≈≈≈ Seth ≈≈≈
« Oh s’il te plaît racontes moi encore l’histoire»
Une lueur d’amusement s’allume dans ses yeux dorés malgré sa cécité. Maintenant que je suis grand je comprends mieux son handicap. Quoique, je ne suis pas sûr qu’avec Maman on puisse vraiment parler d’handicap ?! C’est un peu étrange et trop compliqué pour moi, mais pour le définir de manière plus claire c’est un peu comme si le reste des sens qui lui restait avait finalement remplacé sa vue. Elle passe ses doigts fins dans mes cheveux, ce qui me tire un léger frisson. Elle a la peau tellement douce.
« Mais je te l’ai déjà raconté hier soir mon lapin »
Je sais ! Mais j’y peux rien, je l’aime trop cette histoire. Ca doit être parce que cette fille me fait tant penser à Maman. Alors je passe mes bras autour de sa taille et laisse aller ma tête contre sa poitrine. Sa marche à tous les coups. Et… Encore gagné ! Elle commence comme toujours par
« Il était une fois… ». Elle est tellement triste cette histoire. Au début, princesse de son état, la jeune fille est heureuse. Elle vit avec sa famille, choyée et aimée. Alors qu’elle a dix-huit ans, comme toutes ses grandes sœurs son père lui offre un cheval pour qu’elle puisse découvrir le royaume. Ce qu’elle fait bien sûr. Cependant, durant son voyage, elle tombe amoureuse d’un garçon de condition plus que modeste. Hélas son père est au courant et pourchasse les deux amoureux. Seulement, l’amant de la jeune fille est tué. Folle de chagrin, elle vit recluse loin de son château natal. Plusieurs années plus tard alors que sa sœur est montée sur le trône, on entend dire que dans le royaume règne une sorcière terrible. Ayant perdu son amour elle jette une terrible malédiction sur la famille royale spécifiant que tous les premiers nés mâles doivent lui être consacré. Elle vient les chercher en personne et nul ne sait ce qu’ils deviennent. Je rigole doucement en me disant que c’était sans doute une histoire pour faire peur aux petits enfants. Mais moi ça ne me fait pas peur. Primo : je suis courageux. Secondo : je pense que finalement ce monde n’est pas dépourvu de justice – ce dont je doute parfois en me souvenant de mon défunt frère.
Une dernière étreinte et ma mère éteint la bougie. Elle doit encore partir. Je n’aime pas beaucoup quand elle part. Surtout que là, elle ne doit pas revenir avant un mois. Généralement, elle n’est jamais bien longue à revenir. Mais là, c’était différent. Et elle n’avait pas été franchement bavarde sur le sujet : elle a juste parlé du Domaine. Mais je ne comprends pas encore bien ce que c’est. L’un dans l’autre tant mieux : moins j’en sais sur ses activités mieux ça vaudra. Mais bon parfois je serais quand même un peu curieux de savoir ce qu’elle fait.
« Bonne nuit Maman. Reviens vite… »
Elle me répond par un
« Bonne nuit mon chéri ». Ca y est, je peux dormir !
≈≈≈ Ainhoa ≈≈≈
« Ca y est ? Il est couché ? »
Elle me répond par un signe de tête affirmatif.
« Tu vas lui manquer au petit, tu sais ?! »
Mais ça, ça ne change pas. Et rien ne lui fait changer d’avis. Moi, ça me laisse dubitative ses histoires. Heureusement, et je lui en suis vraiment reconnaissante, elle ne me met pas au courant. Je préfère ne rien savoir de ce qu’elle fait durant tout ce temps. A mon avis ce n’est sûrement pas très net. Mais bon, elle est quand même ma sœur, ma cousine et un des seuls parents proches qu’il me reste et dieu sait que je l’aime énormément.
« Je sais, mais là, je ne peux vraiment pas faire autrement. »
Avec une pointe de tristesse sincère dans la voix, elle s’assoit à table en face de moi. Je la comprends, ça doit être un véritable supplice de se séparer de son enfant. Cependant, je ne dis rien : c’était elle qui l’avait choisi. Comme si elle lisait dans mes pensées, elle ouvre la bouche pour répliquer, mais avant qu’elle ait pu dire quoi que ce soit, Atal entre dans la pièce. Ah, il doit donc avoir fini avec Océan, le cheval de Naïs. Je me lève, elle aussi, et je l’étreints fort. Elle va me manquer, comme à chaque fois qu’elle part. Je voudrais retenir ma grande sœur, rester dans ses bras chauds et accueillants si forts et pourtant si doux.
« Fait attention à toi »
Elle me caresse la joue, enroule un instant une de mes mèches autour de son doigt avant de me fixer. C’est dingue, elle est sensée être aveugle, et j’ai la sensation que finalement elle me voit quand même. Comment on appelle ça ? De la sorcellerie ? Et avec ce sourire énigmatique qui lui est habituel, elle pose une main sur mon ventre.
« Toi aussi »
Alors là, j’ai pas bien compris ! Je ne lui ai pourtant encore rien dit ! Non d’une chiure de mouche comment a-t-elle fait pour le savoir ? Elle n’est vraiment pas normale ma sœur !!
≈≈≈ Naïs ≈≈≈
Je n’ai même pas dis au revoir à Seni. Il va être triste. Mais il fallait vraiment que je parte. Je me surprends à sourire : que n’aurais-je pas donné pour voir la tête d’Ainhoa. Elle ne m’avait rien dit, mais j’ai deviné. Je pense qu’elle voulait attendre qu’on soit tous réunit, mais c’est raté. A mon retour, elle aura sans doute déjà un peu de ventre. C’est Seth qui va être content : ça va lui faire un compagnon. Même s’il va falloir attendre qu’il grandisse un peu pour l’emmener jouer dans les rochers alentours.
Cela fait combien de temps qu’Océan galope ? Je n’en sais trop rien. Mais ce qui est sûr, à ce rythme là, j’arriverai vite au Domaine.