L'ombre d'un espoir [PV Gil]

- Est-ce que c'est vraiment nécessaire ? Je te l'ai dis, je suis ma propre route, je m'offre la sensation illusoire de la liberté, mais au fond, je suis piégé. Par ma condition - la tienne, la leur... Tuer un homme ? aucun problème. Tuer un Mentaï ? C'est encore mieux !

Et puis, je parie que ma tête sera mise à un meilleur prix que la tienne, après ça !

(Demi sourire)

- Oh, à ce prix-là je suis prêt à parier ma flûte...

[Dieu du ciel, toute cette attente pour trois mots... Je suis vraiment désolée, Naïs ! Je suis débordée, avec tout le retard que j'ai pris, mais mon prochain poste sera à la hauteur (enfin, presque) de tes attentes, juré promis !]

Trop confiant ? Lui ?
Gil ferma les yeux. Il ne savait pas en quoi, ni en qui il avait vraiment confiance. Aucune famille, aucun ami… Seren ? Il avait suffisamment risqué sa vie à ses côtés pour la lui confier. Iselle ? Sûrement pas. Il fallait être fou ou bien n’avoir plus le moindre choix pour en être réduit à faire confiance à une femme. C’est la leçon qu’il tirait de la mort de sa mère.

Naïs ?

Pourquoi accepter de l’aider s’il ne lui faisait pas confiance ? Difficile à dire, et plus encore, difficile à croire. Après tout, il ne la connaissait que depuis quelques heures. Quelques heures follement agréables, mais était-ce la condition pour accepter un contrat aussi risqué et dans lequel il n’avait strictement rien à gagner ? L’Envoleur était perplexe. Offrir ses service n’était pas dans ses habitudes, alors pourquoi… ? C’est une belle galère, Cabochard. C’est une vraie belle grosse galère et tu te jettes dedans aveuglément. Aveuglément, vraiment ? Les yeux toujours clos, Gil laissa le bout de ses doigts courir sur la peau satinée de la jeune femme. Tout doucement, il suivit le contour de son bras, effleura le creux de son coude, puis la rondeur de son épaule, dessina le contour de son sein, descendit vers son ventre… Si c’est ça la cécité, qu’on me crève les yeux sur le champ ! La peau de Naïs était plus douce que du miel.

Rouvrant les yeux, il bascula sur le dos, emportant l’Envoleuse dans son élan. Elle se retrouva sur lui, il se retrouva en elle.
Aveuglément.

*

- Petite nuit ?

Gil hocha la tête tout en bâillant à s’en décrocher la mâchoire, puis s’étira longuement. Un grognement lui échappa lorsqu’une roue du chariot passa dans une ornière, les secouant sans sommation. Assis à côté de lui, Pragon Fliboise avait sur les lèvres l’ombre d’un sourire qui agaçait l’Envoleur. On aurait dit que le vieil homme en savait plus qu’il ne voulait le laisser croire.

- J’ai fait une drôle de rencontre.
- Drôle dans le sens de « amusante » ou bien « étonnante » ?
- Les deux.

Il était très rare que Gil fasse étalage de ses exploits nocturnes, mais à qui donc pouvait-il seulement raconter ses nuits ? Il n’avait pas d’ami. Pas de confident. Le rêveur était son employeur et son protégé pour le temps d’un voyage, ils ne se connaissaient que depuis deux jours mais, pour curieux que cela puisse paraître, le jeune homme se sentait… invité… à parler.

- Et cette rencontre, elle était jolie ?

Gil s’abstint de répondre mais ses yeux parlèrent pour lui et Pragon partit d’un grand éclat de rire. Au début, l’Envoleur pensa qu’il se moquait de lui et serra les poings sans y prendre garde, puis il soupira et finit enfin par se dérider. Un pli de sourire au creux de la joue et une étoile au fond des yeux, il attendit que son compagnon de route se calme pour reprendre d’un ton plus doux :

- J’ai trouvé un nouveau boulot…
- Déjà ? Et bien, on peut dire que les affaires marchent bien !
- … sans rémunération.
- …oh.

Durant quelques minutes, le chariot bringuebalant poursuivit sa route sans qu’aucun des deux hommes n’ouvre la bouche. Puis…

- Elle devait être sacrément jolie, dis donc.

Oui, et moi, sacrément fou !

*

C’était complètement, indéniablement, foncièrement insensé.
Mais depuis quand était-il raisonnable ? Gil laissa fila un petit rire nerveux. Il était nerveux. Ecrire n’était pas dans ses habitudes, alors écrire à une aveugle… Lorsqu’il avait posé la question au maréchal ferrant qui avait remplacé les fers de Pic, ce dernier avait éclaté de rire. Puis l’avait traité de fou. Gil n’avait pas eu le courage de lui trancher la gorge. A quoi bon tuer un idiot ? Si la bêtise était un motif au meurtre, il ne resterait pas grand monde sur cette terre…

Oui, il voulait écrire à une aveugle. Et alors ? Comment avait-elle fait pour lui écrire, elle ? D’accord, sur le moment, il n’avait pas tellement apprécié que l’oiseau se pose devant lui et se mette à piailler alors qu’il était sur le point de tuer un daim. Ce piaf stupide lui avait fait manquer une belle prise… puis il y avait eu la lettre. Son cœur s’était affolé. Il ne recevait jamais de lettre. Jamais. Qui pouvait bien lui écrire ? Iselle ? Ce n’était pas son genre. Anee ? Ils ne s’étaient pas quittés en assez bons termes pour qu’il ait mérité un tel geste de sa part… L’œil bleu et l’œil marron avaient étincelé de surprise à la vue de la signature. Naïs. La seule qui n’était pas censée pouvoir lui écrire et pourtant, qui d’autre ?

Trouver quelqu’un qui puisse résoudre son problème n’avait pas été une mince affaire. Il avait cherché longtemps avant de trouver un Dessinateur qui accepte de l’aider, en échange d’un contrat que le jeune homme devrait honorer sans salaire à la clé. Un tel sens des affaires l’avait fait grincer des dents mais il avait une lettre à envoyer. Une lettre spéciale. Une lettre écrite de telle façon que Naïs pourrait la lire, non pas avec ses yeux mais avec ses doigts.

Il lui faisait confiance pour comprendre le message, aussi succinct soit-il ; c’était sans doute la première lettre qu’il envoyait, il n’avait aucune idée de ce qu’il fallait y mettre…

Je serai là
Gil

Le piaf, toujours aussi stupide après sept jours passés dans sa besace à grignoter les miettes qu’il lui donnait de temps à autre, s’envola enfin, le court message attaché à la patte. Gil le suivit un petit moment des yeux. Il soupira.

C’est complètement, indéniablement, foncièrement insensé…



[Un peu de mal aussi... mais très hâte de passer à la suite !!]