait sur le flanc de la falaise ! Sa nuque raidie la lançait horriblement ! Elle commençait à avoir des crampes dans les jambes et les bras ! Et il lui restait encore une bonne moitié de la paroi à descendre. Alors oui, elle pestait ; elle en avait marre, tout simplement ! Marre des lubies de son maître ! Marre de toujours devoir faire ce qu’elle lui demandait ! Marre d’être enchaînée ! Elle était libre bordel ! Un Marchombre était libre, non ? Alors pourquoi Ayana lui avait-elle imposé ces fichues cordes ?

Une pierre se désagrégea soudain sous ses pieds et, encore une fois, Khia se rattrapa de justesse en poussant un juron coloré. Hrejävlar  ! Son épaule droite protesta durement sous l’impact et la jeune Aoki grinça des dents pour juguler la douleur qui se répandait dans son bras. Le souffle court, les cheveux emmêlés par le vent du nord, là, au milieu de ces falaises les plus septentrionales de cette partie du continent, quelque-chose s’éclaira dans l’esprit de Naë. Clignant des yeux, elle coula un regard à Ayana qui descendait tranquillement, sans même se soucier d’elle. Parce qu’elle savait. Elle savait que Khia finirait par comprendre. Et elle venait de comprendre ! Elle ne tomberait plus jamais ! Enchaînée ou pas, elle était libre ! Libre et Marchombre ! Et rien ni personne ne pourrait lui enlever cela.

Retrouvant un regain d’énergie, la jeune femme puisa dans ses dernières forces, tout au fond d’elle et continua de descendre. Plus déterminée que jamais. Lorsqu’elle posa enfin les pieds sur le sable fin de la petite crique, malmenée par les assauts réguliers des vagues, elle plongea son regard d’un bleu glacier, si pur, dans celui de son maître. Les yeux noirs d’Ayana brillaient littéralement de fierté et de tendresse. Sans un mot, Khia laissa celle qui l’avait guidé pendant ces trois longues années défaire les liens qui retenaient ses poignets et ses chevilles entravés. Et lorsque sa voix s’éleva dans l’air, cela lui parut presque irréel.

- « Nos chemins se séparent ici » souffla Ayana, la gorge nouée par l’émotion « Il ne tient qu’à toi de voler de tes propres ailes maintenant… »

Léger clignement de paupières. Le temps que ces mots se fraient un chemin dans son esprit. Trois ans de souvenirs intenses défilaient dans sa tête, sous formes d’images fugaces et éclats de rires éphémères. Aujourd’hui, elle se trouvait au bout du monde, libre et Marchombre. Naë sentit son estomac se tordre un instant et sa gorge se nouer. Les longs voyages en compagnie d’Ayana allaient lui manquer horriblement, c’était certain ! Secouant la tête toute seule, la jeune femme fit soudain quelque-chose dont elle n’avait pas trop l’habitude : s’avançant vers la Marchombre, elle la prit dans ses bras et la serra. Fort. Aussi fort que l’amour qu’elle lui portait. Rompant la première cet échange silencieux et presque cérémonieux, la jolie blonde fit volte-face pour s’éloigner tranquillement le long de la plage. Une plage du bout du monde. Lorsqu’elle jeta un dernier coup d’œil par-dessus son épaule, Ayana n’était déjà plus là. Alors, elle sourit et laissa échapper un murmure, emporté par le vent.

- « Merci »




Se glissant dans la jürta du chef, Kanaëkhian sentit son cœur se serrer douloureusement. Là, au centre de la grande tente circulaire, Amarok se tenait face à elle. Pendant l’espace de quelques secondes, elle crut revoir son père et songea que décidément, son frère aîné lui ressemblait beaucoup. Vraiment beaucoup ! La jeune femme sentit une brusque vague de nostalgie l’envahir, mais elle se força à sourire doucement alors qu’elle croisait le regard d’Amarok, d’un même gris clair que celui de Lehno. Son frère affichait un air affreusement solennel et semblait particulièrement nerveux. Naë entreprit de le rassurer.

- « Tu as fière allure » murmura-t-elle, en appréciant les sonorités un peu gutturales de sa langue natale.

Amarok eut un pauvre sourire, avant de recommencer à faire les cent pas. Toute sa vie, il avait été préparé à cela. A ce jour où il deviendrait chef des Aokis à son tour, comme son père avant lui. Mais Khia le connaissait assez bien pour savoir qu’il avait un peu trop tendance à se remettre en question. A douter de lui-même. Il avait l’étoffe d’un chef juste et droit, il avait été élevé comme cela et avait appris à penser au bien de son peuple avant toute chose. Il se mettait beaucoup trop de pression, mais c’était aussi un peu dans sa nature. Secouant toute seule la tête, la jeune Marchombre s’avança lentement au centre de la jürta et posa doucement la main sur l’épaule de son grand frère.

- « Je ne suis pas sûr de pouvoir faire ça… » soupira Amarok, d’une voix un peu triste.
- « Cesse un peu de douter de toi ! » s’exclama Khia d’un ton mi-figue, mi-raisin, en assénant une petite tape sur l’épaule de son frère « Tu feras un très bon chef, j’en suis certaine ! »
- « Si seulement Papa pouvait être là... »
- « Mais il est là. Juste ici » affirma Naë avec douceur, en posant sa main sur la poitrine de son frère, juste à l’endroit du cœur.

Souriant légèrement, malgré ses yeux embués de larmes, Amarok saisit sa jeune sœur par la taille pour l’attirer à lui. Comme un enfant, il se blottit contre elle et enfouit sa tête dans ses cheveux. Elle sentait bon. Sa chaleur le rassurait sans doute mieux que n’aurait su le faire Ohawee, qui voyait plutôt les choses de manière pragmatique. La Marchombre enroula ses bras autour de la nuque de son frère en lui caressant doucement les cheveux. Au bout de longues minutes de silence, la jeune femme rompit finalement le contact et s’éloigna d’un pas. Gardant une main sur l’épaule d’Amarok, elle soupira un instant.

- « Allez, il est temps » annonça Naë avec entrain « Aujourd’hui est un grand jour. C’est ton jour… » ajouta-t-elle dans un murmure.

Aujourd’hui, Amarok allait officiellement devenir le chef des Aokis !

Quatorze ans plus tôt

Aujourd’hui, Kanaëkhian allait officiellement devenir une adulte !

La fille du chef des Aokis venait tout juste de fêter ses seize ans et tout le village vibrait littéralement à mesure que les festivités approchaient. Qu’un jeune entre dans l’âge adulte était toujours l’occasion de cérémonies grandioses pour la tribu, mais là, il s’agissait de la fille du chef alors il y aurait une fête particulièrement mémorable qui durerait probablement une bonne partie de la nuit. Comme le voulait la tradition, Khia avait revêtu une longue robe blanche, qu’elle avait ajustée d’une ceinture de cuir à la taille. Elle devait aussi compléter sa tenue avec une cape de fourrures car l’hiver était toujours particulièrement rude dans ces contrées. Alors qu’elle coiffait les longs cheveux de sa fille avec minutie, Ohawee pouvait clairement sentir sa nervosité. La femme du chef fronça un instant les sourcils, puis haussa simplement les épaules.

- « Ne t’en fais pas » soupira-t-elle d’un ton qui se voulait rassurant « Tu es parfaite ma chérie »
- « Je sais, je sais » balbutia Naë entre ses dents.
- « De quoi t’inquiètes-tu alors ? » demanda Ohawee, qui, loin d’être dupe, savait pertinemment que quelque-chose clochait.
- « Je veux voyager Maman ! » annonça Khia avec aplomb, sentant d’un seul coup ses épaules se libérer.

Ohawee sourit doucement. Oh, mais elle n’avait pas besoin de se mettre dans cet état-là. Entreprendre l’Aljä  était une sorte de rituel par lequel passaient tous les jeunes de son âge. C’était un peu une manière de se prouver que l’on est capable de subvenir à ses propres besoins. Et de montrer que l’on a sa place dans la société. Elle-même avait fait l’Aljä dès qu’elle avait eu seize ans révolus. Lorsque l’on était isolé dans la nature, surtout en plein hiver, l’Aljä revêtait un sens à la fois initiatique et fortement symbolique. Soudainement emplie d’une fierté immense, Ohawee se racla la gorge doucement.

- « Eh bien je ne vois pas pourquoi tu t’inquiètes autant. L’Aljä sera très enrichissant pour toi, ma fille » dit-elle d’une voix calme.
- « Non Maman ! » répliqua la jeune fille avec une pointe d’agacement « Je ne veux pas faire l’Aljä, je veux juste voyager » précisa-t-elle d’un ton sans équivoque.

Haussant un sourcil inquisiteur, Ohawee se massa les tempes pendant de longues secondes. Combien de fois s’étaient-elles disputées à ce sujet ? Elle ne comptait même plus ! Mais malgré les assauts insistants de Khia, elle restait catégorique : personne ne savait réellement ce qu’il y avait par-delà le Septentrion, et mieux valait ne pas s’y aventurer. Parce que selon d’anciennes légendes, les terres qui s’étendaient au sud du Septentrion des Géants n’étaient que mort et désolation. C’était bien trop dangereux pour qu’elle laisse sa fille s’y aventurer, sans qu’elle n’ait son mot à redire.

- « Je croyais qu’on en avait déjà parlé ? » gronda la femme du chef.
- « Oui, mais tu ne m’as jamais écouté ! » rétorqua Khia du même ton.
- « Tu ne peux pas aller au-delà des frontières du Septentrion, c’est beaucoup trop dangereux ! » cria Ohawee, d’une voix peut-être un peu trop aigue.
- « Tu ne peux pas me retenir ici indéfiniment ! Je ne suis plus une petite fille de toute façon ! » répliqua Kanaëkhian en haussant la voix à son tour.

La gifle avait fusée, sans prévenir. Naë eut un hoquet de surprise et, incroyablement vexée, elle pinça les lèvres dans une moue contrariée. Sa joue la brûlait mais c’était son ego qui avait pris le coup en réalité. Des larmes de rages emplissaient les yeux de la jeune fille. De toute façon, son choix était fait : que sa mère le veuille ou non, elle partirait. Elle irait découvrir le monde par-delà leurs frontières. Par-delà le Royaume Raï. C’était comme cela qu’elle le sentait. Elle irait au bout du monde pour satisfaire sa soif de curiosité.




Kanaëkhian se tenait au centre du large cercle formé par le reste du clan, qui avait entonné une litanie envoûtante. Dena, la vieille chamane, s’approchait à pas lents. Oh, elle n’était pas bien grande, mais elle en imposait clairement, même si sa démarche se faisait de plus en plus claudicante. Elle était la seule capable de communiquer avec les ancêtres, le clan la respectait beaucoup pour cela. Le bâton sur lequel elle prenait appui n’était pas un simple bâton ; tout le monde le savait, il lui permettait de canaliser la magie des esprits et de pouvoir communiquer avec eux. Ainsi qu’avec les grands ancêtres du clan. Aux côtés de la vieille femme, Lehno avançait d’un air solennel. Il tenait dans ses bras une brebis, qui restait étrangement docile.

Le chef posa l’animal devant sa fille. Il croisa un instant son regard bleu glacier et sourit fièrement, avant de reculer de quelques pas. Sortant un long couteau de sa ceinture, Dena le présenta solennellement à Khia. La jeune fille déglutit avec difficulté et s’empara de l’arme d’une main tremblante. Son cœur cognait si fort dans sa poitrine qu’elle avait l’impression qu’il pourrait lui briser une ou deux côtes au passage. Le chant sacré entonné par le clan devint de plus en plus rythmé. Naë souffla longuement, se contraignant à garder son calme. Puis, elle s’avança vers l’animal. S’agenouilla. Prononça quelques mots quasiment inaudibles. Et égorgea la brebis, qui n’eut même pas le temps d’être effrayée par le sort qui l’attendait.

Alors que le sang de l’animal coulait à flot, inondant le sol à ses pieds et tâchant le bas de sa robe blanche, la litanie s’arrêta subitement. La vieille magicienne se baissa doucement, prenant garde à ne pas bloquer ses articulations sensibles, et trempa deux doigts dans le sang de la brebis sacrifiée. La jeune fille croisa un instant le regard de Dena, qui souriait tranquillement. Soupirant imperceptiblement, elle releva fièrement le menton et laissa la vieille chamane passer ses doigts sur son visage, glisser le long de son nez, puis descendre sur ses lèvres et son menton. Elle devait avoir l’air d’une parfaite sauvageonne maintenant, avec le visage peinturluré de sang animal.

- « Jeune Kanaëkhian, aujourd’hui tu quittes le monde de l’enfance pour entrer dans celui des adultes » annonça Dena d’une forte et claire « Les esprits m’ont longuement parlé, pour me révéler ton totem. Totem qui t’accompagnera, te protègera et te guidera toute ta vie »

Sortant un petit paquet de la sacoche qu’elle portait toujours à sa ceinture, la vieille femme le présenta à Khia. Le cœur de la jeune fille battait la chamade dans sa poitrine. Elle avait imaginé des centaines de possibilités pour son animal totem, mais ce soir, elle saurait enfin ! Fébrile, elle écarta les bouts de tissus pour découvrir une dent. Mais pas n’importe quelle dent ! Une grosse dent, plus tranchante qu’un poignard bien affuté. Naë cligna plusieurs fois des paupières, l’air interdit. Quoi ? Le hajj  ? S’il avait l’air parfaitement effrayant avec sa forme fuselé, ses dents acérées et son appétit féroce, le hajj symbolisait la sagesse dans leur clan. Mille questions se bousculaient sous le crâne de Naë, qui passa son totem autour de sa nuque.

Elle ? Guidée par la sagesse ? Cela devait être une bonne blague !




La jeune Marchombre effleura son totem du bout des doigts. Elle affichait un air songeur que Dena avait évidemment remarqué. Khia était venue trouver la vieille femme, qui avait immédiatement remarqué la lueur grave dans ses magnifiques yeux bleus. Elle avait longuement réfléchi, et était restée réveillée toute la nuit à se demander si elle prenait réellement la bonne décision. Après tout, c’était son corps, non ? Et elle ne se sentait pas du tout prête pour ça. Ça, c’était en l’occurrence cette toute petite chose qui grandissait dans le creux de son ventre depuis quelques semaines à peine. Naë s’en était rendue compte quelques jours plus tôt, juste après les funérailles de son père. Autant dire qu’elle n’avait donc pas eu les idées très claires ces derniers jours, mais à présent qu’elle avait pris un peu de temps pour réfléchir, elle en était certain.

Après tout, Jehan Quärk était un Envoleur. Certes, diablement sexy, mais Envoleur tout de même. Et elle, Marchombre. Ils n’étaient pas censés du tout faire ami-ami ! En plus, ils s’étaient entendus de la sorte : ils ne seraient rien d’autres que des amis de sexe. Cela allait très bien à Kanaëkhian, qui refusait littéralement de se laisser enchaîner dans une relation amoureuse quelconque. Tout cela – l’amour – était bien trop niais et compliqué pour elle ! Alors avoir un enfant ? Rien que d’y songer, cela lui donnait de l’urticaire. Mais bon, ce n’était pas à prendre à la légère tout de même. Un enfant, c’était quand même une vie. C’était une vie qu’elle comptait supprimer aujourd’hui. C’était un morceau d’elle-même qu’elle tuerait et elle ne savait pas quel impact cela aurait sur elle, alors qu’elle était déjà psychologiquement fragile depuis la mort de Lehno.

- « Qu’est-ce qui t’amène mon enfant ? » soupira Dena en rompant le silence la première.

Khia papillonna un instant des paupières. Dans la jürta de la chamane, tout un tas de babioles pendaient et donnaient une dimension un peu mystique à l’endroit. Voire même magique. Posant ses mains sur ses genoux, croisés en tailleur, la jeune femme releva légèrement le menton pour planter son regard brillant dans celui de la vieille magicienne.

- « Tu le sais… » répondit Khia en haussant simplement les épaules « Rien ne t’échappe jamais ! » ajouta-t-elle dans un sourire alambiqué.

Dena ne bougea pas et se contenta de dévisager Kanaëkhian d’un air sombre, pendant de longues secondes. Au bout d’un moment, elle finit par émettre un petit claquement de langue désapprobateur.

- « Es-tu vraiment sûre de vouloir faire ça ? » demanda-t-elle d’une voix grave.
- « Certaine ! Je ne suis définitivement pas prête pour un gosse ! » affirma Naë sans même sourciller.

Se redressant difficilement à l’aide de son bâton, la vieille femme ouvrit un large coffre en bois usé et dû se pencher littéralement, disparaissant presque à l’intérieur de la malle, pour y trouver une petite fiole qu’elle brandit devant elle. Le liquide ressemblait à une espèce de truc gélatineux qui ne disait absolument rien de bon à Khia, qui eut une grimace de dégoût. La fiole dans la main, la jeune femme observait la gélatine d’un vert sombre, le même que ces algues gluantes que l’océan rejetait parfois sur les plages de cette contrée. D’un seul coup, elle n’était plus si sûre de vouloir avaler ce machin-là ! Mais rien que de songer aux cris et aux couches, elle retrouva toute sa détermination et avala d’un trait la potion. Cela avait un goût absolument infâme et la Marchombre releva les yeux vers Dena en pinçant les lèvres de dégoût.

- « Bon, maintenant, il va falloir l’expulser ce fœtus et crois-moi, ça ne va pas être agréable ! » annonça la vieille femme en retroussant ses manches.

Huit ans plus tôt

C’était tout à fait par hasard que Kanaëkhian avait croisé la route de Gunnar et Hanank. Elle n’avait plus rien à voir avec la gamine un peu farouche et sauvage qu’ils avaient sauvé des Raï quelques années plus tôt. Oh, elle n’avait pas spécialement changé physiquement – quoi que, elle semblait avoir gagné en assurance – mais elle avait gagné en maturité. Et un tout petit peu en sagesse aussi, peut-être, même si, au fond, elle restait quand même une gamine têtue et bornée ! La jeune fille avait décidé de faire le trajet avec eux jusqu’à la Citadelle, où ils devaient normalement vendre leurs chiots – oui, leur élevage de chiens de chasse prospérait jusque dans la fameuse Citadelle des Frontaliers. Si les deux Thüls n’étaient pas nécessairement ravis d’y mettre les pieds, ils songeaient avant tout à leur commerce. Aussi avaient-ils décidé de mettre leur inimitié pour les Frontaliers de côté.

- « Alors, gamine, raconte un peu. Qu’est-ce qui t’amène dans le coin ? » sourit Hanank en frottant ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer.

Le chaud crépitait joyeusement et réchauffait imperceptiblement l’atmosphère. L’hiver pouvait être rude dans cette partie de l’Empire – mais pas autant que chez elle ! Khia, elle, n’avait pas froid le moins du monde. La neige tombait à gros flocons depuis plusieurs heures mais elle était à peine plus habillée que s’il eut fait aussi bon qu’un beau jour de printemps ! Enfin, cela n’étonnait même plus les deux Thüls, qui avaient été habitués à vivre avec cette drôle de fille pendant quelques temps.

- « Je venais d’achever une mission pas trop mal payée pour un noble du coin quand je suis tombée sur vous deux » expliqua Naë en haussant les épaules.

Gunnar éclata d’un rire joyeux. Un rire qui avait beaucoup manqué à la jeune fille, il fallait bien l’avouer ! Elle était vraiment contente de retrouver ses deux amis et elle appréciait toujours autant leur espièglerie naturelle. Elle avait beaucoup voyagé ces dernières années, avait rencontré des gens fabuleux, s’était forgé sa propre vision du monde. Mais de tous les peuples qu’elle avait côtoyé, c’était vraiment les Thüls qu’elle préférait. Peut-être était en raison de leur manière de vivre étrangement proche de la vie en clan des Aokis ? Ou alors à cause de leur trivialité, qui faisait d’eux de joyeux compagnons de route ? Elle ne savait pas trop.

- « Et as-tu trouvé ce que tu cherchais ? » la taquina de nouveau Hanank.
- « Ca dépend ! » répondit Khia avec un sourire alambiqué sur le coin des lèvres.

Silencieux, Gunnar suivit leur joute verbale d’une oreille attentive. Cela dura encore un moment, comme d’habitude en fait ! Un sourire distrait flottait sur ses lèvres tandis qu’il sculptait une petite statuette dans un morceau de bois, avec son couteau de voyage. Si une chose était certaine, c’était que ces quelques jours ne s’annonçaient pas de tout repos avec ces deux-là !




Il n’y avait pas beaucoup d’auberges chez les Frontaliers, c’était certain ! Mais le Toit des combats restait sans doute l’une des meilleures de toute la cité. Si ce n’était de tout l’Empire ! Des voyageurs en tous genres faisaient étapes dans cet établissement chaque nuit. Il y régnait une ambiance bonne-enfant : la musique battait son plein, l’alcool coulait à flot, quelques hommes jouaient aux cartes tandis que des filles dansaient au milieu de la pièce, décomplexées au possible. Kanaëkhian jeta un bref coup d’œil par-dessus son épaule ; elle avait terriblement envie d’aller danser, elle aussi ! La musique rythmée faisait battre son cœur un peu plus fort dans sa poitrine et la réchauffait agréablement. Elle n’avait qu’à fermer les yeux et se laisser aller, non ?

La jeune fille se retourna brusquement alors que Gunnar posait une main sur son épaule. Avec un grand sourire lui tendit un nouveau verre, rempli d’un liquide ambré. Trinquant avec son ami, Khia bu une longue gorgée de bière. Elle devait bien en être à sa quatrième ou cinquième pinte et elle sentait bien qu’elle n’avait plus les idées très claires. Une dispute éclata soudain à l’autre bout de la pièce. Les deux comparses tournèrent la tête en direction du bruit, avant d’échanger un regard moitié amusé, moitié dépité en voyant Hanank se jeter un type deux fois moins costaud que lui.

- « Sale tricheur ! » vociféra-t-il, visiblement très en colère.

En moins de deux secondes, la dispute vira carrément à la bagarre générale. Des chaises se mirent à valser à travers la pièce ! Des bouteilles aussi ! Et tout un tas d’autres objets ! C’était une vraie pagaille ! Toutefois, il fallut encore moins de temps que cela pour Naë et Gunnar s’élancent à leur tour, à la rescousse de leur ami. Avec une farouche détermination, la jeune fille glissa sous la garde d’un premier homme avant de le cueillir d’un fabuleux coup de poing sous le menton. Evitant de justesse un coup, qui lui aurait littéralement coupé le souffle, Khia virevolta sur elle-même dans un réflexe surprenant pour prendre son adversaire à revers. La jeune Aoki remercia intérieurement la Dame et son Dragon d’avoir grandi avec quatre frères. Parce qu’en plus de son éducation particulière, son expérience lui avait appris à anticiper les gestes de ses adversaires. Cela faisait d’elle une bonne combattante, vraiment ! Mais pas assez pour éviter le poing qui fusa brusquement sur sa pommette droite…




Les gardes Frontaliers, attirés par le bruit qui déchirait le silence de la nuit depuis l’autre bout de la Citadelle, avaient finalement débarqué et fichu tous les fauteurs de trouble dehors, à grands renforts de coup de pieds aux fesses ! La joue de Kanaëkhian la lançait douloureusement, mais en réalité elle était bien plus vexée qu’autre chose. Se relevant, non sans quelques difficultés, la jeune fille tituba un instant avant de retrouver complètement son équilibre. Gunnar et Hanank se relevèrent, eux aussi, en grognant de douleur. Evidemment, comme ils étaient Thüls, les Frontaliers n’avaient pas cherché à savoir qui avait déclenché la bagarre. Ils avaient jetés les trois comparses sur les pavés enneigés comme des malpropres.

Se passant une main sur le visage pour reprendre un minimum de contenance, Khia se figea soudain, tandis que les deux géants s’époussetaient comme si de rien n’était. Elle avait la désagréable impression de se sentir observée. C’était quelque-chose, là, dans son instinct le plus profond, le plus primal, qui le lui soufflait. Déglutissant avec difficulté, la jeune fille sonda l’obscurité autour d’elle, mais ne perçut aucun mouvement. Rien ne bougeait, là, dehors. La seule agitation qui persistait, était celle qui régnait joyeusement à l’intérieur du Toit des combats. Ses deux amis ne semblaient avoir rien remarqué du tout, aussi la jeune Aoki jeta elle un dernier coup d’œil par-dessus son épaule avant d’hausser simplement les épaules.

- « Ces Frontaliers alors ! Quelle bande de troubles fête ! » bougonna Hanank d’un air boudeur.
- « Mouais, mais si t’avais pas cherché les ennuis, on en serait pas là hein ! » grinça Gunnar, visiblement énervé « Maintenant on a plus qu’à repartir ! »
- « Tu plaisante ? Ce sale tricheur a tenté de m’arnaquer ! » rétorqua son comparse en haussant la voix imperceptiblement.

Secouant la tête toute seule, Naë soupira et finit par intervenir avant que les deux Thüls n’en viennent aux mains. Ils étaient vraiment incorrigibles ces deux-là : ces deux cousins avaient pratiquement grandi ensembles. Autant ils s’adoraient, autant ils étaient capables de régler leurs désaccords à grands de poings dans la figure. Se glissant entre les deux hommes, la jeune fille les toisa un instant de toute sa hauteur – oh, elle n’était nullement impressionnée par les deux géants, vu qu’elle était pratiquement aussi grande qu’eux.

- « Les gars… » soupira-t-elle en posant une main sur leur torse pour les forcer à reculer de quelques pas « Vous croyez vraiment que c’est le moment ? » ajouta-t-elle d’un ton désapprobateur.
- « Ouais, t’as raison. Allons-y » approuva Gunnar, sans plus tergiverser.
- « Partez devant, je vous rejoins » objecta toutefois Khia.
- « Mais… »

D’un signe du menton, elle incita ses deux amis à partir. Hanank et Gunnar échangèrent un regard un bref instant, avant de se retourner et s’éloigner sans plus insister. La jeune fille attendit que les deux Thüls soient suffisamment loin pour se retourner et sonder à nouveau l’obscurité de la nuit. Il y avait quelqu’un, là. Elle en était sûre cette fois-ci ! Hrejävlar ! Khia jura entre ses dents en adoptant une position clairement défensive.

- « C’était impressionnant, vraiment ! » fit soudain une voix d’un calme étonnant.

Au même moment, la jeune Aoki aperçut une silhouette se dessiner doucement à la lumière chiche des torches. Une femme apparemment, parvint-elle à distinguer en plissant les yeux. Et une femme qui, même dans la pénombre, dégageait une espèce d’aura puissante, entre force tranquille et sérénité. Méfiante, Kanaëkhian recula d’un pas, sans quitter la femme des yeux.

- « Qu’est-ce que tu veux ? » demanda la jeune fille, sans détour, d’un ton agressif.
- « Toi… » murmura la femme encapuchonnée.

Les yeux de Khia s’agrandirent imperceptiblement sous la surprise.

- « Comment ça ? »
- « As-tu déjà entendu parler des Marchombres ? » demanda l’inconnue avec douceur, comme si elle discutait simplement de la pluie et du beau temps.
- « Non » souffla Naë.

Non ! Elle n’avait jamais entendu ce mot auparavant. Marchombre ! Et pourtant elle avait déjà arpenté une bonne partie de l’Empire. Marchombre ; ce mot venait d’éveiller sa curiosité. Une curiosité sans limite. Comment un seul mot pouvait-il provoquer ces sensations qui traversaient son corps tout entier, comme un champ électrique ? Oh, Naë le comprit bien plus tard : ce n’est pas un simple mot, c’était un appel ! Un appel à une liberté totale ! Sans trop savoir pourquoi, elle ne rejoignit pas ses deux compagnons de route, cette nuit-là. Son instinct et sa soif de curiosité avaient été plus forts que sa méfiance et l’avaient poussée à suivre la femme. Sa rencontre avec Ayana marquait un tournant décisif dans sa vie.





Ayana s’était adressée ainsi à Kanaëkhian et cela resta gravé à jamais au fond de sa mémoire. Comme une promesse de liberté et de découvertes, ancrée tout au fond d’elle. La jeune Aoki n’oublia jamais non plus la première fois que son maître avait posé ses grands yeux noirs, extrêmement sérieux, sur elle, qui n’était alors qu’une jeune fille entêtée et insouciante. Bon d’accord, elle était toujours aussi têtue, mais quand même, depuis elle avait fait un sacré bout de chemin.




- « Tu dois vraiment repartir ? » demanda Isha en lui adressant un regard presque suppliant.
- « C’est vrai quoi ! Tu n’es pas restée longtemps, ne nous force pas à te ligoter… » renchérit Denali avec une pointe d’humour, mais lui non plus ne voulait pas voir repartir sa sœur si tôt.

Kanaëkhian secoua doucement la tête, un sourire amusé sur les lèvres. Cela lui avait profondément fait du bien de revenir chez elle, après tant d’années d’absence. Mais elle sentait bien que ces derniers jours l’avaient sérieusement ébranlée. Elle avait besoin de reprendre la route, cela l’aiderait à penser à autre chose qu’à son père. Et à cette petite chose à qui elle n’avait pas laissé la chance de vivre. Tout le clan se montrait si compatissant envers elle, sa mère et ses frères. C’était bien cela le problème pour la Marchombre : elle n’avait pas besoin de compassion, mais plutôt d’action. Elle voulait courir longtemps. Loin. Jusqu’à littéralement n’en plus pouvoir ! Elle se jetterait bien aussi au-devant d’une horde de Raï juste pour le plaisir de pouvoir cogner sur quelque-chose, et laisser libre cours à sa hargne. A sa tristesse. Ou pourquoi ne pas retrouver ses amis et se saouler toute une nuit, juste pour oublier ces quelques jours ? Et faire l’amour comme une sauvage avec un parfait inconnu, jusqu’à l’épuisement ? Toutes ces idées lui avaient traversé la tête à un moment ou à un autre. Toutefois, elle ne ferait rien de tout cela. Elle avait fait son choix.

Nurosir Elonwiel était l’un des plus vieux membres de la Guilde et il siégeait au Conseil depuis de nombreuses années maintenant. Si ses cheveux blancs trahissaient son âge, il n’avait toutefois rien perdu de sa vigueur d’antan. Il était venu la trouver, quelques semaines plus tôt et ils avaient longuement discuté tous les deux. Ses mots résonnaient encore dans l’esprit de Khia et si elle s’était d’abord montrée un peu hésitante – voire même sceptique – à l’idée de prendre des apprentis, ces derniers jours avec les siens lui avait permis de réfléchir sérieusement à cette proposition. Et elle était prête à tenter l’aventure, parce qu’elle avait cette envie, au fond d’elle de transmettre. Elle l’avait d’abord sentie ténue et fragile, mais elle devenait grandissante. Alors c’était pour cela aussi qu’elle partait : parce que des apprentis l’attendaient et qu’elle voulait leur montrer le monde.

La jeune femme sourit un instant avant d’asséner un petit coup de poing affectueux dans l’épaule de ses deux frères. Qui se jetèrent littéralement sur elle, pour lui frotter le haut du crâne, non sans une certaine émotion. Rompant la première cet échange, Khia recula d’un pas et observa un instant Denali et Isha avec un sourire complice. Puis, elle se hissa souplement sur sa scelle, tandis que Loki piaffa d’impatience. Dans le regard bleu glacier de la Marchombre brillait une promesse – celle de revenir avant de laisser s’échapper autant d’années. Elle cella cette promesse en un bref clin d’œil, avant de soupirer doucement.

- « Il faut vraiment que j’y aille cette fois ! » sourit-elle.

Avec un dernier regard pour son clan, Naë lança son puissant étalon à pleine vitesse. Le vent du nord s’engouffra soudain dans ses cheveux, les emmêlant encore plus qu’ils ne l’étaient déjà. La jeune femme apprécia la fraîcheur des embruns sur son visage. Un long voyage l’attendait, elle le savait, mais cela signifiait aussi le début d’une belle aventure ! Qui commencerait à l’Académie…

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Jürta - Yourte, tente dans lesquelles vivent les Aokis
Svätte - Putain
Jaä hadar dsig ! - Je te déteste !
Hrejävlar - Bordel de merde
Aljä - Le Voyage, dans un sens initiatique
Hajj - Requin