Groupe Maizel - cours n°3

Syndrell éclata de rire. Apprendre à voler en ratant le sol ? C'était une suggestion qui lui plaisait, nom de nom ! Narek avait cette façon si particulière de voir les choses et le monde qu'elle appréciait réellement. Elle pensa au Conseil, à ses questions qui, lors de la présentation, exigeaient des répondes spontanées. Le naturel, chez Narek, était rafraîchissant.

Elle se raidit néanmoins lorsque, pour mettre son idée en pratique, son effronté d'élève lâcha prise sur quelques mètres. Et lâcha prise aussi. Il se rattrapa juste avant qu'elle le fasse pour lui et si elle saluait son réflexe, elle maudissait aussi son audace qui passait parfois – souvent – pour un trait de folie.

- Espèce de... d'idiot sans cervelle ! râla-t-elle pour la forme, le cœur encore battant. Ne pas rater le sol n'est pas à la portée de tout le monde : si tu t'étais écrasé en bas, comme une crêpe, tu aurais moins fait le malin !

La crêpe remontait déjà, le souffle court, pleine de détermination. Syndrell le laissa à nouveau passer devant et, cette fois-ci, elle se plaça juste à côté de lui. Si jamais l'envie le reprenait de tenter une expérience complètement folle au-dessus du vide, elle était prête à s'envoler pour l'empêcher de basculer. De tomber réellement.

Le sommet, ils l'atteignirent une quinzaine de minutes plus tard, sans autre incident heureusement. Narek se hissa d'abord et Syndrell l'imita quelques secondes plus tard. Assis côte à côté, ils reprirent leur souffle en regardant la ville.

Al-Poll scintillait dans la nuit. Elle était loin d'avoir le charme d'Al-Chen et la taille d'Al-Jeit mais, ainsi nichée dans la falaise et toute en hauteur, elle donnait l'impression qu'une myriade de petites lucioles dévalaient la pente en cascade joyeuse et lumineuse. Quelques cheminées laissaient échapper un mince volute de fumée, symbole de nuits déjà fraîches à cet endroit de l'empire.

De fait, le vent cinglait le sommet de la tour où ils se trouvaient. Syndrell remonta le col de son manteau et s'étreignit les côtes de ses propres bras pour garder un peu de chaleur. Sans savoir pourquoi, elle était devenue plus frileuse... mais, peut-être cela était-il dû au fait qu'elle n'était encore qu'un poids plume et qu'en dépit des apparences, elle n'était pas encore totalement remise de ses mésaventures du désert.

-  La famille de Lyra était noble... commença Narek d'une voix étonnamment douce.

Devenue écoute, Syndrell ne dit rien mais son genou effleura celui de son élève en guise d'encouragement à poursuivre son histoire. Elle voulait savoir et surtout, il avait besoin de s'ouvrir. Elle s'était doutée que cette histoire de noble avit un rapport avec Lyra. Chaque fois qu'il pensait à elle, Narek avait cette tristesse dans le regard, éclat poignant, témoin d'un passé douloureux dont les marques, ainsi que celles de Syndrell, ne disparaîtraient jamais complètement.

- Je ne suis comte de rien, Syndrell, je hais ce titre et je ne suis rien ni personne d'autre que Narek Liam...

Elle hocha la tête, le laissa continuer sans l'interrompre. Une fois certaine qu'il avait terminé, après avoir fait la grimace en faisant allusion au parfum qu'il empestait encore même si la sueur avait pris le dessus à cause de leur ascension nocturne, Syndrell prit la parole, perdue dans la contemplation des lumières de la ville en contrebas.

- Tu as raison... tu es bien plus qu'un comte.

Elle laissa filer quelques secondes puis ajouta dans un murmure qui se fondit presque immédiatement dans le vent glacé :

- Tu es un marchombre et je vais te présenter à l'Ahn-Ju.






Il y a quelques jours encore, elle aurait hésité, ne lui aurait peut-être pas affirmé une telle chose alors que Narek s'était ouvert les poignets dans un terrible moment d'incertitude. Mais depuis, le jeune homme avait fait montre d'une extraordinaire capacité de récupération, physique et mentale, et ses dernières paroles, sa façon de défendre son existence en toute simplicité, le rendait plus prêt à affronter cette épreuve qu'il ne le serait jamais.

Syndrell avait confiance en lui. Elle se doutait que des questions, certaines anciennes et d'autres nouvelles, se bousculaient sous son crâne ; elle savait aussi qu'il n'en laisserait filtrer qu'une infimine partie, non par manque de curiosité mais par réserve – parce qu'il était comme ça. Alors, au lieu d'attendre des interrogations qui ne viendraient sans doute pas immédiatement, Syndrell décida de reprendre le fil de ses propres question, celles de Miss lui revenant en mémoire aussi sûrement que si elle les avait prononcées la veille.

- Es-tu vent ou nuage ?



[Permission de répondre par du dialogue, jeune padawan ]

[Un sourire étire ses lèvres devant la question.]

Je suis le poète qui s'en inspire et le scientifique qui les étudies, car si certains croient les nuages poussés par le vent, n'est-il pas vrai que les nuages, derrière, poussent également le vent, devant?

[Il savait que c'était scientifiquement incorrect, comme point de vue, mais il s'en fichait, Il n'avait pas besoin de véritable explication, c'était la réponse de son coeur qui était sortie de sa bouche et il ne pouvait pas donner mieux.]

L'arbre qui, parfait entre-deux, utilise la lumière du soleil pour grandir, tout en utilisant l'ombre sous terraine de la terre pour protéger ses racines, faisant un tout de deux opposés.

[Il ne pensait pas, n'en avait pas le temps, les mots coulaient de sa bouche comme jamais.]

Le rire de Syndrell tintinnabula dans la nuit, neuf à ses oreilles encore, après tant de semaines de silence, et avec ce rire, elle eut l'impression qu'un poids s'enlevait de ses épaules. La sensation de légèreté fit battre son cœur un peu plus vite. Elle bascula en arrière et envoya ses jambes pour rouler jusqu'à se redresser sur des pieds, vive et pétillante.

- Marchombre, répéta-t-elle en reculant d'un pas, puis deux.

Ses lames secrètes jaillirent dans un bel ensemble et sans bruit, accrochant au passage un éclat de lune. Déjà Syndrell était en garde, prête à croiser le fer avec lui, avec ses deux bras. Elle souriait, malicieuse, et l'attendit en dressant le menton dans un défi qui n'allait pas manquer de piquer le joueur qu'il était.

Marchombre. Un mot qui dansait dans la bouche de Narek et brûlait dans ses yeux d'encre mouchetée de rouge. Qui vibrait en lui aussi sûrement que la vie elle-même. Qui pulsait comme le sang dans ses veines et faisait battre son cœur, emportant les doutes et les certitudes, les sages conseils et la nostalgie, mêlant passé, présent et futur.

Le chant des lames brisa le silence nocturne. Il faisait froid mais ils avaient chaud. Le vent les poussait parfois vers le bord du toit mais ils se jouaient de lui avec aisance. Leurs gestes étaient fluides, précis, efficaces ; leurs déplacements agiles et souples. Le duel était réel, l'acier déchira une ou deux fois le tissu d'un vêtement, frôla la peau nue, fit voler une mèche noire puis bleue. La danse était belle, lente et rapide à la fois.

Ils étaient libres ce soir-là, tous les deux. Libres et heureux.
Marchombres.





La dernière estocade les serra l'un contre l'autre et ils s'immobilisèrent enfin, le souffle court. Le regard de Syndrell flamboya : l'une de ses lames était posée sur la gorge de Narek, l'autre bien plus bas, à un endroit qui mettait en péril sa virilité. Mais ses lames à lui menaçaient également des points vitaux et sensibles, et la jeune femme, après quelques longues secondes, esquissa un sourire. Il s'en fallait de peu pour que l'élève dépasse le maître, désormais.

Ses lames se rétractèrent lentement. Celle qui caressait la gorge du jeune homme avait ouvert une plaie minuscule, petit trait de feu qui laissa poindre une seule goutte de sang que Syndrell cueillit sur le bout de son doigt avant de le lécher comme s'il s'était agi de son propre sang. Son regard plongé dans celui de Narek, elle sentit soudain une bulle de chaleur éclater dans son ventre et frissonna.

Avant de se couler hors de ses bras, plus insaisissable encore que le vent.

- Je pense que je vais pousser vers le nord, lança-t-elle d'un ton léger. Retrouver les montagnes de mon enfance. Ce cours s'achève ici, jeune apprenti. Tu peux rentrer à l'Académie ou vaquer à tes occupations. Quelques jours vont s'écouler d'ici à ce que tu sois présenté au Conseil pour passer l'Ahn-Ju.

Elle pencha la tête sur le côté, se mordit la lèvre, sourit. Plus mutine que jamais.

- Comment c'était, déjà ? « apprendre à tomber en ratant le sol » ?

Elle se détourna et, d'une brusque détente, sauta dans le vide.
Les bras déployés comme deux ailes d'oiseau.





L'aube frémissait doucement lorsque Syndrell, enfin, jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule. Elle avait pris le sentier qui s'engageait dans les montagnes et croisait déjà quelques plaques de neige. Elle s'arrêta un instant, pensive. Narek était-il encore en haut de cette tour qu'elle pouvait distinguer dans les couleurs pastelles du levant ? Etait-il sur le chemin du retour, pressé de gagner Al-Jeit ? Elle se surprit à espérer qu'il regardait dans la direction des montagnes.

Le cœur battant, elle sourit et se remit en route.



[Voilà, jeune padawan ! Je te laisse répondre une dernière fois pour clore ce super cours, riche en émotions et haut en couleurs ! Et tu sais où trouver Syndrell, si jamais... ]