Groupe Uklin - Cours n°3

Le soleil se couchait à l'horizon, lentement. Et Ombreuse brûlait, s'enflammait littéralement. Les rayons de l'astre de feu dispensait une lumière passant du jaune à l'orange, de l'orange au rouge, du rouge au jaune. Le vent dans les branches secouait les feuilles, donnant cette impression d'avancée, de mouvement, dans les ramures des arbres.

Ombreuse s'enflammait.

Dolce porta son regard sur la ligne d'horizon, où seules les cîmes des arbres se dessinaient. Bientôt, son horizon allait changer. Il comptait emmener sa nouvelle apprentie jusqu'aux Archipels Alines, ils verraient donc les Dentelles Vives, les plaines, le Pollimage, sans doute l'Arche aussi, et la mer. Différents paysages que le jeune homme adorait, tout simplement.

Pourquoi les Archipels Alines ?
Parce que cela faisait un long moment qu'il n'y était pas allé. Qu'il n'avait pas revu sa famille. C'était sans doute un peu stupide d'emmener son élève, et dérangé aussi, mais il en avait envie. Il ne connaissait pas Tyra. A peine, plutôt. Il l'avait vue se débrouiller pendant l'examen, qu'elle avait parfaitement réussi. Il n'avait juste pas compris sa vision du Chaos. Parce que pour lui, le Chaos était un moyen, et non pas une finalité. Ou peut-être une base. Mais en tout cas, pas un but à atteindre.

Comment pouvait-on atteindre le Chaos ?
Il faudrait qu'il en parlât avec son apprentie, justement.
Un sujet qui risquait d'être fort intéressant, évidemment.

Un sourire se glissa sur les lèvres du jeune homme, alors qu'il soupirait doucement. Se redressant sur sa branche, il se laissa glisser souplement jusqu'au sol, le long du tronc de l'arbre qui le supportait depuis plusieurs heures déjà. Se réceptionnant silencieusement, il s'engouffra entre deux buissons sans faire bruire une seule feuille, et prit directement le chemin des écuries. Il y avait donné rendez-vous à Tyra à la tombée de la nuit, lorsque le soleil disparaissait à l'horizon.

Son pas léger ne faisait aucun bruit sur la dalle coulée pour pouvoir y avancer les chevaux et les panser efficacement, surtout au niveau du curage. Poussant la large porte des écuries, Dolce inspira et respira quelques secondes, immobile, la douce odeur des chevaux mélangée au parfum des céréales et de la paille fraîche. Il adorait cette senteur si spécifique qui flottait dans les écuries, en général.

S'avançant jusqu'au box de Loyale, il n'eut même pas à la héler pour qu'elle se retournât et vînt fourrer son nez dans le creux de son coude. Lui caressant lentement le chanfrein, Dolce profita de cet instant de tendresse avec sa jument, avant de lui flatter l'encolure. Une respiration lui indiquait que Tyra était arrivée. Se détachant un instant de Loyale, il s'avança vers l'apprentie, un sourire tranquille sur les lèvres.

- Bonsoir Tyra !

La gratifiant d'un sourire avenant, il désigna les portes des boxes des chevaux d'un léger mouvement du menton.

- J'ai vu que tu avais ta propre monture. On prépare donc nos chers amis avant de partir à l'aventure.

Joignant le geste à la parole, il allait chercher justement tout le nécessaire de pansage pour s'occuper de sa jument. Elle adorait se faire brosser, la belle, et à chaque fois elle en soupirait de plaisance, tirant des éclats de rire à Dolce. Lorsque Loyale fut prête, et harnachée, il la sortit de son boxe, pour l'emmener sur la dalle extérieure, attendant ou rejoignant son apprentie. Puis, il se mit souplement en selle, alors que Loyale soufflait par les naseaux brusquement.

- Allons-y.

Avec son éternel sourire sur les lèvres, Dolce invita donc Tyra à se mettre au pas, et prit directement en direction du sud, passant par un chemin un minimum dégagé pour ne pas risquer de blesser les chevaux. Loyale était particulièrement fragile au niveau des tendons depuis quelques années, alors qu'elle avait paniqué quand un Brûleur s'était approché, dans les Plateaux d'Astariul. Il faisait donc toujours montre d'une extrême prudence quand à son échauffement, à ce niveau-là.

- Nous voilà donc partis !

Dolce était content, et cela transparaissait dans le ton de sa voix, joyeux. Tournant un visage serein vers son apprentie, il lui lança :

- Que veux-tu savoir, Tyra ? Que veux-tu apprendre ? Y a-t-il quelque chose qui t'attire particulièrement, ou bien n'as-tu aucune prédisposition, en tout cas pas de préférence en matière de priorité de connaissances ?

Parce que Tyra n'était pas son apprentie depuis le début de son apprentissage, Dolce savait qu'elle avait déjà été testée, dans le sens de la volonté qu'elle possédait, pour continuer à suivre l'enseignement du Chaos. Ou en tout cas, la formation d'Envoleur, et il était ainsi moins enclin à se montrer dur et intraitable dès le départ. Si elle poussait trop loin le bouchon, si elle le provoquait, il le deviendrait, mais pour l'instant n'en avait aucune envie.

Les poignards, donc, attiraient particulièrement la jeune femme. Très bien, Dolce mettrait cela tout en haut de la liste qu'il avait prévu de lui faire suivre. Elle avait aussi souligné qu'elle voulait en apprendre le plus possible, et c'était une très bonne chose pour le Mercenaire : en effet, un apprenti qui n'a pas envie d'apprendre et qui n'est là que pour la puissance n'était pas un apprentie assez assidu, selon lui, car il ne voyait que le but des choses, et ne comprenait pas l'importance du chemin parcouru. Et c'était vraiment le comble, pour Dolce.

Après tout, son propre Maître n'avait-il pas toujours loué le chemin, toujours martelé son cerveau du «  la fin d'excuse pas les moyens » ? Pour lui, il fallait avant tout rester soi-même, pour continuer à être toujours plus efficace. Comprendre ses forces, ses faiblesses, se jauger soi-même pour toujours savoir quoi faire, comment faire, et surtout vivre complètement chaque seconde.

La vie était une chance.
Une chance, qui était unique, et que l'on ne pouvait pas redemander. Soit on la passait la tête entre les épaules, soit accablé, soit on en profitait pour la rendre sienne, réellement, et non pas objet des caprices d'un destin qui n'existait pas. En tout cas, c'était la vision du jeune homme.

Alors, quand l'apprentie demanda s'il allait aussi partir, il ne répondit pas immédiatement.
Il tourna lentement la tête vers Tyra, pour la fixer de son regard vert profond, plusieurs secondes.

Après tout, il était normal qu'elle lui posât cette question. Il était normal qu'elle n'eût plus confiance en ses Maîtres, puisqu'apparemment, elle en avait déjà eu deux en... deux cours. Chacun d'eux était partis. Dolce ne savait pas pourquoi, peut-être avaient-ils des obligations... Peut-être que les Mentaïs avaient besoin d'eux autrement qu'en tant que Maîtres, car ils avaient trop de 'potentiel' pour qu'il fût gâché ainsi... Enfin, cela ne semblait pas réellement le cas de ce Thor, qui semblait juste accablé de folie.

Il haussa les épaules.

- Je n'ai absolument aucune raison de partir. Je ne suis pas spécialement dans les affaires des Mentaïs pour qu'ils aient besoin de moi ailleurs, et...

Il fit une pause, posant à nouveau son regard dans celui, rouge, sang, de son apprentie.

- Tu as des yeux magnifiques...

Il resta hypnotisé quelques secondes par ce que dégageait ce regard justement. Ce rouge sang, vif et profond, était tout simplement sublime. Et tout ce que contenait le regard, une fois passée la couleur... Comme une note de désespoir, comme si Tyra avait renoncé à ce qui était plaisant dans la vie, croyant peut-être ne pas le mériter... Il ne savait pas trop. Mais elle ne voulait plus se faire aucune illusion, il le voyait bien.
Il fronça les sourcils, revenant à la réalité.

- Et, d'autre part, enseigner est vraiment quelque chose qui me plait.

Faisant une autre pose, il porta ses yeux devant lui, alors que Loyale s'ébrouait gentiment.

- Il ne sert à rien de vouloir apprendre aux autres si l'on n'est pas un minimum pédagogue, si l'on ne tire aucune satisfaction personnelle de l'enseignement. J'enseigne, parce que je suis heureux de voir que des apprentis ont de fabuleux potentiels à exprimer, parce qu'ils ont tous leur propre personnalité et que rien n'est jamais pareil. Parce que permettre à d'autre de trouver leur bonheur, je pense que c'est essentiel pour trouver le sien. J'enseigne, parce qu'en plus d'apporter quelque chose aux apprentis, je m'apporte quelque chose à moi-même. Parce que l'on ne cesse jamais d'apprendre, bien au contraire...

Il tentait de mettre son apprentie en confiance, ne savait pas trop comment cette dernière réagirait à son petit discours. Il devait aussi apprendre à la connaître, justement. Jetant un coup d'oeil en coin à son apprentie, il attendit donc une réaction, quelle qu'elle soit...

Il ne lui répondit pas tout de suite. Ce n’était pas vraiment étonnait d’ailleurs. Il la regarda un moment, ayant tourné la tête vers elle, qui chevauchait à côté. Et il haussa les épaules. Se fichait-il de ce qu’elle venait de lui demander ? Elle ne pensait pas, mais ne pourrait le savoir que lorsqu’il répondrait. Mais il ne mit pas longtemps.

Je n'ai absolument aucune raison de partir. Je ne suis pas spécialement dans les affaires des Mentaïs pour qu'ils aient besoin de moi ailleurs, et...

Il s’arrêta. Tyra quant à elle, attendait la suite. Son maître la regardait dans les yeux. Il avait un beau regard vert, et surtout, un regard assez commun. Alors qu’elle, elle était obligée de se trimballer des yeux rouges, avec toutes les histoires de malédictions que tout le monde se plaisait à inventer et à croire. Ça en devenait parfois fatiguant. Assez souvent même.

-Tu as des yeux magnifiques...

Pendant quelques secondes, il continua à la fixer. Elle, elle n’était pas des plus contentes. Comme tout le monde, elle savait que Dolce pouvait lire dans ses yeux comme un livre. On lui avait déjà fait le coup plusieurs fois. Et elle savait que quand on les lisait, elle avait l’air d’une dépressive. Bon, il fallait bien avouer que ce n’était pas loin de la réalité… Tout ça parce que la plupart des gens qu’elle connaissait étaient tous partis… Enfin, il aurait été idiot de ne pas en tirer une leçon.

-Et, d'autre part, enseigner est vraiment quelque chose qui me plait.

*Contrairement à certains !* En même temps, elle se doutait bien que ce devait être une qualité essentielle pour le faire. Ce qui, si ça avait été le cas d’Issa, semblait loin d’être celui de Thor. En même temps, cet homme n’était qu’un psychopathe aux yeux de l’apprentie. Même si elle lui devait beaucoup, surtout en matière d’endurance, elle n’avait jamais quelqu’un d’aussi sadique. Un fou. Dolce reporta son regard devant lui, alors que Loyale s’ébrouait. Earley quant à lui, profitait que Tyra le monte rênes longues pour s’étirer. La jeune femme déposa une légère caresse sur l’encolure de son cheval.


- Il ne sert à rien de vouloir apprendre aux autres si l'on n'est pas un minimum pédagogue, si l'on ne tire aucune satisfaction personnelle de l'enseignement. J'enseigne, parce que je suis heureux de voir que des apprentis ont de fabuleux potentiels à exprimer, parce qu'ils ont tous leur propre personnalité et que rien n'est jamais pareil. Parce que permettre à d'autre de trouver leur bonheur, je pense que c'est essentiel pour trouver le sien. J'enseigne, parce qu'en plus d'apporter quelque chose aux apprentis, je m'apporte quelque chose à moi-même. Parce que l'on ne cesse jamais d'apprendre, bien au contraire...

Tyra faillit se mettre à rire.

-J’en connais qui ont dû louper ce cours là…

En tout cas, ce qu’il venait de lui dire la rassurait un peu, même si elle essayait de ne pas le montrer. S’il disait cela, peut-être serait-il moins malade que Thor. En regardant Dolce, elle ne voyait aucun point commun entre eux. A part le fait qu’ils étaient envoleurs. Thor portait un masque, passait son temps à chuchoter parce qu’il ne supportait pas le bruit, prenait plaisir à la voir souffrir, aimait lui lancer des défis, et surtout, ne répondait à ses questions seulement lorsqu’elle avait réussi un exercice. Dolce, même si elle le connaissait moins, semblait complètement différent. Déjà parce qu’elle n’avait pas fait un seul exercice depuis le début de ce cours et qu’il avait répondu à une question. Si elle devait le comparer à ses anciens maîtres, il ressemblait plus à Issa. Mais, comme les apprentis, n’étaient-ils pas tous différents les maîtres ? Si. Il allait falloir qu’elle arrête de les comparer.

Un léger sourire, mi-figue, mi-raisin, passa sur le visage de Dolce, à la réponse de Tyra. Qui n’était pas réellement une réponse, d’ailleurs, mais plutôt une constatation. Il était d’accord avec elle, mais ne dit absolument rien : ce n’était pas dans ses habitudes de juger les autres, en tout cas de les critiquer ouvertement dans leur dos, bien au contraire. S’il avait quelque chose à dire, et qui le tiraillait de l’intérieur, il le disait en face, ne faisait pas de commérages là-dessus.

Il hocha donc distraitement la tête à ces quelques mots, et continua son chemin en silence, flattant l’encolure de sa jument régulièrement. Attendant d’arriver sur la grande piste dégagée, il réfléchissait à ce qu’il allait donc faire pendant ce cours. A dire vrai, il n’avait rien prévu de particulier, juste qu’il voulait rejoindre les Archipels Alines. Un léger soupir se glissa hors de ses lèvres.

Tyra avait dit qu’elle aimait en particulier ce qui touchait aux poignards. Cela serait sans doute leur premier exercice, donc, et il cherchait une manière de lui faire travailler la chose dans une optique ludique et nouvelle, quelque chose qu’elle ne pouvait pas avoir vu avant. Une idée germa dans son esprit, et il sourit distraitement. Le large chemin qui menait au Sud d’Ombreuse se présenta à ce moment-là, et Loyale s’y engagea avec entrain.

Adressant un sourire à son apprentie, Dolce ne fit qu’avancer légèrement ses mains.
Loyale partit immédiatement dans un galop enjoué, allant jusqu’à lever la croupe de gaieté. S’engageant fortement, elle fit une accélération qui fit perler des larmes aux yeux de l’Envoleur, qui éclata de rire sous l’impulsion de sa jument. Il était vrai qu’il n’avait pas pu la sortir récemment, et pour cause : elle revenait de trois mois de convalescence, après avoir réussi à se tordre un boulet en voulant jouer avec son cavalier, dans son paddock.

C’était une jument assez fragile, en fait. Surtout au niveau des membres, parce qu’elle n’était jamais tombée malade ni rien, mais elle s’était déjà fait plusieurs blessures au niveau des boulets, des tendons et des jarrets, même. Pourtant, cela ne semblait pas lui servir de leçon, c’est donc Dolce qui se redressa sur sa selle et releva légèrement les mains pour la faire ralentir. Même pas besoin de toucher aux rênes, ou de quelque contact que ce soit : la jument ralentit immédiatement. Ce que l’homme partageait avec sa monture était juste incompréhensible, mais cela faisait quatorze ans qu’ils se connaissaient, quatorze ans que Loyale était née. Forcément, l’affinité n’en était que plus forte.

Faisant finalement repasser sa monture au pas alors que la lisière s’approchait, et que le chemin était moins dégrossi, il lança un regard derrière lui pour voir comment s’en sortait l’apprentie avec son propre cheval. Il était vrai qu’à partir du moment où elle avait eu sa monture, il avait dédui qu’elle savait monter, mais ce n’était pas nécessairement vrai... Lorsqu’elle passa à côté de lui, il lui adressa un léger sourire, continuant son chemin sur la piste qui filait vers le Sud, longeant les Dentelles Vives.

Remettant Loyale au trot, le Mercenaire jeta un coup d’oeil, encore une fois, à Tyra. Lui adressant un nouveau sourire, il lui lança :

- Premier exercice. Lancers.

Il sortit deux tubes de métal plein de son sac, les désignant d’un signe du menton, les rênes de Loyale en guirlande sur son garrot, il expliqua :

- On commence avec les tubes pour ne pas se blesser. Le but est de toujours attraper la partie plus foncée, pour pouvoir après enchaîner avec des poignards.

Montrant à Tyra ce qu’il en était, il demanda d’un léger mouvement des rennes à Loyale de se caler dans un petit trot tranquille, et lança un seul tube pour commencer...







[Un peu court, désolée ]

Dolce adressa un sourire à Tyra, puis il avança légèrement les mains, et Loyale prit le galop. La jument accélérait comme une folle, sûrement heureuse de sortir du Domaine. N’aimant pas se laisser distancer, ni renoncer à un galop dans la nature, elle recula sa jambe droite et serra les mollets. Earley partit à son tour, mais dans un galop bien plus calme que celui de Loyale, et surtout pas assez rapide pour réellement les rattraper. Tyra adorait galoper avec son étalon, et s’ils s’entendaient bien tous les deux, elle se demandait comment son maître avait réussi à passer Loyale au galop juste en avançant les mains, ou comment il venait de réussir à la repasser au pas sans même toucher aux rênes.

Arrivant à côté de lui, elle se pencha doucement en arrière, fermant les doigts sur ses rênes pour qu’Earley repasse au pas à son tour. Dolce était entrain de la regarder, de lui sourire un peu aussi. Ils continuaient leur route vers le Sud. Ce n’était pas la première fois qu’elle s’éloignait du Domaine pendant un de ses cours. C’était la deuxième, et elle n’avait pas gardé un très bon souvenir de la première, mais qu’importe. Rien qu’en regardant son maître, il était facile de voir que ça ne se passerait sûrement pas comme ça s’était passé avec Thor.

Dolce fit repasser sa jument au trot, lançant un nouveau sourire à la jeune fille. Lui, il aimait sourire ! Elle trouvait ça un peu louche mais ne releva pas. S’il voulait sourire c’était son problème, mais elle, elle n’en avait pas forcément envie.

-Premier exercice. Lancers.

Il sortit deux objets de son sac. Des tubes qui semblaient être en métal, et où une partie était plus foncée que les autres. Il les désigna d’un geste du menton, prouvant à Tyra que c’était cela qu’il allait falloir lancer. Elle n’avait jamais lancé de tubes en métal, mais il fallait bien un début à tout. Elle donna un coup de reins à Earley, qui partit au trot à son tour. Elle n’aimait pas se faire distancer.

-On commence avec les tubes pour ne pas se blesser. Le but est de toujours attraper la partie plus foncée, pour pouvoir après enchaîner avec des poignards.

Ça n’était pas forcément au dessus des forces de Tyra, cela dépendrait du nombre et de la vitesse… Mais de toute façon, elle n’avait aucunement peur de l’échec, même si elle le détestait. Elle allait essayer, et si possible réussir cet exercice. Elle le voulait. Dolce lança un seul des tubes dans sa direction, qu’elle attrapa à une main. Jusque là ce n’était pas trop dur, mais elle savait qu’Earley n’aimait pas qu’elle s’agite sur son dos, au risque de finir par s’emballer ou par faire quelque chose qu’elle lui aurait fait comprendre sans faire exprès… Il allait falloir qu’elle essaye de bouger le moins possible pour éviter toute catastrophe…

Elle fit bouger l’objet entre ses doigts, appréciant son poids pour éviter de le lancer trop loin, ou trop près, et donc que Dolce puisse le récupérer. Elle le lança donc, plus maladroitement qu’elle ne l’avait rattrapé. Ce n’était pas vraiment son truc le lancé de tubes en métal…


[Désolée aussi, ce n'est pas long non plus...]

Dolce remarqua immédiatement l'attitude de la monture de son apprentie, lorsqu'il lui lança le tube : ce dernier était loin d'être rassuré, et au contraire montrait d'importants signes de peur. Pour ne rien arranger, apparemment il n'aimait pas non plus quand sa cavalière bougeait trop sur son dos... Un dressage qui était à peaufiner, d'après ce qu'il pouvait en voir. Enfin, le mot dressage n'avait jamais plu au Mercenaire : c'était bien plus de l'éducation, et cela n'avait pas grand chose à voir, selon lui. Ou presque.

Il faudrait donc aussi remédier à cela, en même temps. Et alors que Tyra rattrapait le tube de métal, il fit repasser Loyale au pas. Laissant son apprentie se familiariser avec l'objet en question, il l'observa faire. Elle avait de bons instincts, d'après ce qu'il pouvait en voir : elle tentait de comprendre l'objet et de se l'approprier profondément. Mais après tout, elle avait déjà passé deux des trois examens qui permettaient d'accéder au rang d'Envoleur, ou de Maître Envoleur, ce n'était pas pour rien !

Rattrapant adroitement le lancer par contre plutôt moyen de l'apprentie, Dolce fit une petite grimace en la voyant faire. Encore quelque chose à bien travailler, cela ! Mais c'était du positif. Que du bonus ! Un sourire éclaira le visage du Mercenaire, alors qu'il renvoyait le tube à la jeune femme sur son cheval baie.

- Ton cheval n'est pas très rassuré de voir que tu bouges sur lui... N'est-il pas désensibilisé ?

Lui envoyant le tube d'un geste souple et ferme, un peu plus rapidement que le précédent, il continua.

- Il serait bien de le désensibiliser, de lui apprendre à faire la différence entre un ordre et un mouvement, surtout pour ce qu'on verra par la suite. Le combat à cheval, cela ne s'apprend pas sur un cheval trop craintif. En tout cas, ton cheval doit avoir une totale confiance en toi....

Se grattant le menton pensivement, il rattrapa tranquillement le tube de la main gauche.

- Penses-tu qu'il ait confiance en toi, Tyra ?

Au pas, le cheval de son apprentie avait moins de chance de prendre peur, de vouloir partir plus vite, qu'au trot. C'était aussi, en un sens, assez psychologique, pour le cheval, mais c'était ainsi. Depuis le temps qu'il connaissait Loyale, qu'il avait étudié en long et en large le comportement du plus d'animaux qu'il avait pu, il s'était rendu compte que l'homme, au final, était bien trop compliqué, et surtout injuste. Il donnait sous condition, avait des ressentiments, ne pensait qu'au futur. Un animal ne pensait qu'à l'instant présent, en profitait pleinement, donnait plus qu'il ne fallait, et recevait toujours avec joie, et sans jamais aucune suspicion...

Un léger soupir passa les lèvres de Dolce, alors qu'il accélérait la cadence avec son tube de métal. Lorsque Tyra commença à mieux lancer, il accéléra encore plus, avant d'introduire le deuxième tube, de manière décalée : à chaque fois, l'un et l'autre devaient recevoir et lancer en même temps, ce qui accentuait considérablement la difficulté de l'exercice.

- Pense à te lier à l'objet que tu lances, Tyra. Que ce soit un poignard, un sabre, un bâton ou un tube, tout n'est qu'une question d'appréhension de sa globalité, de son poids, de son volume, pour qu'il devienne une partie de soi, complète et pourtant éphémère. Tu es le tube. Tu es toi. Le tube est toi...

Dolce ne passa au trot que lorsqu'il fit que Earley ne frémissait plus des oreilles dès qu'un tube arrivait un peu trop violemment dans les doigts de sa cavalière. Il s'habituait doucement aux lancers, et c'était une bonne chose, parce qu'au final, il apprenait plutôt vite. Ainsi, le même exercice se répéta aussi au trot, une bonne heure durant.

S'estimant finalement satisfait de la performance de son apprentie pour cette fois-ci, Dolce arrêta finalement de lancer le tube, récupéra les deux et les rangea dans sa sacoche. Puis, il arrêta Loyale, et demanda à Tyra de descendre de cheval : ils allaient courir. Mais avant, il lui proposa de manger : il avait emporté deux larges morceaux de viande séchée et salée, au goût âpre mais très nourrissante.

Puis, ils repartirent en courant. Gardant un rythme assez souple au début, Dolce accéléra assez rapidement pour se caler sur une foulée rapide et ample, au rythme plutôt soutenu. Ils continuèrent... Le Mercenaire, cette fois-ci, attendait qu'elle demandât grâce !

Tyra soufflait. Elle soufflait, sa respiration était rauque et désordonnée, il entendait ses pas qui se faisaient lourds et brouillons. Dolce, du coin de l’œil, voyait son apprentie se courber légèrement, les épaules en avant, ses pieds commençaient même à traîner sur le sol poussiéreux… Pourtant, elle ne demanda pas de s’arrêter. Il avait du mal à saisir, à dire vrai : pourquoi chercher l’inconscience, alors que le corps donnait tant de signes de faiblesse, tant d’indices à suivre ?

Vouloir repousser ses limites étaient une chose, s’aveugler sur ses dernières une autre. Et apparemment, Tyra ne faisait pas la différence entre les deux…

Depuis le début, quelques heures plus tôt, Dolce avait senti cette méfiance sous-jacente, chez son apprentie, comme si elle ne pouvait pas s’exprimer, comme si elle avait peur de ce que pourrait dire ou faire son Maître. Non, le mot peur ne convenait pas tout à fait, mais en tout cas, elle cachait des choses, à elle-même, surtout, parce que Dolce savait lire dans les attitudes, depuis le temps qu’il était passé Envoleur. Il avait appris à être observateur, à développer patience et écoute, auprès de Gazia, et avec leur Maître.

Pourtant, Dolce ne céda pas.
Il continua de courir, encore et encore. Sans doute Tyra s’écroulerait-elle sur le sol, inconsciente, Earley s’arrêterait pour la pousser du bout du nez. Elle peinerait à respirer, il devrait l’aider à se relever, lui faire boire de l’eau pour faire passer le goût de poussière de la bouche… Peu importait. Elle devait comprendre à quel point il était important de se connaître, et de reconnaître que l’on avait des limites. Pas besoin de se plaindre, juste se rendre compte qu’on ne pouvait pas aller plus loin, que l’on devait renoncer pendant un temps pour pouvoir par la suite aller encore plus loin.




- Cours Dolce, encore !

- Mais je n’en peux plus !

- Et mes fesses, c’est du fromage ? Si tu peux parler, tu peux courir ! Du nerf !




- Réveille-toi… Doucement. Pas de geste brusque. Tiens, bois ça.

Dolce se redresse lentement sur un coude, avale l’eau fraîche que lui offre son Maître. Il fronce les sourcils, mais ne dit rien, il ne peut pas parler. Sa bouche est pâteuse, son souffle sifflant. Que s’est-il passé ? Il tente de se remémorer.

Il courrait, encore et encore, mettant de côté ses propres sensations pour continuer à courir. Dépasser ses limites. N’était-ce pas le but de cette formation ? Et puis, petit à petit, tout avait commencé à tourner autour de lui, ses jambes s’étaient dérobées sous lui, il n’arrivait plus à respirer normalement, un point douloureux au côté l’avait assailli…
C’était tout ce dont il se souvenait.

Levant les yeux vers son Maître, son regard passa sur le visage de Gazia, qui fronçait les sourcils en secouant la tête.

- Ces mecs, qui veulent faire les gros durs…

Il ne comprenait pas, et lança un regard interrogatif vers son Maître.

- Alors un coup tu penses en avoir fini alors que tu as encore de l’énergie, et l’autre tu continues jusqu’à tomber dans les pommes… Ne serais-tu pas un brin extrémiste toi ?

Réussissant à avaler sa salive, Dolce fronce les sourcils, pour répliquer.

- Le but de cet enseignement n’est-il pas de repousser ses limites ?

- Certe. Mais repousser ses limites, c’est d’abord reconnaître leur existence. Une fois qu’on les a touchées, on travaille en profondeur tout ce qui ne les atteint pas. Et c’est après, lorsqu’on les reteste, que l’on se rend compte qu’on les a surmontées, parce qu’elles ont été repoussées…

Mais conduire son corps à son point de rupture ne sert à rien, sauf à le fragiliser. C’est comme ça que tu peux par exemple déchirer le tissu sanguin qui entoure tes poumons et après cracher du sang. Et ça cicatrise mal, et après tu ne pourras plus jamais faire un effort poussé de ta vie, parce que cette erreur t’aura coûté une cicatrice trop profonde pour être jamais réparée !




Dolce tourne la tête vers Tyra, qui est toujours aussi essoufflée. Elle ne pourra pas reprendre son souffle, ou régulariser à nouveau ses foulées. Il faut qu’elle s’arrête…

Evidemment, qu’elle s’écroula. Evidemment que son cheval se demanda ce qu’il se passait, qu’il la poussa du bout du nez, mais qu’elle ne réagit pas à cette sollicitation. Ayant épuisé toutes ses forces, toute son énergie, elle n’était même plus capable de se relever, et lorsqu’elle reprit conscience, Dolce l’aida à s’asseoir. Il fronça les sourcils alors que l’apprentie s’excusait.

Mais pourquoi s’excusait-elle ?
Elle n’avait pas besoin de s’excuser. N’avait même pas d’excuses à présenter. Ni à être désolée. Là, par contre, il ne comprenait vraiment pas d’où elle sortait cela. C’était… irrationnel, de s’excuser pour ses propres faiblesses… et encore, ce n’était pas une faiblesse, son corps avait juste cédé, n’avait pas pu en faire plus !

Secouant légèrement la tête, il proposa à son apprentie une gourde et l’aida à boire, avant de lui demander comment elle se sentait. Elle était vraiment dans un piteux état, et Dolce décida de prendre les rênes de son cheval pour les fixer à la selle de Loyale, qui commençait à brouter en attendant que Dolce ne lui demandât autre chose.

L'Envoleur soupira longuement, avant de relever les cheveux longs de Tyra au dessus de sa nuque, et de lui tamponner un peu le visage avec de l'eau fraîche.Un léger sourire sur le visage pour la rassurer, il ne put s'empêcher pourtant de demander ce qui le choquait, dans l'attitude de son apprentie.

- Ca ne sert à rien de s’aveugler sur ses limites. Tu savais très bien que cela terminerait comme ça… Pourquoi en arriver jusque là ? Pourquoi n’avoir rien dit ?




[Court, c'est fait exprès ! ]

Il l’aida à s’asseoir, fronça les sourcils lorsqu’elle lui dit qu’elle était désolée. Pourtant cela lui paraissait normal. Elle avait échoué, elle n’avait pas tenu assez longtemps pour finir l’exercice. Elle s’était écroulée au milieu du chemin comme l’empotée qu’elle était et qu’elle serait sûrement encore longtemps. Une incapable. Si Thor avait été là, il n’aurait pas manqué de le lui faire remarquer. Dolce n’était pas comme Thor, elle avait eu le temps de s’en rendre compte. Cela ne changeait pas ce qu’elle avait apprit. Ce n’était pas à elle de demander à ce que l’on s’arrête. Elle, elle devait suivre, réussir les exercices, travailler, se dépasser. Rien d’autre. Si Dolce ne s’était pas arrêté c’est que l’exercice n’était pas terminé, et puisqu’elle avait échoué, elle s’excusait.

Il lui proposa à boire, et l’aida à le faire sans qu’elle ne s’étouffe ou qu’elle ne prenne sa douche. Elle sentait l’eau couler le long de sa gorge, et ça lui faisait du bien. Lorsqu’elle eut fini, il lui demanda comment elle se sentait, et même si ce n’était pas tout à fait vrai, elle répondit qu’elle se sentait bien. Parce qu’elle ne voyait pas quoi répondre d’autre, que c’était une réponse facile.

Il soupira longuement, et il releva les cheveux noirs de Tyra, au dessus de sa nuque. Elle avait chaud. Il passa un peu d’eau froide sur son visage. Elle cligna des yeux, et remarqua qu’il lui souriait. Il souriait beaucoup, d’après ce qu’elle avait remarqué, et si cela ne lui déplaisait pas (au contraire, quelqu’un de souriant c’est agréable), elle se demandait bien comment est-ce qu’il faisait pour avoir l’air aussi joyeux. Même pas pour en avoir l’air. Pour être aussi joyeux.

-Ca ne sert à rien de s’aveugler sur ses limites. Tu savais très bien que cela terminerait comme ça… Pourquoi en arriver jusque là ? Pourquoi n’avoir rien dit ?

Ça oui, elle s’en doutait. Un instant, elle avait tout de même cru y arriver avant de céder, mais elle s’était trompée. Elle le regrettait amèrement, mais elle savait qu’elle n’aurait rien pu y faire. De toute façon, elle avait échoué en faisant cet exercice.

-C’est pas à moi de dire stop. Moi je dois suivre.

Il ne fonctionnait pas comme ça lui ? Décidemment, les maîtres étaient vraiment tous différents… Et ça en devenait un peu trop tordu pour elle. Il allait encore falloir qu’elle s’adapte, qu’elle change d’idées. Les cours n’avaient décidemment en commun que le nom… Un peu comme les maîtres, qui eux aussi n’avaient en communs que l’appellation qu’on leur attribuait… En tout cas, Dolce devait maintenant avoir une petite idée de la manière de fonctionner de Thor… Et Tyra se demandait bien ce qu’il en pensait !

Dolce soupira un instant.
Tyra disait-elle cela pour lui faire plaisir, ou avait-elle réellement compris ce que cela signifiait, dans l’absolu, et en profondeur ? Il ne le saurait pas tout de suite, mais au fil des nouveaux exercices qu’il allait lui demander de faire. Hochant la tête tout seul, l’Envoleur lui tendit une main secourable pour qu’elle se levât, et l’intima de marcher un peu, car cela ne pouvait que lui faire du bien, et remettre doucement son corps en route.

A dire vrai, Dolce n’en revenait pas. Comment pouvait-on exiger d’un apprenti qu’il se tût ? Qu’il ne pût rien dire, même pas qu’il n’irait pas plus loin ? Même pas qu’il atteint ses limites ? A quoi cela servait-il de décider à la place de l’élève si il devait s’arrêter ou non ? Qu’y avait-il à apprendre là-dedans, comment pouvait-on qualifier cela d’apprentissage ? Cela lui semblait tout simplement aberrant.

Au contraire, pour lui c’était à l’apprenti de se prendre en main, de sentir son corps qui n’allait pas, de montrer qu’il percevait ces signes, chez les autres comme chez lui, c’était à lui de développer un sens de l’observation assez aigu pour percevoir l’imperceptible, et cela ne se faisait pas en suivant comme un chien un Maître qui bridait les capacités ! Et si l’apprenti voyait quelque chose en particulier que le Maître ne voyait pas ? S’il avait sa propre vision des choses, qui pouvait aussi apporter quelque chose à son mentor ? Être Maître, ce n’était pas seulement apprendre aux autres, c’était aussi accepter que tous les autres pouvaient nous apprendre encore, et surtout les apprentis !

Dolce était révolté, tout simplement.

Ne disant rien, aidant son apprentie à marcher au début, alors que Loyale se mettait à les suivre tranquillement, suivie d’Earley attaché à son pommeau, Dolce fulminait intérieurement. Il en fallait pourtant, pour provoquer sa colère, mais là c’était passé bien au delà des limites ! Pourtant, il ne pouvait rien faire... Tant mieux sans doute pour ce Thor, qu’il fût parti sur la demande des Mentaïs, parce que sinon Dolce ne se serait pas privé de lui en faire voir de toutes les couleurs, bien au contraire !

Reprenant son calme aussi rapidement que Tyra reprenait son sens de l’équilibre et des bribes d’énergie, l’Envoleur finit par la lâcher quand elle put à nouveau tenir seule sur ses jambes. Marchant encore une bonne heure dans le but qu’elle recouvrît un minimum de vitalité, il lui offrit un morceau de viande sèche pour qu’elle pût reprendre des nutriments, essentiels après ce qu’elle venait de faire subir à son corps.

Ainsi, lorsque le soleil commença à filer vers la ligne de l’horizon, rougissant alors que la nuit arrivait, il s’éloigna du chemin pour faire un camp, un peu à l’abri des regards. Trouvant un endroit proche d’un arbre pour y attacher les cheveux mais assez loin de la route, et protégée de celle-ci par quelques buissons, pour y faire un feu, il arracha quelques bois secs pour les disposer correctement. Puis, plantant son regard dans celui de son apprentie, il lui sourit tendrement.

- Comme tu as fini toute la viande dont nous disposions, il va falloir chasser.

Sortant un petit arc composite de son sac, il le tendit à Tyra, avec un carquois et quelques flèches.

- Comme tu sais déjà tirer à l’arc sur une cible à peine mouvante, on va passer à la difficulté supérieure... C’est-à-dire tirer sur une cible vraiment mouvante. N’oublie jamais ton arme, et ce que vous représentez ensemble.

D’un signe léger de la main, il l’invita à se faufiler dans les fourrés non loin de là, et passa derrière elle, silencieux comme une ombre, l’observant assidument pour comprendre comment elle fonctionnait, pour repérer les gestes qu’elle faisait, combien elle était discrète, comment elle se mouvait... Et surtout, comment elle ferait pour trouver une proie.

Se glissant silencieusement dans le dos de Tyra, Dolce la laissa donc prendre les devants, et s’élancer à la chasse. D’après son expression, il y avait de grandes chances pour qu’elle n’eût jamais chassé de sa vie… Mais après tout, n’était-elle pas là pour apprendre ? Et lui, n’était-il pas là pour lui faire apprendre tout ce qui pouvait s’avérer indispensable ? Survivre dans la nature, c’était savoir chasser. Et quand on voyageait, on n’avait pas nécessairement toute la nourriture qu’il aurait fallu pour le déplacement, surtout quand on se faisait attaquer, ou bien quand on se perdait et où plusieurs jours de plus s’écoulaient.

La flèche empênée, la corde de l’arc légèrement tendue, Tyra était prête à tenir une embuscade. Mais apparemment, elle ne comptait que sur sa chance pour voir un animal déraper entre ses pieds. Secouant légèrement la tête, Dolce se souvenait de la première fois qu’il avait dû tuer un animal sauvage. Il avait dix ans, et devait partir à la pêche avec son oncle, pour ramener de beaux poissons à la famille, qu’ils dégusteraient pour l’anniversaire de sa sœur qui était née juste avant lui. Il était amusant de voir qu’il était aussi effrayé qu’il était excité, cette fois-là, et il s’était reçu une bonne pichenette sur l’arrière du crâne pour se calmer… Zeru n’était pas du genre tendre, et ses sœurs et sa mère non plus. Il avait appris bien vite à se tenir à carreaux lorsque les unes ou les autres commençaient à s’énerver.

Observant son apprentie qui tentait de se mouvoir silencieusement, chose qu’elle parvenait assez bien à faire, en réalité, lorsqu’elle s’appliquait, il la fit chercher du regard une cible, une proie qu’elle pourrait embrocher d’une flèche bien ajustée. Oui, sauf que cela n’était pas nécessairement ainsi que cela fonctionnait ! Alors qu’il allait s’adresser à Tyra, un couinement dans son sac lui fit tourner la tête, et Fu sortit sa tête du baluchon de cuir sur son dos. Frémissant des moustaches, le petit carnivore regarda Dolce un instant, avant de porter son attention sur Tyra, puis sur le paysage. Sautant souplement sur le sol, il se précipita entre les jambes de l’apprentie, pour se faufiler entre les herbes.

Dolce secoua légèrement la tête, avant de sourire. Se penchant au dessus de l’épaule de son apprentie, il lui murmura :

- On a un animal de chasse, il va t’aider pour cette première fois. Tu peux le suivre, toujours le plus silencieusement possible…

Fu s’était en effet dirigé dans un fourré non loin de là, et les attendait en regardant dans son dos. Lorsqu’ils furent dans son champ de vision, il repartit, se faufilant sous les racines des arbres épineux, ressortant de l’autre côté, leste comme un serpent. On entendait parfois les herbes qui pliaient sous sa course, mais c’était tellement rapide et vif qu’il était aussi assez difficile de le suivre. Soudain, le petit animal s’arrêta devant un arbre, le nez tendu vers un terrier, la queue à l’horizontale.

Lorsqu’il le vit, Dolce l’appela d’un petit bruit de langue, presque inaudible, et le furet laissa le terrier pour venir remonter sur l’épaule de son dresseur, comme tout fier de lui.

Il ne restait désormais plus qu’à attendre.
Attendre que l’animal dans le terrier en ressortît, ou alors attendre qu’il y revînt. Mais la première potentialité était la plus forte, puisque la journée s’étirait vers le soir.

Immobile, un doigt caressant doucement le pelage de Fu, Dolce observait son apprentie.
Attendait.