Quand souffle le vent du Nord [Amset]

- « Alors, tes recherches t’ont donné une piste ? Un indice ? » s’empressa de demander la jeune Aoki à son invité.

Elle revenait dans le séjour, deux verres à la main, remplis d’un liquide doré – une liqueur d’agrume au miel qu’elle avait acheté quelques années auparavant en pays Faël. L’homme du nord ne put s’empêcher de détailler la démarche souple et aérienne de la jeune femme. Elle dégageait un charme tout à fait particulier, et même carrément magnétique, qui contrastait nettement avec la gente féminine de son propre clan et, plus généralement, de tout le Septentrion. Oh, Khia ne ressemblait pas du tout à une Alavirienne avec sa stature imposante, ses longs cheveux d’un blonds si clairs qu’ils paraissaient presque blancs et son regard polaire ! Pourtant, elle avait tout de même quelque-chose d’exotique, qui dépassait de très loin l’entendement du Konekii.

- « Non, toujours rien » répondit Thormod, d’humeur morose « Je commence sérieusement à désespérer, mais hors de question de baisser les bras… » continua-il en poussant un long soupir, las et fatigué.
- « Moi, en revanche, j’ai peut-être une piste » avoua la Marchombre.

La jolie blonde aperçut clairement la lueur d’espoir qui éclaira le regard d’un vert sombre profond du Konekii. Pour la première fois depuis de longs mois, elle peut-être enfin lui apprendre une bonne nouvelle – ou, du moins, une nouvelle qui devrait les aider dans leurs recherches pour sauver les centaines d’enfants Konekii qui avaient été raflés près d’un an auparavant. Le sourire qui étira les lèvres de son ami était pour Khia la plus belle des récompenses. Plissant légèrement le nez, la jeune femme bu une petite gorgée du liquide ambré, avant de se râcler la gorge.

- « C’est un ami qui m’en a parlé, et cela mènerait probablement dans l’un des endroits les plus glauques de tout Gwendalavir » expliqua Khia, parfaitement consciente que ses mots ne seraient pas pour rassurer son ami.
- « Je ferai n’importe quoi pour ramener mes filles, saines et sauves » répondit Thormod, avec un léger hochement de tête.

L’homme, d’une quarantaine d’années, affichait une détermination qui forçait le respect. La Marchombre se mordit la lèvre inférieure, presque jusqu’au sang. Avec un sourire compatissant, elle posa une main amicale sur l’épaule du Konekii. Cela faisait désormais presque un an qu’ils se connaissaient, tous les deux. Presque un an que Khia avait juré de l’aider dans sa quête désespérée. Et pour la toute première fois depuis de longs mois, leurs recherches aboutissaient à une piste potentiellement sérieuse. Dangereuse aussi, toutefois la jeune Aoki n’en avait que faire : elle était prête à risquer sa vie pour ramener ces deux gamines à leur père !




Un bras calé derrière sa nuque, la jolie blonde contemplait la voute céleste : ses milliers d’étoiles étaient plus brillantes les unes que les autres. Thormod dormait profondément dans la chambre d’amis, et elle pouvait clairement entendre ses ronflements réguliers depuis sa petite terrasse au bord de l’eau. Khia soupira imperceptiblement. Non, elle ne dormait pas ! Elle ne dormait plus ! En fait, elle songeait à ce que lui avait révélé Juhen quelques semaines auparavant. L’existence secrète des mines d’Okharran. Ses esclaves, dont la plupart étaient originaires de terres lointaines. La jeune femme avait d’abord douté, croyant que le Thül exagérait largement. Cependant, son récent passage au cœur des plateaux d’Astariul lui avait confirmé, d’une certaine façon, qu’il existait quelque part dans cette région, un endroit pire que l’enfer.

En vérité, la Marchombre n’avait pour l’instant aucun moyen de savoir si les filles de son ami étaient retenues prisonnières de ce lieu infame. Mais elle était déterminée à le découvrir, d’une manière ou d’une autre. Sous le crâne de Khia, les pensées s’enchaînaient à une vitesse hallucinante, et elle poussa un petit soupir. Cette nuit, elle ne pouvait rien faire. Inutile donc de se morfondre et d’imaginer tout un tas de plans un peu fous, avant d’être certaine de quoi que ce soit !

La Marchombre glissa ses jambes hors du hamac. Le plancher brut de la terrasse, exposé à la brise du lac, était agréablement frais en cette fin d’hiver. La jeune Aoki se leva souplement, tandis que son regard glissait à l’horizon. La lune reflétait sa lumière d’argent sur la surface parfaitement lisse du lac Chen. Un souffle léger vint jouer malicieusement dans la longue crinière d’un blond presque blanc de Khia, ce qui lui tira un petit sourire.

La jeune femme s’aventura sur le large ponton qui jouxtait sa petite maison au bord du lac. En quelques pas aériens, elle était arrivée au bout et, instinctivement, elle laissa glisser ses vêtements sur le bord du ponton. En un plongeon grâcieux, elle perça la surface calme du lac qui l’accueillit dans sa fraicheur comme un vieil ami. La caresse de l’eau sur son corps était apaisante et Khia se laissa aller à l’instant présent. Jusqu’à ce que, fronçant imperceptiblement les sourcils, elle distingue sur la rive une silhouette.