Keilan Fil'Areen

J’ai deux vies.

La première est celle d’un petit garçon nommé Lean par ses parents. Lean Fil’Areen, deuxième du nom pour être né huit ans après Jenaëlle, mais deux minutes et quarante-huit secondes avant Keilan. Ce petit garçon aurait pu être fils unique, il aurait peut-être même dû... le hasard en a voulu autrement.

Pourquoi est-ce que je dis ça ? A cause de la déception de Jenaëlle, qui voulait une petite sœur et s’est retrouvée avec deux frères sur les bras ? Ou bien parce que Vehume Fil’Areen, maman plus si jeune, n’avait que très peu de temps à accorder à ses enfants ? Non. La vérité, c’est que Lean vivait très bien tout seul. Bien sûr, les premières années il lui fallut dépendre de son entourage pour vivre et grandir. Ce fut Qyllie, jeune fille au pair engagée par les Fil’Areen un peu après la naissance de Jenaëlle, qui s’en chargea. Et elle fit cela très bien. Il l’appelait maman.




Petite noblesse d’Al-Jeit. Père peu présent, mère peu aimante. Enfants élevés par une nourrice adorable, Qyllie. Une grande sœur, Jenaëlle, et un frère jumeau, Keilan. Les jumeaux sont proches et Jenaëlle s’est toujours sentie isolée, rejetée, abandonnée. Elle a nourri une certaine rancœur qui s’est accrue avec le temps. Ils considèrent Qyllie comme leur propre mère, mais Lean est sans doute celui qui éprouve le moins de rapports faciles avec sa famille, à cause de son Asperger.




Lean vivait très bien tout seul. Il n’était jamais très loin de Keilan mais, quand il jouait, c’était dans son monde, un univers qui répondait à ses besoins et prenait les couleurs de son imagination débordante. L’entrée était tellement bien dissimulée que rares étaient les personnes qui cherchaient à s’y faufiler. Jena en faisait partie, et elle s’en mordit les doigts. Qyllie essaya elle aussi, mais contrairement à Jenaëlle, elle comprit très vite que Lean n’aimait tout simplement pas partager son espace. Elle fut la seule à le respecter. Elle fut donc la seule qu’il respecta en retour.

Que dire de Lean ? Comme il était du genre solitaire, on le laissait généralement dans son coin. Il ne faisait pas de bruit, pas de vagues alors que Keilan, lui, semblait s’être mis en tête de compenser la discrétion de son jumeau par un attrait pour les bêtises. Parfois, c’était simplement pour attirer l’attention sur lui, lorsqu’il devinait que son frère commençait à se sentir mal, à respirer de travers. Une diversion, voilà ce qu’était Keilan pour Lean. Une diversion et un double, un négatif qui lui ressemblait très pour trait, à l’exception d’un grain de beauté, mais qui ne parvenait pas non plus à pénétrer dans sa bulle. Il ne comprenait pas comment il pouvait être à la fois si proche et si loin de son frère.

En vérité, personne ne comprenait Lean.

Lui ne se posait pas beaucoup de question. Ou plutôt si, mais elles n’avaient rien à voir avec l’étrangeté de son comportement. Il se demandait pourquoi l’herbe était si verte quand le ciel était si bleu. Il se demandait si tout le monde voyait le même vert et le même bleu. Si les hommes avaient décidé eux-mêmes de nommer les couleurs, ou si on avait décidé pour eux. C’étaient des questions qu’il ne posait pas aux adultes, puisqu’on ne lui répondait jamais autrement que par un regard interloqué.

Vehume, sa mère, et Ravel, son père, ne savaient pas comment s’y prendre avec lui. Tout petit déjà, Lean ne supportait pas qu’on le prenne dans les bras. C’était l’inverse de Keilan, il pleurait jusqu’à ce qu’on le pose. En grandissant, il continua à fuir le moindre contact physique et cela contribua, je pense, à l’éloigner davantage de sa famille… sauf de Keilan. Leur lien était invisible et demeurait puissant. L’avoir dans son champ de vision, l’entendre respirer non loin suffisait à rassurer Lean.

Un jour pourtant, Keilan disparut.

Je m’en souviens comme si c’était hier. Je me souviens du froid qu’il faisait au plus fort de l’hiver, alors que la neige avait envahi la cité, recouvert les toits, les rues, figé le temps dans un écrin de glace et de flocons légers qui jouaient avec le vent. Je me souviens que les fumées de cheminées s’élevaient dans le ciel. Je me souviens que la nuit était claire et la lumière de la lune intense, irréelle. C’était Keilan qui avait eu cette idée, bien sûr. Jamais Lean n’aurait pris les devants pour se faufiler à l’extérieur de la demeure familiale, seulement vêtu d’un pyjama et d’une couverture, pour franchir les murs de la ville et se perdre en pleine nature. Lui, il avait simplement suivi, comme d’habitude.
Dans son monde, le froid, la neige, la nuit étaient comme un tableau, une peinture dans laquelle il se promenait, petit personnage de sept ans à peine, héros d’une histoire sans fioriture, figurant dans une bêtise qui n’en avait pas encore les couleurs.

- C’est beau, hein ?

Keilan avait un sourire jusqu’aux oreilles alors qu’il tremblait de tous ses membres. Lean ne répondit pas. Il se contenta de grelotter derrière son frère. Je me souviens m’être mordu plusieurs fois la lèvre. Le lac gelé, miroir dans lequel s’observaient la lune et les étoiles, se révéla être le meilleur terrain de jeu du monde. Pour une fois, Lean entrouvrit légèrement la porte du sien et attrapa la main de Keilan pour se laisser emporter sur la glace. Ils perdirent l’équilibre, se relevèrent, évoluèrent sans grâce mais avec audace sur le lac. L’exploit n’avait pas d’autre spectateur que les ombres silencieuses de la nuit et l’écho tout frais et tintinnabulant de la jeunesse.

- Lean, vise un peu ça !

Lean tenait à peine sur ses jambes. Il avait lâché la main de son frère pour avancer seul, comme à son habitude, et celui-ci tentait une pirouette particulièrement périlleuse lorsque, tout à coup, la glace céda sous son maigre poids. Keilan battit des bras, chercha un équilibre qu’il ne trouva pas et bascula. S’enfonça dans les eaux noires. Disparut sous la glace qui se reforma, inexorable, comme pour cacher le drame qui venait de se produire.

A genoux, les paumes plaquées sur le gouffre vertigineux qui les séparaient désormais, Lean vit son frère se noyer. Il paniqua. Son souffle se bloqua. Il se noya aussi, à l’air libre, et lui n’en mourut pas mais...

J’ai deux vies.
La première est celle d’un petit garçon nommé Lean.
La deuxième est celle de mon frère jumeau, mort cette nuit-là au fond d’un lac gelé. C’est elle que je vais vous raconter parce que c’est devenu la mienne.

Je m’appelle Keilan Fil’Arren.

J’ai pris l’identité de mon frère sans réfléchir, ou plutôt si : j’ai anticipé la réaction de ma famille en apprenant la mort de Keilan. Le fils prodige, celui qui se fait remarquer mais qui se laisse aimer. Celui qui ne pose pas de questions étranges et qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense. Je n’ai jamais eu l’impression d’envier Keilan, et je ne pense pas que c’est le cas. Il était inaccessible pour moi, au moins autant que je l’étais pour lui. Si j’ai fait cela, c’est parce que je ne savais pas quoi faire d’autre… expliquer que j’avais suivi mon frère au beau milieu de la nuit ? Regarder mes parents et ma sœur pleurer, impuissant, incapable de les consoler ? Oh, ils pleurèrent. Ce petit Lean, ils l’avaient chéri en dépit de son comportement. Mais il leur restait Keilan, celui qui pourrait assurer la lignée, supporter sans faillir l’héritage d’une famille avec tous ses titres de noblesse…



Kei est un garçon ordinaire. Ce qui le démarque peut-être est son regard, très pâle et généralement fuyant. Il ne regarde pratiquement jamais personne dans les yeux. Ses iris sont vert lorsqu’il fait soleil, mais ils tirent sur le gris quand il fait plus sombre. Il a des sourcils assez épais, des traits délicats, un visage fin encadré par des mèches châtaines, toujours désordonnées. Elles poussent parfois jusqu’à ses épaules. Un large menton, une petite fossette, mais aucune expression particulière ; Kei sourit peu. Il est difficile de déchiffrer son humeur. Ses émotions passent davantage par le son de sa voix, grave, un peu rauque, ou encore la tension de ses muscles. La seule façon de le distinguer de son frère jumeau est un grain de beauté au creux de l’épaule droite. Kei est grand et mince. Il mesure 1,83m pour 74 kilos. Il n’est pas très musclé mais il compense facilement sa force par une souplesse et une agilité étonnantes.




J’ai joué le jeu, et pour moi c’était bien cela : un jeu dont je maîtrisais les règles. Cette nuit-là, je dis au revoir à Lean et j’endossai l’identité de mon frère. Je m’intégrai à la « normalité » toute relative de ce monde, leur monde à eux. Ils n’y virent que du feu. Sauf Qyllie. Elle nous avait élevés et savait nous distinguer mieux que la femme qui nous avait mis au monde. Elle devina tout de suite que je n’étais pas celui que je prétendais être. Ces larmes à elle furent sincères et, d’un accord tacite, scellé par l’échange d’un regard, elle accepta de garder le secret.
Je m’appelle Keilan Fil’Areen et, à l’âge de quinze ans et demi, je suis parti.





L’autisme de Kei ne se voit absolument pas (il n’a pas de tic, pas de particularité physique) mais il définit largement son caractère. C’est un solitaire qui n’entretient que très peu de relations avec d’autres personnes. Il n’en a pas besoin, c’est dans sa nature, et ça le pousse généralement à se conduire d’une façon que peu de gens approuvent : au mieux, il gaffe, au pire, il devient violent. Dangereux. Toutefois, le fait d’avoir eu un jumeau bouleverse les critères de son syndrome et laisse une grande part d’ambiguité en lui. Il a peu d’amis, mais s’il s’attache à une personne, cela peut être exclusif. Ses émotions sont différentes des autres. Il ne rit jamais, ou bien uniquement pour se fondre dans la masse. Il ne pleure pas, ou alors malgré lui. En revanche, il est malin. Rusé, logique et organisé. Calculateur et froid pour certains, stratège et futé pour d’autres. Il n’aime pas perdre. S’il découvre quelque chose qui l’intéresse, il se donnera entièrement dans ce domaine et dépassera ses propres limites. S’il a peur, sa respiration devient difficile ; ce genre de crise est rare, mais il vaut mieux s’éloigner de lui le temps qu’il reprenne le contrôle.

Il n’aime pas le contact physique avec autrui. Se battre à mains nues, d’accord, mais une fois l’exercice terminé ou bien le combat achevé, il s’éloigne. Le toucher sans sa permission équivaut à une attaque et cela peut le conduire à répliquer…
Il parle peu, observe beaucoup. Son syndrome l’empêche de réaliser correctement certaines tâches très simples : lacer ses chaussures, fermer un manteau, attraper une balle. Des lacunes compensées par une mémoire très développée et une perception aigue de son environnement. Enfin, Kei ne comprend pas les blagues. Ni les expressions.



J’ai disparu à mon tour mais moi, je ne suis pas mort : j’ai simplement quitté ma famille, ma maison, ma ville. Ils étaient attachés à moi, je n’étais pas attaché à eux. Pas de la même manière en tout cas. Je suis parti, tout simplement, ou plutôt je ne suis pas rentré, un soir où l’on m’attendait pourtant afin de me présenter à une cousine éloignée, sensée être ma fiancée depuis l’âge de deux ans. Je suis parti parce que je n’avais pas envie de devenir un seigneur riche et puissant, comme mon père. Ni d’épouser une fille qui deviendrait mon ombre silencieuse et soumise, comme ma mère. Ce que je voulais, c’était savoir pourquoi l’herbe était si verte et le ciel si bleu. Je voulais trouver des réponses à mes questions.

Je les ai cherchées au port, attiré par un bleu plus profond et plus lumineux encore que celui du ciel. L’océan s’étendait à perte de vue. Il y avait des mouettes partout et des marins s’affairaient sur le quai, plus nombreux qu’elles mais moins bruyant. Simplement efficaces. L’un d’eux, un vieux loup de mer qui portait le doux nom d’Erkil le Rat, m’aperçut et m’écouta. Il promit de répondre à mes questions si je l’aidais à porter un sac de grains à l’intérieur d’une cale. Je lui rendis ce service.
Et devins mousse à bord du Fend-Brise.

Ce n’était pas ce à quoi j’avais songé mais, à bord, je découvris un univers bien différent de celui que j’avais toujours connu à Al-Jeit. C’était une vie impitoyable et salée mais, pour moi, c’était une vie meilleure que celle qui m’attendait si jamais je rentrais chez moi. Mes origines nobles fondirent comme neige au soleil tandis que mon physique dégingandé se trouva façonné par les épreuves de la navigation. Sous les ordres du Rat, j’accomplis toutes les tâches ordinaires d’un mousse, et toutes celles que nul ne voulait faire. Je ne me plaignais jamais. A quoi bon ? Je m’endormais à l’abri le soir venu, et le ventre plein. Dans une cale qui empestait la sueur et le vieux rhum, mais je me disais que c’était mieux que rien. Et qu’il fallait continuer de danser tant que la glace ne cédait pas sous mes pieds.

Six… non, sept mois plus tard, le Fend-Brise fut abordé par une jonque de pirates. Ils pillèrent le navire, tuant purement et simplement ceux qui s’opposaient à leur passage. Je ne fus pas de ceux-là car je restai sagement auprès d’Erkil le Rat, mais je ne perdis pas une miette de cette scène qui resta gravée en moi. L’odeur du sang ne s’oublie pas. La trahison non plus. Erkil me marchanda avec les pirates pour que son bâtiment ne soit pas coulé. Il mit en avant le prix de ma lignée et celui qui me récupéra vit celui qu’il pouvait demander à ma famille en échange de ma personne.
Il s’appelait Naya.

- Tu vas rester sage et j’te ferai pas de mal, dit-il en attrapant mon menton pour me forcer à le regarder dans les yeux.

Je n’aime pas croiser le regard des gens, c’est un endroit sauvage, hostile, une zone d’insécurité totale où je me sens bien trop mis à nu pour réussir à garder mon sang froid. Mon souffle se précipita d’ailleurs mais, avant qu’il ne se bloque tout à fait, je me fis la réflexion que ce regard-là était d’un vert émeraude très pur.

A mon réveil, les mêmes tâches que sur le Fend-Brise m’attendaient. Naya entendait mettre à profit ma maigre expérience le temps de rentrer au port. C’était cela ou la noyade et, pour vivre avec le souvenir de celle de mon frère, je n’avais pas envie de me risquer à me rebeller contre tout un équipage de pillards sans foi ni lois. Je fis ce que l’on me demanda. Et je le fis bien. Moi qui n’avais jamais quitté le pont sur le Fend-Brise, je découvris sans l’ombre d’une peur les haubans et me promenais dans les cordages avec l’aisance d’un singe. J’aimais sentir la fraîcheur du vent et des embruns sur mon visage.

Il nous fallut deux mois pour atteindre le port. Deux mois au cours desquels j’appris à connaître la Furie et son équipage. Plus vif et plus vulgaire que celui que j’avais connu jusqu’ici, composé d’hommes et de femmes aux mœurs douteuses et qui semblaient ne rien redouter en dehors de la pénurie de rhum. Une femme en particulier, Azuline, était sauvage, mais moins que moi puisqu’elle se mit à me tourner autour quelques jours seulement après mon arrivée à bord de la Furie. Au début c’était uniquement pour me tourmenter, m’appeler « Marquise » ou « Dame Keilan ». Je crois, sans en être absolument certain, qu’elle enviait mon héritage et jalousait mes origines. Je l’évitais comme j’évitais ordinairement les gens.

Et puis il y eut cet abordage. Les yeux plus gros que le ventre, Naya prit un jour d’assaut le navire qu’il convoitait depuis des semaines. Un navire, hélas pour lui, qui transportait des soldats de l’empereur qui cherchait par tous les moyens à reprendre le contrôle des archipels alines. Naya ne dut son succès qu’à l’extraordinaire pugnacité dont il était capable et à la férocité de son équipage, dont je faisais partie malgré moi. Je fus blessé dans la bataille. Un coup d’épée me prit par surprise et faillit m’ôter la vie. Azuline s’interposa avant le coup fatal et régla son compte à celui qui m’avait mis à terre, mais ce fut Naya qui, une fois les derniers combats terminés, me porta jusque dans ses quartiers pour me soigner.

Il prenait soin de sa monnaie d’échange. Son attitude changea néanmoins à partir de ce moment-là. Son regard également. Il me dévisageait longuement, comme s’il pesait le pour et le contre dans une lutte intérieure qui n’engageait que lui. Et lorsque le continent fut en vue, il fit virer la Furie de cap. Nous repartîmes au large. Nul ne mentionna plus jamais les Fil’Areen.

Le mois suivant, j’appris à me servir d’un sabre. Ce fut Naya lui-même qui m’enseigna ce qu’il savait, peu de choses en vérité, mais c’était suffisant pour tenir en respect un assaillant et lui ôter la vie pour sauver la mienne. Pendant ma convalescence, je dormis dans le lit du capitaine de la Furie tandis que lui somnolait dans un fauteuil. Jusqu’au jour où sa chaleur vint effleurer la mienne. Je n’étais pas préparé à cela, encore moins disposé à laisser quelqu’un me toucher d’aussi près mais, petit à petit, le vert de ses yeux m’apaisa. Je ne sais pas ce que c’était et ne le saurai sans doute jamais, mais quelque chose en lui s’accorda à quelque chose en moi, fragile écho dont la nouveauté m’inspira d’abord de la crainte, puis de la timidité et enfin, de l’abandon.

La jalousie d’Azuline à mon égard se renforça.

Eclata le soir où, ivre et désespérément amoureuse de moi, elle m’embrassa et chercha à me forcer. C’était inévitable. Aujourd’hui encore, je me dis qu’elle fut seule responsable de ce qui arriva. Mon souffle se bloqua. La panique me submergea. Au moment où elle s’unit à moi, je transperçai son ventre de mon poignard.

- Kei… murmura-t-elle, une lueur d’incompréhension mêlée de douleur dans le regard.

Sa mort n’émut pas Naya, qui accueillit plutôt froidement la nouvelle et se fit un devoir de m’attirer dans son lit pour réaffirmer sa possession de ma personne. En revanche, l’équipage me vit sous un jour nouveau. Il me craignit. Cessa de m’approcher. Pour la première fois de mon existence, j’étais tranquille et maître de mon destin.

Maître ?

Le hasard, ou bien le destin justement, me prouva le contraire. Deux ans après avoir quitté Al-Jeit à bord du Fend-Brise, je parcourus à nouveau le port qui avait placé Erkil le Rat sur mon chemin. La Furie était loin d’ici, à l’abri avec une partie de l’équipage tandis que l’autre moitié, Naya et moi compris, avait embarqué dans un petit floop pour atteindre le continent. Nous avions besoin de nous ravitailler, tant bien en vivre qu’en plaisirs.
Je me laissais entraîner malgré moi dans un bordel, au beau milieu d’une nuit d’hiver qui laissait une fine couche de givre couvrir le pavé et les toits des maisons. Je n’étais pas à l’aise, d’autant que Naya m’abandonna rapidement pour aller célébrer son retour à terre en compagnie de trois minettes qui partageaient sans aucun doute le même cerveau. Je restai un moment dans le salon de la maison, jusqu’à ce que le jeune homme qui avait glissé les mains sous ma chemise n’écarquille soudain les yeux. Le fil de mon poignard lui caressait la gorge et un peu de sang perla sur sa peau blanche.

- Mais… Qu’est-ce que…
- Laisse-moi.

Mon ton glacial, plus que le froid de ma lame, le fit s’exécuter précipitamment, et je quittai les lieux sans m’excuser. Je déambulai au hasard dans les rues du port. Je tombai fatalement dans un traquenard. Les cinq hommes, éméchés et en mal de femmes, me confondirent d’abord avec la gente féminine à cause de mes boucles soyeuses et de ma démarche un brin chaloupée. Réaliser leur erreur ne changea pas grand-chose à leurs motivations, et je me retrouvai plaqué contre le mur froid d’une maison, dans l’ombre d’un cul-de-sac.

- Crie pas ou ce sera pire, souffla-t-on à mon oreille.

L’odeur de l’alcool me monta à la tête et me retourna le cœur. Vomir n’était pas très digne cependant, et ce soir-là je n’étais pas d’humeur. Je savais que cela allait mal se terminer et, tant qu’à faire, j’espérai éviter d’aller à l’encontre d’une crise de panique. Je détestai paniquer. Sans attendre, j’envoyai mon genou dans les parties intimes de l’un de mes agresseurs, puis je me laissai tomber au sol et roulai afin de leur échapper. Le premier qui osa s’interposer se reçut une latte en bois en pleine figure, le second une bouteille vide sur le crâne. Les tessons me déchirèrent la peau du bras sans m’arrêter. Je pivotai pour éviter un coup, me baissai pour en asséner un dans le ventre de l’homme qui me faisait face, puis tendis ma jambe en arrière afin de frapper un genou. Remontai ma main et fracturait un nez proéminent.

Lorsque je quittai l’impasse, cinq hommes étaient allongés sur le sol ou appuyés contre le mur, sonné, sévèrement amochés, guéris de toute envie d’une petite partie de plaisir avec un garçon qui ne payait pas de mine. Je m’éclipsai sans m’apercevoir qu’une silhouette s’était détachée des ombres et me suivait à pas feutrés. En fait, je réalisai sa présence un peu avant d’atteindre les docks. Je sais aujourd’hui qu’elle fit en sorte d’attirer mon attention. Tendu depuis l’altercation dans la rue, je me retournai poignard au clair, prêt à en découdre avec celui ou celle qui me suivait.

C’était un petit bout de femme. Elle ne m’arrivait pas à l’épaule et, en la découvrant face à moi, les bras croisés sur la poitrine et la tête penchée sur le côté, j’écarquillai légèrement les yeux. Elle n’était pas grande et ses cheveux étaient grisonnants. Alors pourquoi avais-je soudain la sensation affolante de me sentir écrasé par sa puissance ?

- Qui es-tu ?

Je ne répondis rien. Immobile, je me demandais simplement si j’allais finalement devoir tuer ce soir-là. Elle se contenta de mêler son silence au mien, si longtemps que l’aube faisait pâlir l’horizon lorsqu’elle s’ébroua enfin. Fit un pas dans ma direction.

- Si tu cherches des réponses à tes questions, tu les trouveras en suivant l’écho d’un simple nom.

Mon souffle s’accéléra, prémices d’une crise, et je me raidis instinctivement. Ignorant tout de mon affolement et de mes doigts qui s’étaient resserrés sur le manche de mon poignard, elle se planta devant moi et, son visage à quelques centimètres du mien, plongea son regard bleu nuit dans le mien. Sonda mon âme, soutint mon regard, l’empêcha de se dérober, de se détourner, l’emprisonna.
Pour m’offrir un murmure.

- Mercenaire du Chaos.

Trois mots.

Trois simples mots qui me rendirent mon souffle et ma liberté tandis que, sans rien ajouter, la femme aux cheveux gris disparaissait dans les premières brumes du matin. La respiration saccadée, mais toute crise évitée, je restai là, mon bras blessé pressé contre ma poitrine, le regard perdu là où elle s’était tenue, et c’est ainsi que Naya me trouva. Il s’inquiéta d’abord de mon état, me ramena à La Furie, soigna mes blessures, chercha à me réconforter

En vain. Je n’étais déjà plus vraiment là.
Il s’en rendit compte, j’en suis certain. Tout comme je suis sûr qu’il ne parvint pas à s’y résoudre, même s’il essaya. Désormais l’Océan ne me suffisait plus, et même ses yeux verts perdirent de leur éclat. Il y avait trois mots qui dansaient en moi, me poussaient à tourner mon regard vers le continent, à m’y accrocher malgré lui. Et malgré moi.

- Je m’en vais.

J’avais parlé d’un ton léger mais ferme, un matin d’été, alors que nous longions les côtes en quête d’un navire marchand à piller. J’avais pris ma décision sans le savoir et elle le blessa. Il refusa. M’offrit La Furie, me supplia de rester, de voguer à ses côtés jusque dans des contrées encore inexplorées. L’aventure était séduisante, oui, mais moins que celle qui m’appelait depuis des semaines. Je ne pouvais plus m’y soustraire. J’étais prêt à m’en aller.

Naya fut mon premier obstacle.
Il se dressa devant moi, devenu furie à son tour, beau comme le premier jour de notre rencontre avec ses boucles sombres, son regard de nuit et sa peau brune. Il m’affronta sur le pont de son propre navire, sous les yeux de son propre équipage.

Et perdit la vie.

- Reste, balbutia-t-il dans mes bras, alors qu’une fleur de sang éclorait sur sa poitrine.

Ma main rougie vint repousser une mèche de son front, geste d’une tendresse qui, venant de moi, était le seul cadeau d’adieu que je pouvais lui faire. J’étais bouleversé mais les larmes ne coulaient pas sur mes joues. Elles brillaient dans ses yeux qui se voilaient. Il poussa un dernier soupir et se détendit contre moi. Le souffle court, j’effleurai ses lèvres encore chaudes des miennes, puis me redressai lentement. Un regard sur l’équipage immobile et silencieux suffit à me faire comprendre que j’avais le droit de revendiquer le commandement de la Furie. Je pouvais prendre la mer, naviguer à travers l’Océan, piller les navires alaviriens qui sillonnaient les environs, découvrir de nouvelles îles, de nouveaux horizon…

Un seul m’intéressait. Et il se trouvait sur terre.

Je quittai La Furie le soir même.





Il porte généralement des vêtements de cuir souple, mais toujours une écharpe, longue, grise et élimée par le temps ; nul ne sait pourquoi il y tient autant. Elle ne le quitte jamais. L’été, elle reste sagement pliée dans ses affaires. Il porte également des mitaines.

Dans son dos, le sabre de Naya. Prise de guerre ou souvenir, impossible à dire. Et inutile de lui poser la question. Une lame courte à la ceinture. Quelques dagues et poignards. Des poisons.

Kei ne possède pas d’animaux mais il est étrangement sensible à leur cause. Maltraiter l’un deux en sa présence est un bon moyen de se retrouver avec la gorge ouverte…



Je pensai avoir toutes les peines du monde à trouver ce que je cherchais. Comment trois mots dénués de sens pouvaient-il me servir à quoi que ce soit ? Lorsque je les prononçai, les gens haussaient les épaules ou bien posaient sur moi un long regard perplexe. Je tournai en rond, désoeuvré, désabusé, lorsqu’elle me fit un signe de la main. La petite femme aux cheveux grisonnant. Elle se trouvait à l’endroit même où je l’avais rencontrée la première fois, comme si elle m’avait toujours attendue là.
Je m’arrêtai devant elle et baissai la tête pour plonger à nouveau dans son regard vif.
Bleu comme le ciel.

- Qui es-tu ?

Cette fois, je m’étais préparé à répondre.

- Kei… Keilan Fil’Areen.

Les questions se bousculaient en moi, assaillaient mon esprit et commençaient à altérer mon souffle. Alors, elle pressa un doigt contre mes lèvres. Eteignit une nouvelle fois la crise, alluma une étoile dans mon cœur.

- Suis-moi.

Je n’hésitai pas.


Je m’appelle Keilan Fil’Areen.

J’ai deux vies mais la mienne commença le jour où cette femme lut en moi comme dans un livre ouvert, et me montra la direction du Domaine.

J’ai deux vies, mais une seule mérite réellement d’être vécue.

Celle d’un mercenaire du chaos.




Nom : Fil’Areen
Prénom : Keilan, dit Kei
Age : 18 ans
Camp : Mercenaire
Particularité : Syndrome d’Asperger.
Lieu de naissance : Al-Jeit




Salut, bande de petits chenapans. Ou devrais-dire "surprise !" parce que je suis sûre que vous ne m'avez pas vue venir. Vous me connaissez déjà très bien. Ma présence sur le forum est constante. Lumineuse. Pétillante.

Alors, qui suis-je ?

Et après, on va venir pleurer qu'on a trop de RP, pas assez de temps

C'est parce qu'il y a un manque évident de représentations masculines sur le forum que tu t'es lancée ? Avoue : tu veux le caser direct !

Ceci dit, ça va pas être facile, mais ce personnage est bigrement intéressant !

Je te valide

Youhou ! Je suis fan de ce garçon ! Il va sans aucun doute faire des ravages

Zut. J'ai donné trop d'indices aussi... Mais étant donné que je vais lâcher Zoanne je voulais absolument vous présenter ce personnage qui a débarqué dans mon imagination il y a quelques semaines déjà !

Et il ne sera à caser avec personne. Trop compliqué avec son Asperger ^_^

Or donc merci chef !

Ah, j'ai enfin eu le temps de lire cette magnifique fiche !

J'adore l'histoire, le personnage, la façon dont il parle des couleurs... Tout, tout, tout !

Il me faut absolument un Rp là, avec Darwen et surtout avec Khamill x) (Quand est-ce que je vais avoir le teeeeemmmps ? >.<)

*bave*

Non ! En fait non, moi je ne suis pas d'accord, ton personnage est trop jeune, voilà x) C'est bien beau de faire des hommes ici, mais des petits jeunes de dix-huit ans, ça ne sert à rien !

Bref, sinon, je t'ai dit que j'adooooorais ce perso ?

Je suis d'accord, il aurait pu avoir l'âge de Khamill au moins

Maieuh, qu'est que vous avez contre les jeunes ?

On a que nos perso on déjà 25 ans, qu'ils sont célibataires et qu'ils aimeraient bien un peu d'homme de leur âge Faîtes un petit effort xD

Si vous voulez, le prochain concours on met en jeu une fiole de croissance instantanée :3 un petite potion et POUF --> 25 ans

Moi j'trouve ça très bien *s'en va en sifflotant*

Bien dit, Aivy ! Il en faut bien pour tous les âges, hein... (Eole, Khamill, est-ce que vous avez réellement lu les lignes concernant Keilan et Naya ? Certes, j'ignore encore si notre nouveau venu est intéressé ou non par la gente féminine. Il est déjà assez compliqué comme ça niveau interactions sociales alors je serais vous, je ne nourrirais pas trop d'espoir... - ou je ne serais pas si déçue )

Oui oui j'ai lu, j'ai lu, mais bon, on sait jamais (d'ailleurs j'avoue que j'ai beugué, au début je croyais que Naya était une fille xD )

Et puis en ce moment, y'en a plus pour le goût des moins de 20 ans que pour les vieux hein

Les vieux...

Allons Eole, ne perds pas espoir !

Eh bien si les filles ne lui vont vraiment pas, j'en connais un qui pourrait être intéressé aussi Mais bon, il faudrait qu'il arrête les histoires avec les envoleurs là

Oui c'est sûr ^^ (C'est aussi ça qui fait son charme, à Kei )