Un petit malentendu... [TERMiNE ]

Dolce ne disait rien, et ne faisait qu’écouter la jeune femme. Elle réfléchissait encore un peu à voix haute, mais cela ne le dérangeait pas. Il était juste… surpris. Surpris, et sidéré : elle lui accordait donc sa confiance ? Parce qu’elle comptait lui demande de l’envoyer dans la gueule du loup, littéralement. Même si elle n’avait rien à perdre, même si cela comptait plus que tout… Il se sentait en un sens flatté. Et en un autre utile. Mais d’un dernier côté, il n’avait pas envie de l’envoyer à la mort non plus.

L’Envoleur mettait toutes ces idées bout à bout dans son esprit. Retrouver donc Vanora. Pour que Syndrell eût sa vengeance, en quelques sortes. Etait-ce réellement une vengeance à point nommé ? Il en doutait sincèrement. Il avait plutôt l’impression que la jeune femme allait au-devant des ennuis, et ne supportait plus d’être recluse à cause de ces personnes qui en voulaient à sa vie. Et la meilleure défense restait l’attaque.

Un léger soupir passa ses lèvres, et il s’allongea sur le dos.
Ne disant rien, il se contentait pour l’instant de dessiner du bout des doigts les muscles du dos de la jeune femme, assise sur le bord du lit, lui tournant le dos. Ses cheveux tombaient en mèches folles sur ses épaules, et conféraient une allure encore plus vespérale à la teinte de sa peau. Un sourire éclairait le visage de Dolce.

Finalement, il se redressa à son tour, entourant de ses propres bras ceux de Syndrell, ainsi que ses genoux. Collé à elle, la tenant devant lui, il inspira son odeur quelques instants, juste profitant de ce moment agréable. Puis, il se remit dans une position plus confortable et la regarda longuement. Un demi-sourire sur les lèvres.

- Tu sais Syndrell, je n’ai aucune envie de t’envoyer dans le terrier de la vipère…

Il soupira, fixa le plancher un instant. Avant de revenir poser son regard dans celui, doré, de la jeune Marchombre.

- Mais ton idée et bonne, et peut tenir debout. Il faudra en effet régler quelques petits détails, surtout au niveau de notre « lutte »… Et puis, tu dis que tu t’occuperas de Vanora. D’accord. Mais n’oublie pas que je suis là…

Il afficha un sourire mystérieux, les yeux dans le vague. Oui, il ne la laisserait pas comme ça, mourante, entre les mains de cette femme. Il ne la laisserait pas se faire tuer, et il estimait qu’elle n’en avait pas le droit. Après, c’était le genre de choses qu’il s’abstenait évidemment de dire ; même si sans doute pouvait-elle en voir les contours dans son regard. Elle était libre, et il n’avait en aucun cas le droit, lui non plus, d’entraver cette liberté si puissante qui émanait d’elle.

- Et même si le Domaine ne me ferait plus confiance, même s’ils me traqueraient n’importe où, je préfèrerai m’assurer que tu vis plutôt que de te regarder mourir. C’est bien clair, jeune louve ?

Un sourire en coin accompagna ses paroles.
Mais dans son regard, il était clair qu’il était très sérieux.

Il ne répondit pas immédiatement à sa question et elle lui en savait gré. Syndrell avait lancé son idée avec une lueur espiègle au fond des yeux, comme s’il s’agissait d’une simple anecdote, mais le sujet était bien trop important pour être pris à la légère. Lorsque Dolce la serra silencieusement dans ses bras, elle comprit qu’il réfléchissait à sa proposition, pesant le pour et le contre – et quel contre !

Elle lui demandait clairement de l’aider à se foncer dans le danger. S’il acceptait, lui aussi mettrait sa vie en péril, peut-être même davantage que la sienne ; il y avait donc largement matière à réflexion et la marchombre ne brisa pas le silence la première, profitant simplement de l’étreinte de son amant avec une expression de réelle plénitude sur le visage.

- Tu sais Syndrell, je n’ai aucune envie de t’envoyer dans le terrier de la vipère…

La jeune femme fronça les sourcils et tourna la tête vers lui. Elle ouvrait déjà la bouche pour protester – elle ne lui demandait son avis que pour le coup de main dont elle avait besoin et comptait bien retrouver Vanora, qu’il le veuille ou non ! – mais déjà l’Envoleur enchaînait :

- Mais ton idée est bonne, et peut tenir debout…

Syndrell se détendit imperceptiblement. Il acceptait ! Dolce acceptait de l’aider. Il n’était pas enchanté à l’idée de participer à sa « capture » mais à voir sa mine réjouie, il appréciait le stratagème et surtout, il appréciait l’idée de mettre un terme aux agissements de Vanora. Il était avec elle…

Et sa gorge se serra soudain. Avait-elle pu être assez stupide pour oser penser le contraire ? Miss avait raison, elle aurait dû accepter de l’aide bien plus tôt, mais elle s’état entêtée. Elle s’était crue capable d’affronter seule ses démons, n’avait pas compris qu’elle tirait sa meilleure force de ses amis.

Ne nous fuis pas, Syndrell. Si l’on tient à toi, et qu’on ne fuit pas nous-mêmes quand tu nous en parles, c’est bien parce qu’on trouve que ça en vaut la peine, quelque part. Parce qu’on t’aime…

- Et même si le Domaine ne me ferait plus confiance, même s’ils me traqueraient n’importe où, je préfère m’assurer que tu vis plutôt que de te regarder mourir. C’est bien clair, jeune louve ?

Syndrell leva un regard flamboyant vers lui, et les larmes qui noyaient ses yeux valaient toutes les réponses du monde. Un souvenir se fraya un chemin dans son esprit, en écho aux paroles de l’Envoleur : et pendant une seconde – non, un fragment de seconde – elle se retrouva face à Leif, cet espion qu’elle voyait alors pour la première fois de sa vie.

- Les Ombres font leur travail et de ce travail, j’exige qu’il soit toujours parfait. Pas de tentatives ratées, pas d’échec. Nous manipulons des documents plus précieux que la vie de chacun d’entre nous. Nous véhiculons des informations qui peuvent déclencher la guerre dans l’Empire. Nous n’avons pas le droit à l’erreur. C’est bien clair, jeune louve ?
- Transparent, monsieur.
- Oublie ça. Ici, tu es Louve et moi, je suis Leif…

La jeune femme battit des paupières et une larme accrochée à ses cils roula sur sa joue. Elle l’essuya d’un revers du coude enfantin et trouva enfin la force de sourire. Son égo en avait subit de belles, récemment… Miss avait frappé en plein dans son orgueil, puis Dolce lui avait enseigné l’humilité. A présent, il lui apprenait l’esprit d’équipe…

- Tu es un ange, souffla-t-elle avant de déposer une bise de papillon au coin des lèvres. Un ange aux allures de démon…

Glissant sa main derrière sa nuque, elle l’embrassa avec fougue et ils retombèrent sur le matelas tandis que dehors, Singa poussait un énième hennissement de protestation. Il allait devoir attendre encore un peu…




- J’ai cru comprendre que vous alliez mieux, tous les deux…

Les pommettes de Syndrell rosirent légèrement et elle adressa un clin d’œil complice au rêveur pour se tirer d’affaire. A son plus grand étonnement, il le lui rendit de bon cœur, et la jeune femme éclata de rire.

- Il y a des remèdes qui ne trompent pas, affirma-t-elle.
- Etes-vous sûrs, cependant, de vouloir reprendre la route aussi vite ?
- Sûrs et certains.

La marchombre avait passé trop de temps à Fériane, puis à Ondiane, pour pouvoir se passer de rester dans une confrérie davantage de temps que nécessaire. Il était temps pour elle de battre à nouveau des ailes…Le rêveur hocha pensivement la tête. Syndrell et lui traversaient la cour baignée de soleil pour rejoindre l’écurie, où Dolce s’affairait déjà avec leurs montures.

- Qu’il ne se fatigue pas plus qu’il n’en faut. Son épaule est complètement guérie mais il n’a pas encore retrouvé toutes ses forces.
- J’y veillerai.
- C’est bien ce qui m’inquiète…

Syndrell sourit en remontant le col de sa cape. Elle avait troqué celle du Mentaï, trop longue et trop lourde de sens, pour une cape fournie par la confrérie. Les rêveurs avaient également lavé ses vêtements et elle avait enfin pu rendre sa chemise à Dolce pour se vêtir à nouveau de la sienne – non sans mal, car l’Envoleur n’avait eu de cesse de la dévêtir, jusqu’à ce qu’ils aient trop faim pour pouvoir garder le rythme…

Les chevaux étaient sellés et prêts au départ. Esbroufe accueillit Syndrell comme de coutume, mais Singa détourna la tête chaque fois qu’elle s’approcha de lui. Comprenant qu’il boudait, la jeune femme glissa une main sous sa cape pour en sortir la pomme de la paix… et une minute plus tard, ils étaient à nouveau les meilleurs amis du monde.

Puis, comme attirés par des aimants, les yeux d’or croisèrent les yeux verts, et Syndrell eut la saisissante impression de s’être reçu un coup de poing en pleine poitrine. Elle avait le souffle coupé de la même manière, alors qu’elle n’avait fait que regarder Dolce, et c’est à cet instant précis qu’elle tomba amoureuse. A présent, il était impossible de revenir en arrière, songea-t-elle alors qu’elle enfourchait Esbroufe. Et la voix du rêveur lui parut soudain très, très lointaine.

- Bonne route, les enfants. Evitez de courir au devant du danger, cette fois…
- Nous ferons attention, promit Syndrell.

Elle avait cependant pris soin de croiser les doigts derrière son dos, de sorte de ne pas lui mentir. Puis elle tourna bride, suivant Dolce et Singa, et ils quittèrent enfin Ondiane. Alors, la marchombre fit avancer son cheval pour se placer à la hauteur de Dolce.

- J’ai emporté quelques pots d’onguent avec moi, dit-elle malicieusement, le regard perdu à l’horizon. Juste au cas où…

Le sourire éblouissant qui illuminait son visage était sa première victoire sur les sombres événements qui avaient forcé son destin. Son genou frôlant celui de Dolce était sa première force.

Un éclat de rire jeté au vent.
Un regard, royaume de tendresse, échange d’amour.
Puis Syndrell talonna Esbroufe et partit au grand galop dans la plaine.

Dolce caressait doucement le chanfrein de Singa. Il sentait, savait, que ce voyage ne serait pas le dernier. Il était persuadé que tout n’allait pas finir ici et maintenant. Il n’était pas encore prêt, et puis il devait retrouver plutôt rapidement ses apprenties pour leur examen. Dernier examen qu’il leur ferait passer lui-même, somme toute, étant donné que le prochain se passerait avec les autres Maîtres Envoleurs.

Un léger soupir passa ses lèvres.

Attrapant une étrille, il commença à panser son étalon, qui semblait heureux de l’attention. Prenant son temps, il entendait Syndrell qui discutait avec un Rêveur mais n’entendait pas les mots. Juste le son de sa voix, et cela le faisait déjà sourire. Il grattait son étalon sous le poitrail, le long de la colonne, contre le garrot, et le cheval s’arrondissait de plaisir. Le nettoyant en profondeur et parfaitement, Dolce cherchait ses points sensibles. Il n’avait pas pu vraiment faire connaissance avec le jeune étalon, depuis son achat, et c’était l’occasion de reprendre sur de bonnes bases. Ainsi, Singa brilla bientôt comme un sou neuf, et le jeune homme s’occupa aussi d’Esbrouffe, la monture temporaire de la Marchombre. Le cheval ronfla quand il entra dans le box et vint lui demander des caresses, lui tirant un sourire. S’en occupant aussi méticuleusement, il démêla avec patience ses crins entremêlés pour que la crinière et la queue du cheval cascadent parfaitement sur son encolure et sa croupe, longueurs ondulées.

Quand les deux montures furent prêtes et harnachées, l’Envoleur les emmena à l’extérieur des écuries pour les présenter à Syndrell, qui le rejoint des étoiles dans les yeux. Ils marchaient tranquillement au pas, et Dolce hocha la tête distraitement quand elle lui dit qu’elle avait pris des onguents au cas où… Elle avait bien fait.

- Syndrell, je te suis, tu le sais. Mais ce ne sera pas pour tout de suite. Je dois rentrer au Domaine. Et si j’ai retrouvé mon intégrité physique, il faut que je m’entraîne encore pour pouvoir être assez efficace…

Relevant le regard de la crinière de Singa jusque dans les yeux de la jeune Marchombre, il se mordit la lèvre. Le sourire qui accueillit ses mots effaça tous ses doutes, et il ne put que lui rendre ce merveilleux sourire qu’elle lui offrait.

Dans un éclat de rire, elle lança une course.
La dernière course de ce voyage.
La première du prochain.

Le rire de Dolce rejoignit le sien, et Singa partit vivement derrière Esbrouffe, naseaux pincés, poussant dans son arrière main, encolure allongée pour pouvoir gagner un maximum sur la longueur de foulée. Rattrapant le pangaré, Singa souffla joyeusement, et l’Envoleur fit glisser ses doigts dans les cheveux bleus vifs de Syndrell.

Lui volant un baiser, perché sur ses étriers, il se redressa brusquement, faisait piler Singa.
Un nouvel éclat de rire.

L’étalon pie isabelle vira vers le Nord-Est, accélérant encore une fois.
Syndrell et Esbrouffe ne furent bientôt plus qu’un point noir à l’horizon.
Et un éclat dans le regard de Dolce.