Des retrouvailles émouvantes [Gil]

[Et c'est parti mon kiki ! ]

Il ne faisait pas encore tout à fait jour lorsque Gil entra à pas de loup dans sa propre maison. Sans bruit, il referma la porte dans son dos et se tint là, appuyé contre le battant, humant les odeurs qui symbolisaient avec force toute la sécurité et l’affection que lui inspirait cet endroit ; c’était la première fois qu’il se sentait véritablement chez lui, son enfance mise à part. Un sourire satisfait accroché aux lèvres, il se faufila dans la cuisine et sursauta en découvrant Nora. Tranquillement assise à table, une tasse de thé fumant entre les mains, elle lisait un livre traitant de simples à la lueur d’une bougie fatiguée. Elle leva les yeux, vit Gil tenter d’affecter une mine impassible, et sourit derrière son ouvrage.

- Bouh.
- Très drôle, marmonna l’envoleur en passant derrière elle pour l’embrasser sur la joue. Mak dort encore?
- Il est en pleine croissance.
- C’est sensé avoir un rapport avec ma question ? s’étonna Gil en ouvrant un placard pour sortir une tasse.
- Seulement te rappeler que c’est encore un enfant qui n’a donc pas le même rythme de fou que son père.
- Mmmh.

Il se servit du thé préparé par Nora, puis enchaîna en remplissant un bol de quelques flocons d’avoine qu’il garnit ensuite de morceaux de pomme.

- Je ne dormais pas autant, à son âge.
- Moi si ! Une vraie marmotte. Si l’on ne me réveillait pas, j’étais capable de dormir jusqu’au beau milieu de la journée !
- Voyez-vous ça ! Tu étais déjà passionnée par les plantes ?
- Pas autant que maintenant. C’est venu en grandissant. Mais j’étais aussi folle des animaux que Mak.
- Vous partagez pas mal de choses, alors, fit remarquer Gil en s’asseyant en face de l’herboriste.

Il poussa le bol vers elle. A force de se côtoyer, ils connaissant leurs habitudes. Nora acquiesça et, tout en mangeant une cuillérée, elle observa son vis-à-vis, les yeux plissés.

- Toi, tu tires la tête du type qui a passé une bonne nuit.
- C’était… une bonne nuit, affirma maladroitement l’interpelé.

Il avait expliqué à Nora que ce qui se passait avec Khia n’était pas… sexuel, sans parvenir à vraiment trouver les bons mots. Il n’était pas rare qu’il passe la nuit dans la maison du bord du lac. Au début, l’herboriste avait ressenti comme un petit pincement au niveau du coeur. Il avait disparu. En voyant le regard de Gil perdre ses nuages et les quelques notes sauvages qui y subsistaient encore, en le voyant sourire, comme ce matin, alors qu’il se brûlait la langue avec son thé et pestait tout ce qu’il pouvait, Nora se sentait infiniment reconnaissante envers cette femme qui, sexuellement ou pas, arrivait à rendre cet homme heureux. C’était ça, l’essentiel. Et cela ne l’empêchait pas de plaisanter avec son ami, comme toujours :

- Il faut que je me trouve un homme.

Gil recracha sa gorgée de thé, provoquant l’éclat de rire de Nora.

- C’est vrai quoi, je suis jalouse, j’ai envie d’avoir cette tête-là au réveil, moi aussi !
- Il ne s’est rien passé cette nuit, bon sang, ronchonna Gil en essuyant les dégâts.

C’était vrai : il avait simplement dormi comme un bienheureux, blotti contre l’Aoki, bercé par son souffle et apaisé par sa présence. Cela se produisait régulièrement depuis quelques semaines, mais pas tout le temps non plus. Cela dit, les mots de Nora l’intriguaient. Il pencha la tête, évaluant la question. Ils n’étaient pas ensemble, plutôt des genres de colocataires qui se partageaient la maison et l’éducation de Mak ; une bien drôle de famille, en somme. Nora méritait de s’endormir dans les bras d’un homme, oui. Mais…

- Pas n’importe qui.
- Mmh ? fit distraitement l’herboriste, qui s’était replongée dans sa lecture.
- L’homme qu’il faut qu’on te trouve. Ce sera pas n’importe qui.
- “On” ? releva-t-elle, amusée.
- Quoi, ça te pose un problème ?
- J’ai une tête à te laisser choisir mon compagnon ?
- Pas "choisir" ! Tester. Quelques questions. Un temps d’essai.
- C’est pas vrai…

Son rire envahit à nouveau l’atmosphère et Gil, vexé, finit par battre en retraite à l’étage. Nora avait raison, Mak dormait encore. L’envoleur vaqua donc à ses occupations, tout en faisant suffisamment de bruit pour que, quelques minutes plus tard, un petit bonhomme aux cheveux en bataille et aux yeux tout ensommeillés pousse la porte de sa chambre.

- … Gil ?
- Ha ! Tu es réveillé, ça tombe bien ! On a des choses à faire.

Oh, il aurait pu avoir l’humeur sombre et se montrer désagréable, ainsi tiré du sommeil. Mais c’est un Mak rayonnant qui expédia son petit-déjeuner et sa toilette pour rejoindre son père à l’extérieur. Il avait assez de bon sens pour profiter de chaque instant passé aux côtés de cet homme qui passait son temps à disparaître - et pour se douter que ce serait bientôt le cas. Gil avait changé depuis son retour après cette absence terriblement longue, mais certaines choses restaient immuables, et c’était tant mieux ; Mak aimerait-il autant un Gil trop sage et capable de tenir toutes ses promesses ? Voilà pourquoi, au petit matin, l’enfant s’employait à “faire des choses” de grand : en l’occurrence, il apprenait à planter des tomates. Nora avait elle-même donné forme à un jardin magnifique, planté d’arbres fruitiers, de fleurs et d’épices, mais c’était Gil qui s’était mis en tête de réaliser un potager digne de ce nom. Laitues, radis, pommes de terre et carottes poussaient déjà.

- Fais-les plus larges, tes sillons. Enfer, suis la corde, tu vas de travers ! Qu’est-ce que c’est que ce jardinier de pacotille, bon sang ?
- Enfer, tu vas me laisser travailler tranquillement ?

Nora, qui supervisait de loin les progrès de ses agriculteurs en herbe, secoua la tête en les entendant se chamailler à tour de rôle ; c’était signe que tout allait bien. Et que l’un d’eux manquait franchement de maturité, par moment. Elle allait d’ailleurs mêler son grain de sel dans la partie de boutades quand son regard s’arrêta sur une silhouette émergeant des fourrés, là-bas, près de l’enclos de l’âne et des chèvres. C’était un jeune homme à la peau mate et aux cheveux noirs. Grand et mince, il se déplaçait avec un mélange de souplesse et d’élégance fascinant. Mais ce qui stupéfia Nora, c’est sa ressemblance avec Mak. Plus il s’approchait et plus elle reconnaissait cette forme de mâchoire, ce port de tête, cette lumière dans le sourire. Son coeur s’emballa.

- Gil, souffla-t-elle.

Il ne l’entendit pas, occupé à se disputer pour une histoire de sillons pas suffisamment écartés les uns des autres.

- Gil.

Cette fois-ci, il tourna la tête. Il vit d’abord l’expression surprise de Nora, fronça les sourcils et suivit son regard en se redressant, instantanément aux aguets. Il découvrit à son tour l’homme qui venait de franchir le périmètre de sa propriété. Sa main effleura le manche de son couteau, glissé dans sa ceinture, au creux de ses reins, tandis que ses sens de guerrier reprenaient le contrôle, évaluant la distance, la direction du vent, cherchant d’autres personnes possiblement embusquées dans les arbres, et…

- Seth !

Mak jaillit, beaucoup trop rapide pour que Gil le retienne, et fila comme une flèche à peine boitillante en direction du nouveau venu. Tout barbouillé de terre qu’il était, il se jeta au cou de son frère dans un élan qui les renversa tous les deux. Louvard, le chien-loup encore tout jeune qu’ils avaient récemment adopté, en profita pour se joindre à eux, et l’espace d’un instant, tout ne fut que cris étouffés, rires hystériques et aboiements joyeux ponctués de coups de langue affectueux. Le spectacle fit rire Nora, mais elle s’interrompit pour jeter un coup d’oeil à Gil :

- Tu le connais ?

Immobile, ce dernier ne répondit pas. Il observait la scène lui aussi, traversé par une vague d’émotions contradictoires, chacune d’elle magnifiquement contenue par son expression stoïque. Sa main prête à dégainer retomba le long de sa cuisse. Finalement, il enjamba le potager, ignorant les graines de tomates éparpillées, et s’approcha de l’origine du brouhaha assourdissant. Le ton qu’il employa était celui du chef de meute, et Louvard se coucha aussitôt, mais la langue toujours pendante et la gueule ouverte en un sourire de bienheureux. Impressionné lui aussi par la puissance qui irradiait de son père, Mak recula légèrement, soudain attentif. Gil en profita pour attraper le nouveau venu par le col et, d’une poigne solide, le remettre sur ses jambes, sans effort. On aurait dit qu’il était prêt à frapper, son poing serré sur le devant de la tunique de l’homme, l’autre serré à en faire blanchir ses jointures. Dans les secondes qui s’égrainèrent, chacun retint son souffle.

Et puis.

Sans crier gare et sans mot dire, Gil attira Seth contre sa poitrine, refermant brusquement les bras sur lui.

[Un peu court, mais intense ]

Le menton posé sur le crâne de Seth, qu’il serrait toujours contre lui à l’en étouffer, Gil leva et une main et essuya sa joue. Voilà.

- Vous m’avez beaucoup trop manqué tous les deux… Je suis tellement content de vous revoir !
- Moi ça va, j’étais plutôt bien tranquille, lâcha l’envoleur d’un ton qui démentait ses paroles.

Et puis au cas où il subsisterait encore le moindre doute :

- Menteur ! Tu parles souvent de Seth et c'est même toi qui m'a dit de lui écrire et tu as même dit que s'il ne pointait pas le bout de son nez bientôt tu irais toi-même le chercher pour le ramener par la peau du...
- C'est bon, on a compris, mets-la en sourdine, demi-portion !

Il se dégagea enfin de leur étreinte d’ours et, tenant Seth par les épaules, le regarda avec de grands yeux.

- Enfer, Seth, tu vas cesser de grandir un jour, oui ?

Il n’y avait pas qu’en taille que le gamin avait changé. Il pouvait sentir les muscles fins sous ses doigts, il avait pris de la charpente, du poil au menton… ce n’était plus un enfant qui se tenait devant lui, mais bien un homme ! En grandissant, il ressemblait davantage à Atal. Pourtant, sa peau, son sourire, ses yeux, c’était comme si Naïs se tenait en face de lui, espiègle, prête à le faire tourner en bourrique une fois de plus.

Oh, princesse… tu serais si fière de lui !




Nora déposa les assiettes sur la tables, puis aligna fourchettes et couteaux tout en jetant des coups d’oeil curieux en direction de la cuisine, d’où s’échappaient des bruits de voix et surtout des rires joyeux. L’arrivée impromptue du grand frère de Mak avait installé un climat de fête dans la maisonnée. En fait, ils étaient tous un peu chamboulés, comme si un ouragan était passé - ce qui n’était pas très loin de la vérité, sans doute… Seth Jol. Un sacré énergumène, lui aussi. Elle avait rapidement compris qu’il n’était pas le fils de Gil, sans que l’un ou l’autre n’ait besoin de lui fournir d’explications ; pourtant, s’ils ne se ressemblaient pas physiquement, il y avait quelque chose qui rassemblait ces deux-là. Une… cohésion, une complicité très ancienne qui les liait comme les deux faces d’une même pièce. Nouvel éclat de rire. L’herboriste s’approcha à pas de loup, passa le museau dans l’entrebâillement de la porte, écarquilla les yeux en découvrant le véritable carnage - quand Gil cuisinait, il y en avait toujours de partout. Mais ce qui retint son attention, c’était la lumière, dans les yeux de ce dernier, alors qu’il sortait le gratin du four. Pour quelqu’un qui a fait de son mieux pour ne pas avoir d’attaches, tu t’es trouvé une jolie famille, petit loup…

Comment décrire le repas ? Animé ? Bruyant ? Nul ne pouvait plus arrêter Mak. Le garçon bombardait son frère de questions sans lui laisser le temps de savourer la moindre bouchée. Il fallut que Gil lui enfonce presque le nez dans son assiette pour qu’il se rappelle de manger. Nora en profita pour interroger le jeune homme à son tour - mais moins vivement que Mak, et dans un sourire qui captura un instant les beaux yeux dorés.

- Alors, Seth ? Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?







[Ahlala. J'ai relu tous les Rps avec Naïs depuis le début. J'en suis toute émue, là

Ah et du coup je me suis rendue compte que depuis un moment, j'ai oublié la couleur des paroles de Mak, adoptant celle de Seth par mégarde ! Je repasse au marron plus foncé pour les différencier, même si c'est qu'un détail ]

[Roh la la ! Ca me rend toute nostalgique aussi ce rp dis donc ]

Secret marchombre.

Gil s’étouffa avec sa gorgée de bière. La bordée de jurons ne franchit pas la barrière de ses lèvres, d’abord parce qu’il était trop occupé à cracher ses poumons et ensuite, parce qu’il avait appris à surveiller son langage en présence de Mak. Mais quand même. Enfer de bordel de nom d’une mouche à merde. Un marchombre, Naïs. J’espère que ça te fait cracher aussi, tiens. Nora lui tapota le dos et Mak lui tendit un verre d’eau. Des larmes dans les yeux, Gil retrouva un mince filet d’air et de vie. De l’autre côté de la table, Seth souriait tranquillement. Ah, ça t’amuse, hein, morveux… Est-ce que ça changeait quelque chose ? Oui et non. Non, parce que rien n’empêcherait jamais Gil d’aimer ce garçon, quelle que puisse être sa voie : marchombre ou pas, Seth était Seth, et s’il allait bien, c’était l’essentiel. Oui, parce qu’en ayant choisi ce chemin-là, le gamin s’exposait à une foule de dangers. Traqué par le Chaos, menacé par les Envoleurs, il aurait intérêt à conjuguer prudence et expérience pour réussir à avoir lui aussi des cheveux gris, un jour. Connaissait-il Libertée ? Etait-il son élève ? Gil musela fermement les questions qui lui venaient en nombre. Pas question de s’engager sur ce terrain-là. La gorge brûlante d’avoir toussé, il se contenta de rendre son regard au jeune homme.

- Marchombre ? C’est quoi ça ?

Gil s’étrangla à nouveau.




Ce fut une drôle de journée bien remplie et qui passa comme un éclair. Mak ne quitta pas son frère d’une semelle. Après lui avoir fait visiter la maison et le terrain, il acheva de planter les tomates avec lui, puis lui proposa une balade à cheval dans les bois, avant de s’occuper des bêtes, puis de lui montrer tout son stock de simples et le contenu de sa besace : baumes, huiles décontractantes, bandages étaient désormais au centre de ses préoccupations. Il expliqua à Seth son projet de devenir guérisseur et lui parla de Hièlstan, le rêveur solitaire chez qui il apprenait déjà beaucoup. Bavard intarissable, il lui raconta aussi tout ce qui avait pu se passer depuis la dernière fois qu’ils s’étaient trouvés ensemble. Les essais de prothèses, les soins de Hièlstan, le dévouement de Gil, l’attention de Nora, la boutique de celle-ci, ce qu’il apprenait à ses côtés, la construction de la maison, la disparition de Gil qui avait duré plusieurs mois, le sauvetage de Louvard… il s’empourpra en évoquant Lywenn, son amie, et dissimula son trouble en jouant avec le chien qui n’attendait que cela. Mais il n’en fallait pas moins pour épuiser ce garçon plein d’énergie, et c’est malgré lui qu’il se résolut à monter se coucher.

Gil était en train de remettre du bois dans la cheminée pour nourrir le feu quand Seth le rejoignit. Il avait déjà cette démarche souple et silencieuse qu’il avait si souvent admirée chez Libertée, remarqua l’envoleur. Il tisonna les braises, puis il se leva et sortit une bouteille de liqueur de cerise d’un placard, ainsi que deux verres. La pensée lui vint qu’un jour pas si lointain, il servirait un verre à Mak aussi ; nan, c’est un peu trop pour l’instant, grimaça-t-il en secouant la tête, et il chassa cette idée. Plus tard. Bientôt. Pas maintenant. C’était déjà assez drôle d’offrir à boire à Seth. Il lui tendit un verre, entrechoqua le sien dans un clin d’oeil complice, et se laissa tomber dans son fauteuil. La première lampée le détendit. Dans la cuisine, Nora s’affairait en chantonnant. Le feu craquait doucement. C’était cette sérénité qu’il avait longuement cherchée sans la trouver ; combien de temps durerait-elle ? Son regard dépareillé croisa celui, infiniment doré, de Seth. Beaucoup de choses passèrent dans cet échange silencieux, avant que la voix douce du jeune homme prenne le relais :

- Atal et Nwëlla te passent le bonjour. Je les ai vus, il n’y a pas si longtemps. Et Juhen m’a promis qu’il allait te péter les dents…
- Dans ses rêves.

Nouvelle gorgée. Gil songea à ses trois compagnons, à ce qu’ils avaient fait pour lui, à tout ce qu’ils avaient vécu ensemble, au cours de tant d’années… Enfer, ça fait déjà si longtemps ? Fallait-il qu’un gamin débarque pour qu’il commence à mesurer le temps qui s’était écoulé ? Il ne se voyait pas vieillir et pourtant, assis dans son fauteuil, le gris aux tempes et un verre à la main, il écoutait parler un gosse qu’il avait appris à aimer comme s’il était le sien, et qui avait désormais tout à fait l’âge d’être un homme. Coup d’oeil en direction de la bouteille. Quelque chose lui soufflait qu’elle n’allait pas faire long feu, ce soir. Soudain, Seth lui tendit quelque chose.

- C’était à ma mère.

Lentement, Gil posa son verre, puis il attrapa le carnet ; ses doigts caressèrent la couverture de cuir.

- Atal a réussi à le sauver de l’incendie de notre ancienne maison, à Al-Jeit. Tu devrais le lire…

Non.


- … elle parle beaucoup de toi, là-dedans. Je crois qu’elle voudrait que tu l’aies.


Je ne peux pas…


- Tiens, j’ai ça aussi pour toi. On en a chacun un.

Gil parvint à arracher son regard du carnet et ses yeux se posèrent sur le médaillon. Celui-ci s’ouvrait sur le visage de Naïs et l’effet était saisissant : l’artiste avait réussi, en si peu de place, à esquisser l’expression de l’envoleuse - ce petit pli malicieux au coin de sa bouche, cette mèche qui passait son temps à retomber devant ses yeux, son regard aveugle qui perçait jusqu’à son âme… Gil avala difficilement sa salive. La gorge nouée, il leva la tête. Comment remercier Seth ? De Naïs, il n’avait pu conserver que des souvenirs - et il préférait les enfermer dans le secret de son coeur pour profiter du présent en compagnie de leur enfant. Ce carnet et ce médaillon, c’étaient des trésors. Il lui fallut un long moment avant de réussir à prendre la parole.

- J’ai aimé ta mère, dit-il doucement, les yeux perdus dans les flammes, le médaillon serré dans son poing. Comme j’ai jamais aimé, et n’aimerais jamais une autre femme.

L’aveu était unique et Seth serait le seul à qui il serait confié. Gil but une gorgée de liqueur et il lui sembla que le feu de l’alcool apaisait la boule de chagrin qui avait gonflé dans son coeur. Plus de tristesse, plus de remords. Naïs n’aurait pas voulu que l’amertume suive son sillage. La lumière revint dans les yeux vairons de l’envoleur. Son pouce caressa distraitement le carnet qu’il tenait toujours entre ses mains.

- Tu as ses yeux et son courage. Mak a pris son sourire et sa force de caractère. La plue jolie partie d’elle vit toujours en vous, et ça vaut mille fois plus qu’un carnet ou un collier, mais… merci.

Soupir.
Puis sourire en coin.

- Marchombre, hein…

- "Ouais, et tu sais quoi ? Ma mère a eu exactement la même réaction que toi quand je lui ai dit"

Un sourire espiègle flotte sur ses lèvres.

- "T'as changé. En bien je veux dire..."

Murmure

- "Ca doit être les cheveux blancs" tire la langue joyeusement "Au fait, j'ai su que t'avais rencontré Khia : elle est géniale, hein ?"









[Tout ça pour ça, je suis en dessous de tout :/]

- Ben tiens. T'es un sacré fichu emmerdeur, Seth, tu le sais, au moins ? Et laisse mes cheveux tranquilles. Mak trouve qu'ils me donnent un air plus sage.

(Sourire en coin)

- Tu connais Khia ?

- "C'est pour ça que tu m'aimes... En plus, tu t'ennuierais bien trop sans moi !"

Passe une main dans ses cheveux

- "Khia ? Ouais carrément que je la connais ! Je l'ai connu à l'Académie : elle est maître Marchombre"

Hausse un sourcil.

- "Tu le savais pas ?"

Gil eut l’impression qu’on venait de lui asséner un bon coup de poêle à frire sur le crâne. Mais Nora chantonnait toujours dans la cuisine et Seth n’avait pas bougé, alors c’était seulement dans sa tête. N’empêche… c’était violent. La bouche ouverte, conscient qu’il devait avoir l’air niais au possible, l’envoleur tenta d’intégrer l’information. Il aurait voulu pouvoir dire “naaaan, tu plaisantes, Khia, une marchombre ? Arrête de planer mon grand !”... mais… ce qui le secouait le plus, en vérité, c’était qu’il le savait. Il l’avait toujours su. Chaque fois qu’il avait posé les yeux sur elle et que la sensation d’oublier quelque chose l’avait traversé, c’était ça, en fait. Juste ça. Rien que ça.
Au moins tout ça.

Khia était une marchombre.

Il grogna et se prit la tête entre les mains. Enfer de bordel de…

- … mir.
- Hein ??

Sonné, Gil dévisagea Nora sans comprendre. Les poings sur les hanches, elle secoua la tête, puis jeta un coup d’oeil à la bouteille d’eau de vie et soupira.

- Je disais que j’allais dormir. N’abusez pas de la boisson, tous les deux, sinon vous allez le regretter demain. Et il ne faudra pas venir pleurer pour une décoction spéciale “anti gueule de bois”.

L’herboriste partie, un silence seulement ponctué par le craquement des bûches dans l’âtre s’installa. Gil passa la main sur sa nuque, puis soupira. Son attitude devait interpeller Seth, et il était prêt à lui en expliquer l’origine, mais il avait d’abord besoin de débrouiller ses pensées emmêlées. Au fond, s’il réfléchissait bien, c’était envers lui-même qu’il se sentait trahi : depuis quand n’était-il plus capable de distinguer ce genre de chose ? Tu parles d’un traqueur de marchombres… En ce qui concernait Seth, il n’avait pas eu assez de recul pour deviner sa nature avant qu’il ne l’annonce en toute simplicité pendant le repas. Mais il côtoyait Khia depuis un moment, et de façon assez… intime pour avoir largement eu l’occasion de se rendre que… que… Que quoi, finalement ? Qu’ils ne suivaient pas le même chemin ? Que leurs routes étaient semblables, mais assez différentes pour ne pas se croiser véritablement ? Qu’ils représentaient un danger l’un pour l’autre ? Son coeur s’emballa dans sa poitrine alors que les souvenirs se déversaient dans son esprit, comme si les vannes de sa mémoire venaient de s’ouvrir en grand.

Il se revit traversant une fenêtre pour atterrir aux pieds de Libertée. Retrouva son odeur de pêche, le rose malicieux de ses yeux. La douceur de sa peau, la texture de ses longs cheveux. La façon dont elle penchait la tête sur le côté pour l’observer, les paupières à demi-fermées. Sa force. Sa lumière. L’harmonie qui vibrait en elle l’avait séduit autant que sa personne et pendant un moment, il s’était franchement détourné du Chaos pour l’accompagner. Il avait cru que c’était possible. Ils l’avaient cru tous les deux. Suviyo était née de cette conviction mutuelle et Gil avait connu quelques jours de bonheur. Incomparables. Jusqu’à ce que les choses tournent mal. Il n’avait pas réussi à suivre Libertée, finalement : elle brillait trop et allait trop vite, ou trop loin ; laissé en arrière, il avait alors choisi de cacher sa peine sous une lâcheté familière - et donc rassurante. C’était lui qui avait poussé Libertée à s’éloigner, à le rejeter. Etait-ce à cause de cette situation qu’il était arrivé trop tard, ce jour-là ? Aveuglé par ses propres sentiments, avait-il manqué le signal, celui qui aurait pu faire toute la différence ?

Aurait-il pu sauver Suviyo ?

D’une main légèrement tremblante, Gil remplit les verres et but le sien cul-sec. Il n’avait pas bu d’alcool aussi fort depuis des mois et son estomac se tordit, mais accepta cette douche enflammée qui, une fois le choc passé, laissait un arrière-goût de consolation. Pour autant, il n’était pas en train de s’engluer dans sa mélancolie : la présence de Seth était comme un roc solide auquel il pouvait s’accrocher sans honte, et ce qu’il avait vécu depuis l’assassinat de sa fille l’avait rendu plus fort. Il était capable d’encaisser, cette fois. Khia était une marchombre, d’accord. Cela ne signifiait pas qu’il allait la perdre comme il avait perdu Libertée, ni même qu’il allait souffrir comme il avait souffert. L’Aoki était unique, ce qu’il vivait avec elle l’était aussi. A quoi bon comparer, anticiper, imaginer ?

- Si j’avais su que tu avais autant de nouvelles à m’apprendre, j’aurais essayé de me préparer, lâcha-t-il, mi-figue, mi-raison.

Il baissa les yeux et contempla un instant le carnet de Naïs. Il fut tenté de l’ouvrir, de se glisser entre les pages, de chercher la tendresse de ses mots, mais il se contenta de caresser pensivement le cuir usé de la couverture. Ce qui l’avait rongé, ce qui l’avait perdu, c’étaient les secrets. Tant de secrets ! De non dits, de tabous, d’écueils qu’il n’avait pas su éviter… Si le passé lui avait enseigné une chose, c’était bien celle-ci : quand on cache trop de démons, ils finissent par tout détruire. Il n’était pas question que cela se reproduise.

Jamais.

- Je connais Khia depuis un petit moment, mais je n’ai pas voulu voir ce que j’avais pourtant pressenti. J’ai inconsciemment détourné le regard. Ce n’est pas bien.

Gil tourna la tête et observa le profil de Seth. A la lueur du feu, il était difficile de retrouver ce qui restait de l’enfant en lui : c’était un homme qui était assis près de lui, encore très jeune, certes, mais capable d’entendre ce qu’il avait à dire.

- Il ne faut pas vivre avec des oeillères. Ce que nos convictions, nos choix nous apprennent, il faut l’intégrer sans se fermer au reste. Aux différences. Aux autres. Je suis censé tuer les marchombres…

Il vit le garçon se tendre légèrement à ces paroles et lui-même serra un peu plus fort ses doigts autour de son verre.

- … mais je suis bien plus doué pour les aimer. C’est comme ça. Je m’y fais.

Comme d’habitude, il fallait lire entre les lignes, avec Gil. Ce qu’il tentait d’expliquer à sa manière, c’était qu’il ne comptait pas s’auto-flageller parce qu’il éprouvait des sentiments pour Khia. Il espérait que Seth allait le comprendre, parce que le gamin avait l’air d’apprécier l’Aoki.

- Et toi ?

Croisant un regard doré et perplexe, il ajouta :

- Comment tu te débrouilles ?

Est-ce que tu te fais des amis ? Est-ce que tu aimes quelqu’un ? Est-ce que tu te sens assez fort pour garder tes principes ? Est-ce que tu es droit dans tes bottes ? Enfer, Seth, parle-moi un peu de toi, bon sang !




[Merci pour la pilule à avaler, Seth ]

[Court, mais intense encore une fois ]

Gil émit un grognement d’approbation. Refaire sa vie… c’était tout à fait cela. Comme si, en retrouvant son humanité, il s’était dépouillé d’une ancienne peau, comme s’il avait mué pour goûter au renouveau. Il lui sembla soudain percevoir la voix moqueuse de Naïs, lui soufflant que, tel un chat, il possédait plusieurs vies - ou bien était-ce la présence de Seth qui lui donnait cette impression saisissante ? Bah. Réelle ou pas, la voix de Naïs avait raison. Il y avait eu la vie de Maël Sil’Sierra, puis celle de la Bête, et enfin, celle de Giliwyn SangreLune… il espérait toutefois que cette vie-là dure plus longtemps que les autres, parce qu’il l’appréciait vraiment beaucoup. Vivre ici, dans cette maison, en compagnie des membres de sa famille - de sa meute - était tout ce dont il avait besoin.

Il prit plaisir à écouter le récit de Seth. Le garçon avait un vrai talent pour raconter ses aventures, et celles-ci étaient aussi nombreuses que variées ; la bouteille d’eau de vie baissa encore, accompagnant ses paroles tandis que les bûches craquaient doucement dans l’âtre. Etendu sur le flanc devant le feu, Louvard poussait de temps à autre un profond soupir de bien-être. La nuit s’étirait doucement. Gil en avait une vague conscience, mais il était suspendu aux lèvres de Seth et ne manqua pas la moindre partie de ce qu’il lui rapporta. Il grimaça quand il évoqua Erwan, ramené à des souvenirs qu’il n’appréciait pas particulièrement, sourit quand il raconta sa rencontre avec Kaünis et Khamill (et soupira intérieurement de soulagement à l’idée que ni l’une, ni l’autre n’ait essayé de le tuer), serra les poings quand il fut question des blessures du jeune homme, remercia silencieusement la femme aux cheveux bleus, hocha la tête de temps en temps…mais lorsque Seth avoua piteusement qu’il était amoureux, Gil ne put s’empêcher d’éclater de rire.

- Bon sang, lâcha-t-il en s’essuyant les yeux, c’était tellement… je ne m’y attendais pas, ajouta-t-il pour que le garçon ne confonde surtout pas rire et moquerie. Tu m’as pris de court avec ta question.

Il soupira, puis secoua la tête et passa sa main dans ses cheveux.

- Je suis tellement mal placé pour te répondre ! Dans mon cas, c’est très grave, oui. Dans ton cas… mmmh. Si tu tiens de ta mère, je crois que tu as du souci à te faire.

Il parlait sérieusement mais la lumière qui dansait dans ses yeux vairons confirmait la taquinerie. Gil aurait manqué à tous ses devoirs s’il n’avait pas profité de l’occasion pour se laisser aller à la malice… Pourtant, il regardait Seth avec une fierté inégalable. Il n’aurait pu en être autrement, alors que le jeune homme lui confiait les déboires de son coeur en partageant une bouteille d’eau de vie avec lui ! C’était un échange d’homme à homme, et sur ce point, ils avaient beaucoup à partager.

- Ne fais pas la même erreur que nous, dit soudain l’envoleur, toute trace de plaisanterie envolée, et il chercha le regard de Seth avant d’approfondir ses paroles : ne passe pas à côté de ce qui est peut-être l’amour de ta vie. Il faut savoir reconnaître et surtout apprécier à sa juste mesure un coup de foudre, qu’il soit sentimental ou simplement amical.

Aurait-il agi différemment si quelqu’un avait été là pour lui dispenser ce genre de conseil ? Aurait-ce été suffisant pour que Naïs et lui ne gâchent pas le peu de temps qui leur avait été accordé ? Peut-être. Peut-être pas. Là encore, Gil réagit avec une sagesse nouvellement acquise : au lieu de se morfondre sur ce qui appartenait au passé, il préférait s’intéresser à l’avenir - à celui de Seth, et, qui sait ? de Brise aussi… Ils continuèrent de discuter, abordant divers sujets, si bien que l’aube n’était plus très loin quand enfin ils allèrent se coucher. Mais en dépit de l’heure tardive, Gil ne put se résoudre à fermer l’oeil sans avoir ouvert le carnet de Naïs. A la lumière d’une bougie, il s’assit sur son lit et contempla le leg un long moment avant d’enfin défaire le lien de cuir. L’écriture qui noircissait les pages était fluide et arrondie. Il songea que ce ne pouvait être celle de Naïs puisqu’elle était aveugle, et il se demanda qui avait bien pu tracer ces lignes pour elle. A moins bien sûr qu’elle ait trouvé quelque subterfuge…

Les premiers mots le happèrent. Entraîné par le récit comme il avait été emporté par celui de Seth, Gil remonta le temps et retrouva sa princesse aux yeux dorés. Une larme roula silencieusement le long de sa joue. Un sourire étira ses lèvres.

Il s’endormit le carnet serré contre sa poitrine.



Courir le long du lac était un délice matinal auquel Gil ne coupait jamais lorsqu’il était chez lui. Torse nu, il s’était élancé sur le sentier après avoir salué Nora ; elle était toujours la première levée. Il arrivait parfois qu’elle l’accompagne, moins loin et moins vite, mais ce matin-là elle s’était mis en tête de préparer un petit-déjeuner pantagruélique aux trois mâles qui lui tenaient compagnie. Elle l’avait donc chassé de la cuisine avant qu’il ait eu le temps de chaparder quoi que ce soit. Gil avait adopté une foulée tranquille. Il avait peu mais bien dormi, et en dépit des quelques lampées d’alcool, il ne se sentait pas l’esprit embrumé ; ses sens étaient à peine émoussés, ses muscles un peu raides - rien qu’une course matinale ne puisse gommer. La rosée scintillait dans les touffes d’herbes et en petites perles dans les toiles d’araignées. Une écharpe de brume s’enroulait encore au-dessus du lac endormi et autour des troncs d’arbres, mais le soleil dardait déjà ses rayons et promettait une journée plus chaude que la veille.

Il courait déjà depuis près d’une heure lorsqu’un bruit de pas résonna dans son dos. Sans se retourner, Gil reconnut une foulée régulière. Un pli de sourire dans la joue gauche, il se décala vers la droite pour faire de la place à son nouveau compagnon de course.



[Oui, hein ! Ce Rp remue bien des émotions ]

Dernier à profiter du bac d’eau réservée au bain, Gil pesta à propos de l’eau qu’on lui avait laissée presque froide même une fois de retour dans la cuisine. Evidemment, nul ne prêta grande attention à ses jérémiades ; Gil préférait se laver à l’eau froide. Il cessa de marmonner pour savourer le petit-déjeuner de Nora. Elle s’était encore une fois surpassée et il s’était demandé comment ils allaient bien pouvoir tout manger, avant de voir Seth et Makeno engloutir plus que deux fois leur part. Amusée, Nora fit un commentaire à propos de “ces jeunes qui sont en pleine croissance”, tout en poussant Gil du coude, lequel se contenta d’avaler ses tartines avant qu’un des deux gamins ne les lui chipe. En dépit des apparences, il goûtait avec bonheur à cette sérénité qui avait envahi la maisonnée - comme si l’arrivée de Seth avait été la pièce manquante du puzzle. Puis Mak repoussa sa chaise et s’empressa de débarrasser son coin avant de leur planter une bise sur la joue. Chaque matin, c’était la même chose : le garçon filait retrouver Hielstan, le rêveur qui vivait sur une rive du lac Chen. Il ne revenait pas avant la fin d’après-midi.

Nora se leva à son tour ; elle avait du linge à étendre avant d’aller en ville pour ouvrir sa boutique. En ce qui concernait Gil, il avait prévu de réparer une partie du toit de l’appentis qui avait été endommagée lors de la dernière tempête, puis il lui faudrait se rendre à Al-Chen afin de faire quelques emplettes… et de trouver du travail. Non pas qu’il manquât de l’argent afin de faire tourner cette maison, les revenus de Nora étant généralement suffisant puisqu’ils vivaient, pour l’essentiel, de leur potager et des bienfaits de leurs bêtes ; Gil était tout simplement incapable de rester là les bras croisés. Il avait décidé de proposer à Seth de venir ; il ne savait pas exactement combien de temps le jeune homme comptait rester, mais plutôt que de se poser trop de questions il préférait profiter de la présence de ce dernier. Il était en train de laver la vaisselle, et Seth d’essuyer celle-ci lorsque ce dernier prit la parole d’un ton grave. Sans cesser de frotter une assiette, Gil écouta sa question. Un instant plus tard, l’envoleur posait une main mouillée sur le bras du garçon.

- Allons-y maintenant.




Le lac scintillait, captant l’éclat du soleil qui s’amusait à jouer à cache-cache derrière des nuages ronds et cotonneux. Un vent frais agitait les feuilles des arbres qui bordaient l’eau. Louvard fonçait comme un fou sur le sentier, la truffe au sol pour ne pas lâcher les mille et une pistes qui s’offraient à lui ; en pleine croissance lui aussi, il était encore terriblement gauche et s’emmêlait régulièrement les pattes, ce qui le faisait trébucher dans la poussière sans toutefois le dissuader d’adopter cette allure rapide. Les mains dans les poches, Gil le tenait à l’oeil. Il n’aimait pas le montrer mais il s’était attaché à cette boule de poils. Jugeant utile de faire d’une pierre deux coups, l’envoleur avait pris soin d’emporter son arc et son carquois avec lui. Il avait espéré chasser le dîner mais c’était sans compter le jeune chien-loup qui faisait un raffut pas possible ! Le Perce-Vent était donc au repos sur son épaule… mais ce n’était que partie remise.

Ils arrivèrent dans une clairière tapissée de fleurs. Le soleil qui filtrait à travers l’épais feuillage des puissants chênes dessinaient des rais de lumière dans laquelle flottait de petits grains de poussière semblables à des pépites scintillantes, auxquels répondaient les reflets dorés sur le lac, à peine visible entre les troncs recouverts de mousse et de lierre. Au pied de ces derniers poussaient des cardamines, ces petites fleurs blanches et sauvages qui indiquaient, pour qui était un voyageur aguerri, la proximité d’un plan d’eau. Des papillons voletaient d’une plante à une autre. Louvard créa de la confusion dans cette tranquillité en galopant dans l’herbe haute et en sautant pour tenter de croquer les bourdons qui butinaient des pissenlits. Au centre de la clairière, des jacinthes au violet pénétrant recouvraient une petite butte surmontée d’une plaque d’ardoise verticale, haute d’un mètre environ. Il avait fallu un immense courage et des trésors de patience à Gil pour la tailler puis y graver les quelques mots suivants :

Naïs Jol
Flamme dans le vent
Qui ne s’éteindra jamais vraiment

Gil s’arrêta à quelques mètres de la tombe pour laisser un peu d’intimité à Seth. Les mains toujours enfoncées dans ses poches, il leva les yeux et son regard se perdit dans la danse des feuilles. Il n’était pas poète et les mots qu’il aurait voulu écrire n’avaient jamais franchi la barrière de son coeur. Ce qui ne l’empêchait pas de venir ici, de temps en temps ; il s’asseyait à côté de la tombe et son silence se mariait à celui des environs. Parfois, Mak venait avec lui. C’était beaucoup moins silencieux : le garçon racontait ses aventures à sa mère, comme si elle était toujours là, ignorant que cela causait une plus grande douleur à Gil qui, lui, se taisait. Seth avait dû trouver la rose séchée, issue de l’herboristerie de Nora, que l’envoleur avait déposée sur la pierre d’ardoise lors de son dernier passage. Sans savoir combien de temps ils allaient rester là, Gil alla s’installer dans l’herbe, aux limites de la petite clairière. Le dos appuyé contre un tronc solide, il croisa les mains derrière sa nuque et ferma les yeux.