Rencontre
Le vent s’élève. Il souffle fort et fait vibrer toute la forêt, faisant bruisser les feuilles des arbres. Son murmure traverse les bois, enveloppant le monde d’une douce mélodie.
L’herbe est saupoudrée d’une fine couche de neige que le vent fait voler dans une myriade d’étoiles glacées.
Dans le ciel, les nuages accélèrent. Ils survolent le village au pied de la montagne, tantôt laissant passer un rayon de soleil, tantôt projetant leur ombre protectrice. Un étonnant jeu d’ombre et de lumière se crée alors, donnant au paysage une ambiance féerique, rassurante.
Une larme salée vient s’écraser dans la neige.
Je me tiens debout sur un rocher surplombant le val, au sommet de la montagne, les cheveux au vent, les bras en croix, en équilibre sur le souffle frais de l’air. Et je vole, dominant le monde qui s’étend à mes pieds. Je me sens puissante, je me sens forte. Rien qu’à cet instant, je me sens vivante. Pendant un moment, mon sourire défit mes larmes.
Je saute du rocher sur lequel je me tiens pour atterrir souplement dans l’herbe un mètre plus bas. Je me place au centre du pré, les bras ouverts vers le ciel, le regard fixé sur l’horizon.
Le vent souffle et fait tourbillonner des milliers de petits flocons autour de moi. Son murmure s’élève dans les feuillages, plus fort et plus grave, devenant chant... devenant musique. Il me caresse le visage et la nuque, comme une invitation venue d’une autre dimension... Je lui réponds d’une profonde révérence et je m’abandonne à lui et à ses courants incessants.
Je danse.
La neige vole sous mes pas, tourbillonne autour de moi et suit le mouvement de mes bras.
Je danse en défiant le monde qui s’étend à mes pieds.
Je danse en me riant des limites, jouant avec la gravitation.
Je danse en me moquant des humains et de leurs stupides règles.
Je danse en oubliant, je danse en riant, je danse en pleurant.
Je danse parce que c’est la dernière chose qu’il me reste, la seule chose qui m’empêche de sombrer dans le désespoir et qui me tienne encore en vie... mais plus pour longtemps... je le sens...
Le vent me tend les bras, il m’attire vers lui, me demande de le rejoindre. Je ne parviens plus à lui résister. Je me sens attirée par une force que je ne contrôle pas... je ne sais plus où je suis...
Je danse, déconnectée de la réalité, hors de l’espace et hors du temps... je m’évade... je m’échappe... je m’enfuis... vers un autre univers... qui m’appelle.
Je danse. Libre. En harmonie avec le vent. Je prends mon envol.
~ * ~
Je saute.
Je suis seule, je n’ai plus rien. Et j’ai mal. Très mal.
Pourquoi continuer ?
Un sourire triste étire mes lèvres. Tout va s’arrêter. Tout sera enfin fini.
Les larmes roulent sur mes joue, mais je suis heureuse : je vais rejoindre le vent.
~ * ~
Le monde a perdu toute substance. Je flotte dans le silence du néant. Je ne sais pas où je suis, je ne sais pas ce qu’il se passe, mais, pour la première fois depuis de longs mois, je me sens bien, emplie de calme et de paix.
Et je continue de danser. Toujours. À l’infini.
~ * ~
J’ouvre un œil... et le referme aussitôt, éblouie par une vive lumière.
- Hé oh ! Réveille-toi ! Tu m’entends ?
Une voix résonne dans ma tête et m’agresse les tympans... s’adresse-t-elle à moi ?
- Ouh ! Ouh !
Je grimace... La voix est trop forte, trop violente... j’ai mal à la tête... Je n’ai pas envie de me réveiller. J’ai envie de rester dans ce monde immatériel où je ne sentais rien, ou tout était calme...
- Arrête de faire la tête et ouvre les yeux !
Ne suis-je pas sensée être morte ? Si c’est cela la mort... je pensais qu’au moins je pourrais être au calme...
- Youhou !
Je ne peux donc pas être tranquille cinq secondes ?
- Fais pas la morte, je sais que tu es vivante, je te vois faire la grimace ! C’est vrai qu’à un moment, j’ai vraiment cru que tu étais morte, j’avoue, mais là tu bouges et tu fais des grimaces alors je suis sûre que tu es vivante, je suis même sûre que tu m’entends !
Je pousse un soupir, exaspérée. Je sens que cette fille (parce que c’est une fille, cela se reconnait au son de sa voix, qui n’est certainement pas une voix de garçon) ne me lâchera pas...
J’ouvre doucement les yeux, tentant de m’habituer à l’éclatante lumière qui m’arrive dessus. Un joli visage bien dessiné, encadré de longues boucles noires, est penché au dessus de moi et me fixe de ses deux prunelles sombres, une étincelle de curiosité dans le regard. Un étrange sensation m’envahit tout à coup... j’ai la drôle d’impression de connaître cette jeune fille...
- Ça va ? me demande-t-elle en souriant.
Je ne réponds pas, encore trop sonnée pour le faire. Je regarde autour de moi : je suis allongée dans une herbe verte et douce et j’entends un cours d’eau, certainement une rivière ou un fleuve, couler tout près. Je distingue aussi des voix un peu plus loin. Le vent ne souffle plus qu’une petite bise calme… Je ne reconnais rien. Je ne suis ni au sommet de la montagne, ni là où j’aurais du atterrir après avoir sauté... Je ne suis pas là où j’aurais dû me retrouver… morte... suis-je seulement morte ?
- Où... où suis-je ? parviens-je à articuler.
- Pas loin de l’Arche, m’annonce-t-elle avec un grand sourire.
De quoi ? L’arche ? Qu’elle arche ? Je ne comprends pas... Je lui lance un regard interrogateur en fronçant les sourcils.
- L’arche ?
Son sourire s’efface et elle me dévisage comme si j’étais une extra-terrestre.
- Ba oui l’Arche ! Tu pensais être où ?
- Mais quelle arche ? m’écriai-je.
- Comment ça quelle arche ? Y’en n’a pas trente six mille !
- Ba... si... y’en a plein quand même... non ?
Décidément, je n’y comprends vraiment rien... et à la tête qu’elle fait, je me dis que je dois vraiment être une extra-terrestre...
- Je ne sais pas ce qu’il t’est arrivé, mais tu as dû te prendre un sacré coup sur la tête ! L’Arche ! Tu sais, l’œuvre de Merwyn ! La construction la plus...
- Merwyn ? la coupai-je, étonnée... avec la sensation étrange de connaître ce nom...
- Le plus grand dessinateur de tous le temps ! s’exclame-t-elle, tu ne peux pas avoir oublié ça ! Tu as forcément dû en entendre parler ! Merwyn a été celui qui a guidé les dessinateurs pour construire l’Arche ! Et Al-Jeit ! Tu ne peux pas ne pas savoir comment a été créée la capitale quand même ! Ou alors tu as vraiment pris un coup sur la tête !
- Al-Jeit... murmurai-je, incrédule... brusquement, ce nom fait déferler un flot de souvenirs en moi…
Al-Jeit ! L’Arche ! Merwyn ! Mais comment ai-je pu me demander de quoi elle parlait quand l’univers qu’elle me décrit est celui créé par mon auteur préféré ? Comment ces noms ont pu échapper à ma mémoire ?
Sauf que... il y a quand même un problème... Je lève un regard inquiet vers la jeune fille.
- Je... je suis en... en Gwendalavir ? demandai-je d’une voix hésitante, priant pour qu’elle ne me réponde pas par l’affirmative et qu’elle se demande de quoi je suis en train de parler...
- T’es vraiment bizarre toi ! Évidemment que tu es en Gwendalavir ! Où voudrais-tu être ?
Mauvaise réponse...
Comment est-ce possible ? Non, ce n’est pas possible. Soit je suis vraiment morte... soit je suis en train de rêver, il n’y a pas d’autre solution.
- Je suis morte n’est-ce pas ? J’ai sauté du haut d’une falaise, je suis morte, c’est normal...
Je suis toujours allongée dans l’herbe, elle se penche au dessus de moi avec des yeux ronds.
- Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que non tu n’es pas morte... en revanche, je ne comprends rien à ton histoire de falaises...
- Je rêve alors ? Dis-moi que je rêve !
- Ben...
Elle me regarde, ne sachant visiblement pas trop quoi faire... Je ferme les yeux. Oui c’est ça, c’est un rêve... pourtant... ce rêve me semble si réel...
- Aïe !
C’est moi qui vient de crier... la fille vient de me pincer !
- Tu vois tu ne rêves pas ! m’affirme-t-elle d’un ton moqueur. Je la fixe. Mes prunelles brunes se plongent dans ses yeux noirs...
- Mais ce n’est pas possible !
Elle hausse les épaules.
- Regarde par toi même.
Je m’assois péniblement, mon regard suivant la direction de son doigt qui désigne... l’Arche.
Je reste bouche bée. Ce que je vois dépasse l’entendement, dépasse tout ce que j’ai pu imaginé. L’Arche... immense pont de diamant qui s’élève vers les nuages, enjambant le fleuve, le Pollimage. Fleuve j’ai dit ? Le mot est bien faible pour représenter le Pollimage : c’est un océan ! De là où je suis, je ne distingue qu’une étendue d’eau à l’infini... je ne vois même pas l’autre rive ! Mon attention se reporte sur l’Arche... elle se dresse là, devant moi, comme un immense joyaux sorti d’une autre dimension, où se reflètent les rayons du soleil, la faisant étinceler de mille paillettes... C’est incroyable... C’est magique...
Pendant de longues minutes je reste là, à observer cette merveille qui ferait rougir de honte tous les plus grands constructeurs de ponts de mon monde, oubliant l’absurdité de la situation. L’Arche s’élève devant moi, avec autant de noblesse qu’une princesse.
- A voir ta tête, je devine que tu n’avais jamais vu l’Arche. T’inquiètes pas, ça fait toujours ça la première fois qu’on la voit...
Je me tourne lentement vers la jeune fille, reprenant soudant conscience que tout cela ne peut pas être possible !
- Je... tu es sûre que je ne rêves pas ?
Elle rit.
- Oui j’en suis sûre, l’Arche est bien réelle, elle est incroyable n’est-ce pas ?
- Je ne parle pas de l’Arche... je parle de ce monde... je... il n’est pas sensé exister !
Son expression se teinte d’étonnement. Visiblement, elle ne comprend pas ce que je veux dire...
- Pourquoi ce monde serait-il sensé ne pas exister ? demande-t-elle en fronçant les sourcils.
- Mais... parce que c’est un monde imaginaire ! Il n’existe que dans les livres ! Il n’est pas réel !
- Les livres ? Quels livres ?
Elle me prend pour une folle, il n’y a pas de doute là dessus. En quelques minutes son expression est passée de joyeuse et moqueuse à effrayée et inquiète. Et moi, je n’y comprends plus rien... d’autant plus que plus je la regarde, plus je suis sûre que son visage ne m’est pas inconnu... mais je n’arrive pas à mettre un nom dessus...
- Bon, reprend-elle, ne bouge pas, je vais chercher de l’aide...
Elle se lève. Je la retiens.
- Non, attend ! Je ne suis pas malade, je vais bien... enfin presque... je... c’est complètement fou...
- De quoi ? me demande-t-elle au bord de l’exaspération.
Je pousse un soupir, je lui dois bien des explications... mais comment expliquer quelque chose que je ne comprends pas moi-même ? Prenant mon courage à quatre mains, je me lance :
- C’est difficile à croire, moi même j’ai du mal... mais... voilà, en fait, je ne suis pas de ce monde...
La jeune fille me fixe avec un soudain intérêt pour mes paroles tandis que je continue.
- Je ne sais pas comment j’ai atterri ici... Je ne comprends pas comment...
Je m’arrête, hésitante. Je ne sais pas par où commencer, je ne trouve pas les mots, je ne sais pas comment faire pour lui expliquer sans qu’elle me prenne pour une folle... si ce n’est pas déjà fait.
- Dans mon monde, Gwendalavir est née de l’imagination d’un écrivain, c’est pour cela que je disais qu’il n’était pas sensé exister, c’est l’invention d’un homme, qui a écrit un livre dont l’histoire se déroule en Gwendalavir... ce n’est qu’un monde imaginaire... Pourtant... je suis là... l’Arche est devant moi... je ne comprends pas... c’est incroyable !
L’expression de la jeune fille se peint d’un mélange entre l’étonnement et l’émerveillement.
- Ouah... tu veux dire que tout ce qui existe ici... c’est lui qui l’a inventé ? Mais c’est un Dieu ! Je ne pensais pas qu’il existait un Dieu qui ait tout créé mais maintenant que tu le dis... Wahou ! Il existe donc un Dieu créateur de ce monde et tu... tu viens du monde de ce Dieu ! Mais en fait, tu es une déesse !
Je suis déconcertée par sa tirade... une déesse ? Pierre Bottero... un Dieu ? Le Dieu créateur de Gwendalavir... et pourquoi pas ? Et si, en effet, Gwendalavir s’était créé de ses écrits ?
- Il est comment ce Dieu ? Et c’est comment ton monde ? Il y a d’autres dieux et d’autres déesses ? Vous êtes beaucoup ? Ils te ressemblent ? Mais alors vous nous ressemblez ! Je n’arrive pas à y croire... je suis avec une déesse ! Et...
- Stop ! criai-je pour arrêter le flot de parole qui s’échappe de ses lèvres, je ne comprends rien à ce que tu racontes si tu parles aussi vite. Je me ferai un plaisir de répondre à tes questions, mais une à la fois.
Je lui adresse un clin d’œil tandis qu’elle prend une mine désolée.
- Excuse-moi... je me suis un peu laissée emportée... c’est que... c’est tellement génial !
Elle m’adresse un immense sourire.
- Au fait... comment tu t’appelles ?
- Élodie, lui répondis-je en lui rendant son sourire, et toi ?
- Moi c’est Éole.
- Éole ? répétai-je bêtement, tu... Éole comment ?
- Éole Létoile, se présente-t-elle avec un clin d’œil.
Mon sourire se fige soudain. Éole Létoile... serait-ce possible que... Oh non ! Je sais maintenant à qui cette fille me fait penser ! Éole ! C’est Éole !
- Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es devenue toute pâle d’un coup...
Je pose mon regard sur elle sans réussir à prononcer un mot... il n’y a pas de doute... c’est bien elle...
- Ben... tu... je... balbutiai-je.
Elle hausse un sourcil. Comment... Je prends une bonne inspiration avant de lui expliquer.
- Écoute, c’est encore plus difficile à croire que le fait que je vienne d’un monde où Gwendalavir est l’univers d’un livre, mais... en fait, comme l’auteur dont je te parlais a créé ton monde, c’est... c’est moi qui t’ai créée...
- Hein ? Tu veux dire que...
- Que j’écris ton histoire, tu es mon personnage.
Elle me fixe, bouche bée...
- Mais je ne comprends pas... si c’est lui qui a créé Gwendalavir, comment... et puis là, ça voudrait dire que tu... que tu es en train d’écrire notre rencontre, pourtant tu es là...
Je lui lance un regard désolé.
- Je t’avoue que la situation m’échappe un peu... beaucoup même... je te rassure, je ne comprends pas plus que toi.
- Par la Dame ! C’est complètement fou ! s’exclame-t-elle en souriant.
Je souris à mon tour et on se met à rire toutes les deux de la situation. Une fois le rire passé, elle se lève et me tend la main.
- Allez viens ! Cela ne sert à rien de se faire une entorse au cerveau pour essayer de comprendre l’incompréhensible. Profitons du fait qu’on est ensemble pour apprendre à se connaître... c’est vrai quoi, on a pas tous les jours la chance de rencontrer celle qui écrit notre vie !
Elle marque une pause pour réfléchir...
- Quoique... je n’aime pas trop l’idée que je ne contrôle pas ce que je fais... mais après tout, je dois quand même avoir une certaine autonomie puisque même toi tu ne contrôles pas tout, la preuve, tu n’avais pas prévu cela !
Elle m’adresse un clin d’œil et je lui souris en retour en attrapant sa main.
- Tu pourras aussi me faire visiter !
- Bien sûr ! répond-elle d’un ton enjoué, d’ailleurs on commence tout de suite, on va s’approcher de l’Arche et après je te ferais découvrir Al-Jeit !
Elle m’entraîne en riant vers l’immense pont. Je la suis en mêlant mon rire au sien. Cela fait longtemps que je n’avais pas ris autant.
~ * ~
- Voilà, tu sais tout.
On est assise côte à côte au sommet de l’Arche. La nuit est tombée et des milliers d’étoiles brillent au dessus de nos têtes. Une larme coule silencieusement sur ma joue. Je lui ai tout raconté. Tout. Depuis le début. Elle pose une main apaisante sur mon épaule cherchant mon regard.
- Je sais... c’est idiot... et complètement ridicule face à certains problèmes, bien plus grave... mais... je me sens vide... et si seule... Je n’ai osée en parler à personne tant cela me semble dérisoire de l’extérieur... pourtant, j’ai si mal Éole... si mal...
- Il n’y a pas de problème plus grave qu’un autre, pas une raison de pleurer meilleure qu’une autre Élodie. Si il te fait souffrir au point que tu n’aies même plus envie de vivre, c’est qu’au fond de toi, ce problème a atteint une gravité réelle. Peu importe qu’il semble dérisoire, ta souffrance est là, dans ton cœur et elle te fait mal. Elle a besoin d’être écoutée, d’être entendue et d’être soignée. Peu importe son origine, peu importe sa nature. Cela ne sert à rien de la refouler, de se dire que en fin de compte, ce n’est pas si grave, cela ne fait que l’empirer... tu vois bien où cela t’a menée.
Je lui adresse un regard reconnaissant. C’est une des rares personnes qui ne se moquent pas de moi en disant «quoi ? tu pleures pour ça ? mais c’est pas si grave !» ou encore «t’as pas encore tournée la page ? c’est complètement débile de se mettre dans des états pareil pour ça ! c’est rien...». Au contraire de ces personnes, Éole ne s’arrête pas à la surface du problème mais elle comprend la souffrance qu’il cache. Et cela fait du bien d’être en présence de quelqu’un qui écoute, qui comprend, et qui ne se moque pas.
Je lève vers elle un regard chargé de tristesse, un regard qui demande à l’aide.
- Pourquoi je n’arrive pas à passer à autre chose ? Pourquoi cela me fait-il encore si mal, après tout ce temps ?
Seul son silence me répond. Elle tourne la tête, posant son regard sur les courbes de l’horizon, perdue dans ses pensées. Mes yeux vont, à leur tour, chercher la ligne au loin, à l’infini.
Nous restons là un instant, enveloppées dans le silence de la nuit. C’est moi qui brise ce moment d’une voix faible.
- Pourquoi je n’arrive pas simplement à l’oublier ? À accepter qu’il ne fasse plus parti de ma vie ? Pourquoi son souvenir m’empêche-t-il à ce point de vivre et me remplie de haine ? C’est comme si il m’avait donné un coup de poignard dans le cœur, ouvrant une plaie béante qui saigne abondamment...
- Mais c’est ce qu’il a fait Élodie. Tu lui as offert ton cœur, il te l’a rendu avec autant de précaution que s’il t’avait redonné une vieille paire de chaussettes trouées ! Il te l’a renvoyé avec lâcheté, en te le balançant en pleine figure sans prévenir, sans que tu aies le temps de le rattraper... Il te l’a déchiré en prenant celui d’une autre. Une autre qui était ton amie en plus. Ils ont tous les deux planté une lame dans la poitrine. Ton cœur est blessé, la blessure est plus grande que ce qu’on aurait pu imaginé, plus grande qu’elle ne l’est normalement. Peut-être parce qu’ils étaient deux à te l’infliger....
- Il y a des soirs où je rêve que je les tue tous les deux... que je les fais souffrir autant que je souffre, que je les fais saigner autant que je saigne... Ces soirs-là, où mes pensées ne sont que haine et soif de vengeance, je me fais un plaisir à les torturer... je me délecte de leur douleur et de leur peur, je m’hydrate de leur sang... c’est horrible Éole... c’est horrible...
La jeune fille passe son bras autour de mes épaules alors que je me suis mise à trembler... j’ai peur...
- Je ne sais pas quoi faire pour t’aider, m’avoue-t-elle d’une voix désolée, je me sens si impuissante... j’aimerais vraiment pouvoir faire quelque chose...
- Tes paroles m’ont déjà fait beaucoup de bien tu sais... et ta présence à me côtés me rassure... Tu m’aides rien qu’en étant là, près de moi...
Un faible sourire nait sur ses lèvres, en écho à celui qui vient de se dessiner sur les miennes. Je me redresse en prenant une bonne bouffée d’air frais.
- En attendant, je suis en Gwendalavir et c’est merveilleux. Je suis très loin d’eux, alors, comme tu l’as dit tout à l’heure, autant en profiter, tu n’as pas dit que tu me ferais visiter ?
Son sourire s’agrandit tandis qu’elle me répond de sa voix cristalline.
- Cela va nous prendre des mois... en plus, je ne connais pas grand chose, tu dois le savoir, je n’ai pas beaucoup voyagé, mais... on va tenter l’impossible !
- Impossible... mmh... beaucoup de choses que je pensais impossibles se sont révélées possibles... donc...
- En route ! me coupe-t-elle en se levant.
Je l’imite en lui adressant un immense sourire, achevant de sécher mes larmes.
- Il y a juste un problème, annonce-t-elle soudain.
- Ah bon ? Lequel ?
- Tu n’as pas de cheval ! Tu ne vas quand même pas me suivre à pied !
- Non en effet...
Elle rit en me prenant la main.
- On va commencer par allez dormir. On résoudra le problème du cheval demain.
Elle m’adresse un clin d’œil complice et m’entraîne vers une petite auberge au pied de l’Arche.
Je me sens déjà un peu mieux.
~ * ~
Nous n’avons pas eu besoin de chercher un cheval. On n’en aurait pas eu les moyens de toute façon, et on le savait aussi bien l’une que l’autre.
- On verra si on peut en emprunter un à Al-Jeit... sinon... on improvisera ! Tu aurais pu me doter de plus d’argent quand même !
Elle m’a tiré la langue avant d’ajouter :
- On va monter toutes les deux sur Bolshoï pour aller jusqu’à Al-Jeit.
J’ai hoché la tête en souriant. Bolshoï...
- Tu sais d’où vient son nom ?
- Non, m’a-t-elle avoué en secouant la tête, quand il est arrivé au ranch, il s’appelait déjà comme ça...
- La compagnie du Bolshoï est une compagnie de danse très réputée dans mon monde.
- Oh ! Il y a de la danse dans ton monde aussi ?
- Bien sûr ! À ton avis, pourquoi aimes-tu autant la danse ?
- Tu... toi aussi tu aimes la danse ?
- Plus que tout au monde, Éole !
Elle m’a souri.
- Et tu sais d’où vient ton nom ?
- Éole ? Euh non...
- Dans une civilisation de mon monde, Éole est le dieu du Vent...
- Vous avez des dieux ?
J’ai hoché la tête pour lui confirmer.
- Éole... le dieu du Vent... a-t-elle répété en me souriant, merci Élodie.
Sur ces paroles nous avons enfourché le cheval noir et nous avons galopé presque toute la matinée.
On est arrivée aux portes de la capitale alors que le soleil atteignait son zénith. Je suis restée sans voix devant la splendeur d’Al-Jeit... comment est-il possible de bâtir une ville pareil ? Al-Jeit se dressait telle une reine au sommet d’une colline, surplombant la plaine qui s’étendait à ses pieds, vierge de toute habitation. Une sensation de paix a déferlée en moi à l’instant où j’ai posé les yeux sur elle. La ville n’était que lumière et éclat de pureté. D’immenses tours de verre, reliées entre elles par tout un réseau de passerelles, s’élevaient pour tendre leurs pointes vers le ciel bleu, reflétant les rayons du soleil de midi. Face à nous se tenait la porte de saphir, haute et lumineuse. Un pont en saphir permettait de rejoindre la ville, en passant sous une cascade qui reflétait toutes les nuances de bleu possible. En arrivant au dessus du pont, l’eau se séparait en deux pour tomber de chaque côté dans un bruit cristallin. C’était... magique.
Je n’arrivais plus à prononcer un seul mot tant ils me semblaient faibles devant la merveille que j’avais sous les yeux.
À côté de moi, Éole souriait, et son sourire était à l’image de la capitale : lumineux et serein.
- Bienvenue à Al-Jeit Élodie.
Incapable de parler, je lui ai souris.
Plus tard, nous sommes arrivées à une petite auberge, où nous avons laissé Bolshoï aux bons soins du garçon d’écurie, avant de réserver une chambre pour la nuit et de manger notre déjeuner. Après quoi la jeune fille m’a fait visiter la capitale.
Je n’ai pas prononcé un mot de toute l’après-midi. Je ne parviens toujours pas à exprimer ce que j’ai ressenti en découvrant Al-Jeit. C’est une sensation trop forte, trop puissante pour pouvoir mettre des mots dessus. Éole a respecté mon silence en ne parlant que pour me citer les noms des places où les quelques anecdotes qu’elle avait à me raconter.
Le soir est tombé et on est retournée dans notre petite auberge pour dormir. Si Éole s’est endormie alors qu’elle était à peine dans son lit, cela n’a pas été mon cas. Je n’ai pas réussi à trouver le sommeil, ma douleur au cœur se réveillant soudain. Je repensais à tout ce qu’il m’était arrivé ces deux derniers jours, ressassant sans cesse les mêmes questions. Avais-je basculé dans ce monde parce que j’étais morte dans le mien ? Ou alors, est-ce que je suis vraiment arrivée ici et cela m’a sauvé la vie, comme Ewilan dans les livres ?
Ces questions sont restées sans réponse et, rapidement, mes pensées se sont tournées vers... Lui. Et Elle aussi. Les deux personnes qui m’ont brisé le cœur. Certes, je me sentais un peu mieux depuis que j’avais trouvé Éole, certes, elle avait réussi à me faire rire, mais... j’avais quand même mal. J’avais toujours très mal. La douleur pesait sur mon cœur et a fait monter mes larmes. La haine m’a envahit brusquement réveillant en moi une envie de meurtre et de sang... j’avais envie de les torturer, de les faire souffrir au point qu’ils me supplient à genoux de les épargner. Une rage s’est insinuée en moi, faisant trembler tout mon corps... Il restait une partie en moi qui avait encore un peu de raison et qui trouvait cette réaction complètement exagérée... je me suis mise en colère, pestant contre moi-même, augmentant ainsi la souffrance qui me pesait sur le cœur…
Je me suis levée et je suis sortie prendre l’air. J’ai quitté la ville pour me retrouver seule au milieu de la plaine qui entourait la capitale. J’ai levé mes yeux emplis de larmes vers le ciel nocturne.
- Pourquoi ? ai-je crié à l’attention de la lune.
J’ai observé les étoiles, cherchant une réponse. De grosses larmes roulaient sur mes joues, sans que rien ne les arrêtent.
- Je ne comprends pas... ai-je murmuré au vent, en tombant à genoux dans l’herbe, incapable de retenir les sanglots qui secouaient mon corps. Stupide... je me trouvais stupide. Pourquoi cela me faisait-il pleurer autant ? Pourquoi cette douleur qui déchirait le fond de mon cœur, irradiant tout mon corps ?
Je me sens si seule...
Mes sanglots se sont tus, laissant place au silence de me larmes. Un silence qui criait ma détresse à la nuit. Je me suis allongée dans l’herbe, sur le dos, implorant les étoiles, demandant de l’aide à la lune, essayant de trouver du réconfort dans les méandres du vent.
Soudain, le ciel s’est déchiré et une masse énorme est apparue dans la nuit, filant droit dans ma direction. Plus elle se rapprochait, plus elle devenait énorme... La terreur a brusquement stoppé mes larmes.
La chose gigantesque a poussé un rugissement qui a fait tremblé la terre. Mes yeux se sont ouverts en grands, le cri qui allait jaillir s’est coincé dans ma gorge tandis que l’animal se posait au sol, déplaçant tant d’air que j’ai bien failli m’envoler... J’ai été prise de stupeur en découvrant la nature de cet animal… Devant moi se tenait... un dragon ! Non, pas un dragon... Le Dragon, Héros de la Dame...
La surprise passée, je me suis redressée en me demandant ce qu’il faisait là... Il était immense, puissant, imposant... Son regard brûlant a plongé dans le mien.
«Quelque chose de bien noir entoure ton cœur jeune Élodie.» J’ai sursauté en entendant résonner la voix du Dragon dans ma tête. J’étais figée, incapable de prononcer un seul mot, mélangée entre la peur et l’admiration...
«Tu dois te demander pourquoi je suis venu à ta rencontre jeune fille, n’est-ce pas ?»J’ai hoché la tête doucement, totalement incrédule.
«Ma Dame m’a demandée de te retrouver. C’est elle qui t’a fait venir ici pour te sauver la vie, et pour sauver ton cœur.»Quoi ? La Dame... mais pourquoi ? Pourquoi a-t-elle décidé de me sauver la vie ? Et qu’entendait-il par sauver mon cœur ?
«Trop de questions se bousculent dans ta tête demoiselle, grimpe sur mon dos, je t’emmène trouver des réponses.»- Mais... pourquoi... ai-je enfin réussi à balbutier.
«Pourquoi ma Dame t’a sauvé ? Je l’ignore. Elle n’a jamais fait cela. Jamais elle n’a sauvé un humain de ton monde... pourquoi toi et pas un autre ? Elle seule le sait. Laisse tes questions de côté et viens avec moi.»J’étais terrifiée à l’idée de monter sur son dos... et en même temps, j’étais super excitée... qui n’a jamais rêvé de voler à dos de dragon ?
- Je... je peux prévenir Éole avant de partir ? ai-je osé demander.
Le Dragon a cligné des paupières.
«Va. Mais fait vite. Je t’attends ici.»En guise de remerciement, j’ai souris en hochant la tête et j’ai fait demi-tour vers Al-Jeit. J’ai couru jusqu’à l’auberge, Éole dormait à poings fermés. N’osant pas la réveiller, j’ai griffonné quelques lignes sur un bout de papier et je suis retournée vers le Dragon. Il était toujours au même endroit. Je me suis arrêtée à quelques pas de lui, hésitante. Il m’a fait un signe de la tête pour me dire de grimper sur son dos et je me suis remise à avancer vers lui. Une fois bien assise, il a décollé.
Si je devais résumé mon voyage en un mot ce serait : fantastique. Et complètement fou. Je volais. Le vent soufflait sur mon visage, me caressant la nuque et faisant onduler mes cheveux. En dessous de moi, le paysage défilait à une vitesse hallucinante. J’apercevais tantôt une plaine, tantôt des montagnes, tantôt une forêt. Ne connaissant pas la carte de Gwendalavir par cœur, je n’avais qu’une vague idée de ce que je survolais. Je crois avoir reconnu les montagnes de l’est et aperçu la jungle d’Hulm mais c’est tout. D’autant plus que, parfois, les nuages en contrebas me masquaient la vue de la terre créant un océan de coton sous mes pieds. Cela aussi était magnifique.
Je ne sais pas combien de temps a duré le voyage. Une écharpe de brume s’étendait sous mes pieds quand le Dragon a amorcé sa descente. Il s’est posé en douceur et m’a laissé glisser à terre.
«Bonne chance jeune Élodie. Puisse le Vent souffler toujours à tes côtés.» me murmura-t-il avant de s’élever vers les cieux, créant une bourrasque d’air en décollant.
Encore un peu flageolante sur mes jambes après le vol, j’ai regardé autour de moi pour tenter de savoir où il m’avait emmenée.
La brume s’était dissipée et je voyais maintenant une étendue d’eau devant moi, claire et pure, miroitante, où se reflétaient les premiers rayons de soleil. Elle était d’un bleu si intense et si limpide que cela semblait irréel, tout droit sorti d’un tableau. C’était un lac, entouré de rochers d’un blanc éclatant qui renvoyaient la lumière matinale en une myriade de petits points scintillants, comme si des diamants étaient incrustés dans la roche. Du paysage, incroyable harmonie entre le bleu et le blanc, émanait la paix et la sécurité.
Je savais où j’étais. Il n’y avait pas de doute possible, je le ressentais au plus profond de mon âme. Le lac devant moi dégageait une telle force, une telle puissance que je me suis inclinée respectueusement devant lui dans la plus profonde et la plus noble de mes révérences.
L’Œil d’Otolep.
~ * ~
Je me tiens debout sur la berge du lac, peinant à croire ce qu’il m’est arrivé. Éole et moi n’avons pas eu besoin de réfléchir au problème du cheval. Le Dragon, pour je ne sais qu’elle raison, m’a servi de moyen de transport. Et il m’a emmenée vers l’un des lieux que j’ai toujours rêvé visiter...
Une larme m’échappe, coule sur ma joue et vient se briser à mes pieds. Je sais pourquoi je suis là. Je sais pourquoi la Dame a voulu que son Héros m’emmène jusqu’ici.
Pour sauver mon cœur.
Un sentiment étrange m’attire vers le lac. Je ne cherche pas à lui résister, j’avance calmement. Bientôt mes pieds rencontre l’eau fraiche de l’Œil. Doucement je m’immerge sous sa surface.
L’eau m’enveloppe d’une onde bienfaisante. Sa fraicheur m’apaise et m’assainit. Je me sens bien.
Je sens la présence bienveillante de l’Œil d’Otolep tout autour de moi.
Je flotte dans ses eaux dans un état second, hors de l’espace et hors du temps, défiant la gravitation. Mon corps ne manque pas d’oxygène, c’est l’Œil qui me le fournit.
Les courants m’enlacent, lavent mon corps, mon esprit et mon âme de toutes saletés. La conscience du lac me soigne et guérit mon cœur. Elle nettoie et désinfecte la plaie. Je sens une onde de fraicheur l’envahir et calmer la douleur. Le fil des eaux du lac recoud la plaie avec douceur.
La souffrance et la haine, la rage et la colère, tous ces noirs sentiments me quittent peu à peu.
Mon âme s’apaise.
Je souris, me laissant bercée par les mouvements de l’eau.
Puis, doucement, l’eau glisse sur mon corps, les bras de l’Œil me lâchent, ma tête émerge de l’eau et je refais surface.
Je me retrouve sur la berge devant le magnifique spectacle que m’offre le coucher de soleil au dessus de l’Œil d’Otolep.
Les rayons orangés teintent l’eau de doré, reflétant l’or sur les rochers. Je ferme les yeux et prend une bonne bouffée d’air.
Je me sens bien, je me sens vivante.
Le vent s’élève doucement, me tendant la main, m’invitant à me joindre à ses courants. Je me laisse glisser sur eux. Mes bras suivent ses mouvements, mes pieds caressent doucement la roche.
Danse.
Je danse pour remercier l’Œil d’Otolep, le Dragon et sa Dame.
Je danse souriant à l’univers, une onde nouvelle coulant dans mes veines, un sentiment de bonheur pur dans mon cœur, que la douleur a quitté.
Je danse les yeux fermés, les limites n’existent plus.
Je vole. Sur les Ailes du Vent.
Un œil immense brille soudain derrière mes paupières closes. Bienveillant.
La Dame.
«Ces deux personnes t’ont fait beaucoup de mal. Ne leur donne pas le pouvoir de t’anéantir. Laisse-les vivre leur vie de leur côté, ils ne méritent pas cette attention que tu leur portes, ils ne méritent pas ta souffrance, ils ne méritent pas tes pleurs. Confie-les au néant et libère ton cœur.»La voix de la Dame résonne dans mon esprit, calme et apaisante. La force de cette voix achève d’ôter toute trace de souffrance en moi.
«Ta plaie est refermée, mais elle n’a pas encore cicatrisée, tu t’en doutes.»J’hoche la tête.
«C’est à toi maintenant de prendre soin de ton cœur pour qu’il guérisse totalement.
Continue de vivre comme tu l’as toujours fait avant eux.
Danse, danse avec le Vent, il ne te laissera jamais tomber. La Danse te guérira, elle coule en toi, laisse-là te soigner.
Aie confiance, jeune fille, aie confiance en la Vie.»Elle marque une pause, son œil brillant me fixe et lit en moi. La Dame est majestueuse, d’un noir de nuit luisant, elle est là, devant moi, immense reine de l’univers.
Une réalité s’impose soudain à moi. Éole se trompe. Pierre Bottero n’est pas un dieu, n’est pas le Dieu qui a créé Gwendalavir. C’est la Dame qui a guidé sa plume pour qu’il puisse offrir au monde, à mon monde, les portes de Gwendalavir. Et la Dame l’a rappelé vers elle. Il avait achevé son rôle sur terre. Je souris.
Une paupière s’abaisse sur l’œil de la Dame, confirmation silencieuse de mes pensées.
«Tu dois te demander pourquoi je t’ai faite venir ici, pourquoi j’ai choisi de te sauver.» reprend-elle.
J’hoche la tête, n’osant pas parler de peur que les mots gâcheraient la pureté de cet instant, de peur que tout disparaisse soudainement...
«Une force très puissante coule en toi, Élodie, je crois que tu en as conscience. Une vraie et belle force qui ne peut que te pousser vers l’avant, une force qui me touche et que j’ai envie de voir briller encore. Cette force, tu le sais, c’est la Danse.»Ses paroles me touchent au plus profond de mon âme... la Danse... Reconnaissante envers elle, je lui adresse la plus belle révérence que je puisse lui offrir.
«Promet-moi une chose jeune fille, ne laisse rien ni personne gâcher ton bonheur. Danse. Toujours.
Promet-moi que tu n’arrêteras jamais de danser.»La voix de la Dame s’éloigne doucement, je sens le monde tourner autour de moi. Peu à peu, le paysage que j’ai quitté réapparaît. Les montagnes se dessinent à l’horizon, le val s’étend de nouveau à mes pieds, parsemé de petites maisons de campagnes. Je suis de nouveau au sommet de la montagne, au dessus de la falaise qui surplombe le village. L’herbe douce ondulent au gré du vent qui murmure dans le bois d’à côté.
Les nuages se sont effacés dans le ciel, laissant la place à un bleu étincelant. Le soleil baigne la vallée d’une lueur douce.
Les derniers mots de la Dame résonnent encore en moi.
«Promet-moi que tu n’arrêteras jamais de danser.»- C’est promis, je chuchote au vent, le sourire aux lèvres.
Heureuse.
~ * ~
Lorsqu’Éole se réveilla ce matin là, elle trouva un petit bout de papier sur la table de chevet. Quelques lignes avaient été tracées d’une écriture soigneuse, mais elle ne parvint pas à les déchiffrer, comme si le temps les avait effacées, rendant leur lecteur impossible. En haussant les épaules elle glissa le papier dans sa poche. Elle le jetterait dans le premier feu qu’elle verrait.
La jeune fille se trouvait dans une petite auberge à Al-Jeit, dans une chambre double. Pourquoi une chambre double ? Elle ne se rappelait pas avoir rencontré quelqu’un... ni avoir dormi avec quelqu’un… Qui donc s’était couché dans l’autre lit ? Elle haussa de nouveau les épaules en sortant, ne cherchant pas à comprendre, se disant qu’il existe parfois des situations qui nous échappent. Elle se dirigea vers les écuries où elle récupéra Bolshoï.
- J’ai fait un drôle de rêve cette nuit... lui murmura-t-elle avant de grimper sur son dos.
Le petit hongre ne faisant pas mine d’être intéressé par son histoire, sa jeune maîtresse sourit en secouant la tête.
- Tu t’en moques hein ? Bon allez, en route !
Elle lança sa monture au pas et pris la direction de l’Académie des Marchombres avec la drôle de sensation d’avoir un trou de mémoire…
~ Fin ~