Usawa Silim'an
Vingt-trois ans
Lui, réduit à son plus simple appareil. Identité simple et profonde. Quoi que, après tout, un nom pouvait tout et rien dire, non ? Cependant, c'est cette impression qu'il a.
Usawa Silim'an.
Lui, seulement lui.
Vingt-trois ans et pourtant cette impression d'avoir parfois un siècle. Ou vingt siècles. Lourdeur insondable qui pèse sur ses épaules, comme autant d'épreuves traversées. Comme autant de tourments ancrés en lui. Comme autant de fenêtres, esquisses de solutions.
Il peut sentir cette résilience qui coule en lui, torrent bouillonnant et redoutable, parfois réduit à la taille d'un ruisseau, parfois aussi dévastateur qu'un fleuve enragé. Gré de son entourage et de ses humeurs, il parvient pourtant à calmer la surface tumultueuse de cet écoulement. Écoulement qui part du ciel pour se déverser en lui et l'ancrer dans le sol.
Tantôt flamme, tantôt vague, il se coule et se découle du monde, détaché des cases dans lesquels les humains tentent si souvent de se classer les uns les autres. Esprit aussi gracile que le vent, que l'eau qui se coule hors des rochers, creuse patiemment les falaises, fait son cours ou trouve des solutions alternatives. Parfois aussi impatient qu'un feu de forêt, se propageant en colère immense et dévastatrice, brûlant tout sur son passage pour ne laisser derrière lui que des cendres fertiles.
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Le soleil flirtait sur le parquet de la maison depuis plusieurs dizaines de minutes, suffisamment haut dans le ciel pour tenter une incursion par la fenêtre entrouverte de la chambre où était allongé un jeune homme. La pièce en elle-même était chaleureuse, toute boisée et travaillée. Même la lampe sur la tablette juxtaposée au lit enroulait son pied autour d'une orbe sombre et mate qui scintillait dans la luminosité ambiante.
Plissant les yeux, Usawa se releva doucement sur un coude, avant d'ouvrir les paupières et de les frotter du dos de la main pour tenter de se réveiller. Un long soupir franchit ses lèvres, se coulant dans l'atmosphère ambiante.
Il observa sa respiration quelques secondes encore, laissant son souffle se mêler au monde consciemment. Avant qu'un petit sourire n'étire ses lèvres et qu'il se redresse enfin.
Posant les orteils au sol, il laissa l'énergie du bois pénétrer son corps par ce simple contact, avant de prendre une profonde inspiration et de se mettre à son rituel matinal qui ne l'avait plus quitté et auquel il ne faisait impasse pour aucun prétexte.
Célébrer le soleil était important, en plus d'éveiller son corps lentement, au rythme des ondulations de sa respiration. Réveiller ses muscles, son squelette, sa colonne vertébrale. Laisser ses fascia, ligaments et tendons s'épanouir au fil de la séquence pour ressentir cette plénitude si particulière qui l'enveloppait à chaque fois.
Puis, alors qu'il redressait la tête en déroulant sa dernière vertèbre, après une dernière expiration, il se rendit dans la salle d'eau pour se débarbouiller. Un long miroir en pied attira son attention et il contempla un instant sa silhouette dans la glace.
Il avait clairement un air dégandé. Pas spécialement grand, mais suffisamment long et longiline pour donner cette impression, ses poignets fins et sa stature étroite démontraient à eux-seuls qu'il ne pouvait que difficilement faire du volume musculaire. Ce n'était pas pour autant que ses muscles n'étaient pas efficaces, car vu les postures qu'il s'astreignait à améliorer chaque jour, il avait une sacrée résistance. Surtout que, n'ayant que très peu de gras, il avait une définition assez marquée, sa peau dorée par le soleil mettant encore plus en valeur ce petit coup de pouce de la nature.
Au dessus de tout ça, supplantait sa tignasse châtain clair, suffisamment longue pour boucler un peu et blondir sur les pointes, lui donnant l'air à la fois enfantin et plus âgé. Il aimait bien ses yeux, d'un bleu si foncé que parfois les gens pensaient qu'ils étaient noirs. Son nez droit était piqueté de quelques tâches de rousseur tandis que comme souvent, ses lèvres fines et assez foncées étaient étirées en un sourire.
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- D'où viens-tu, Usawa ? Le jeune homme se contenta de hausser les épaules. Il savait pourquoi cet homme - ce marchombre - lui posait une telle question. Il n'était pas dupe, mais ne pensait pourtant pas avoir avancé suffisamment dans sa tête, dans sa spiritualité, dans ses idées, pour prétendre à devenir apprenti de quiconque.
Et pourtant…
Cette énergie pulsait en lui. Comme une orbe auréolée de la lumière astrale, dans son plexus solaire, qui le poussait à s'adresser à cette homme avec une sincérité plus profonde. Parce que finalement, ces yeux d'un vert clair, ne lisaient-ils pas en lui ? Il ne pouvait qu'être fidèle à lui même.
- Si on revient cinq ans en arrière, Gwendalavir n'était rien pour moi. Pas même une idée. Pas même l'ombre d'une idée. On entend souvent parler des dessinateurs qui sont capables de faire le grand pas, qu'ils ont accès à un autre monde. C'est de là que je viens. J'ai grandi dans ce qu'on appelle un pays, la France, en ville. En fait, je n'ai jamais connu mes parents, seulement l'orphelinat pour de très longues années. Il y avait seulement une chose qui m'appartenait : un collier avec un pendentif qui s'ouvrait sur une perle. J'ai eu des familles d'accueil, mais mon caractère imprévisible les a toutes découragées, ou presque. Quand j'ai eu onze ans, j'ai atterri dans une nouvelle famille d'accueil, qui m'a fait découvrir la méditation, et le yoga. J'ai pratiqué de longues années, c'est devenu plus qu'une occupation, mais mon style de vie.
Et puis un jour, en fin de méditation, j'ai eu cette pulsion. D'ouvrir ce collier, de sortir cette orbe verdorée, et de la laisser glisser entre mes doigts. Je l'avais depuis des années, j'avais déjà ouvert le pendentif, déjà caressé sa texture, mais je ne l'avais sortie de son socle.
De ma chambre, sur mon tapis de yoga, au calme avec un foyer brûlant qui réchauffait l'atmosphère, j'ai atterri brutalement, assis en tailleur, au milieu d'une ruelle bondée. J'ai découvert par la suite que c'était la rue marchande d'Al-Jeit, d'ailleurs…
Cela va faire cinq ans que c'est ainsi.
J'ai réussi à m'en sortir car, déjà, vous parlez la même langue. Ensuite, la méditation et le yoga m'ont aidé à trouver une sorte d'équilibre intérieur suffisant pour aller de l'avant, et m'adapter à Gwendalavir. J'ai dû tout apprendre, mais seul. Donner des cours de méditation, faire des travaux manuels, m'ont toujours permis de subsister et d'avoir un toit au dessus de la tête.
- Souhaite-tu retourner dans ton monde ? Usawa prit le temps de réfléchir à la question, glissant deux doigts sous son menton.
- Non, je ne crois pas. Maintenant, j'ai adopté Gwendalavir et ses richesses ; ses forces et ses faiblesses. Moi qui ait toujours voulu une famille, je me rends compte que peut-être je n'étais simplement pas dans le bon monde. L'homme en face de lui sourit distraitement, avant de hocher doucement de la tête.
- Je ne peux te proposer de me suivre actuellement, car j'ai déjà un apprenti. Mais si d'aventure, une nouvelle fois, cette force te pousse en avant… Il existe des réponses à tes questions. Il suffit de savoir les chercher. Je commencerais par la bordure du Lac Chen… fit l'homme dans un clin d'oeil, puis un sourire.
Avant de disparaitre.
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