Les Profondeurs d'Al-Chen [PV Hièlstan et Kaizo]

La réponse de Kaizo s’enchaîna après la mienne.

—Eh bien pour ma part, je viens d’Al-Jeit, je ne connais pas mes parents. J’ai gagné mon argent en gagnant de petits paris dans certains quartiers. Actuellement je vis moi aussi dans le coin et j’avais l’intention de m’acheter une bonne lame. Cependant je ne pensais pas celles-ci aussi chères.

Kaizo venait d’Al-Jeit ! La capitale de Gwendalavir ! Elle me paraissait si loin… J’avais entendu toute sorte de choses à son sujet. Et au sujet de l’Arche, bien sûr. Il fallait que j’y aille, un de ces jours ! Histoire de voir ces miracles d’architecture.

Lui aussi, il avait grandi sans parents, apparemment. Il n’avait pas été voleur mais avait tout de même réussi à survivre. Pour moi, c’était difficile à comprendre. Comment gagner de l’argent avec des paris ? De quel genre de paris parlait-il ? Son histoire était vraiment intrigante. Et le fait qu’il achète une lame ne me choqua pas vraiment. C’était nécessaire si on voulait être sûr de pouvoir se défendre.

—Je vous remercie tous les deux pour cette journée et ce délicieux ragoût. Et Erhan sans rancune pour l’altercation de ce matin ?

Il sourit et je croisai son regard en souriant à mon tour. J’étais désormais bien plus sûr de ses intentions. C’était certainement quelqu’un en qui je pouvais avoir confiance.

—Sans rancune, ça me va ! Tu n’auras qu’à me faire visiter Al-Jeit un de ces jours, et ce sera totalement oublié. Ajoutai-je spontanément.

J’étais en train de terminer tranquillement mon assiette quand Hièlstan fronça les sourcils et demanda :

—Kaizo, pourquoi avez-vous besoin d'une... "bonne lame", comme vous dites ? Etes-vous menacé, en danger ?

Il semblait douter de l’utilité d’une arme ; ce que je comprenais, venant d’un Rêveur. En même temps, les Rêveurs ne devaient pas souvent se faire agresser. Ils n’étaient pas réputés pour leur richesse, et ils étaient assez respectés pour leurs dons de soigner les gens. Ils n’attiraient donc guère les pillards. Hièlstan n’avait pas l’air d’avoir été confronté à de grands dangers dans sa vie…

Ou peut-être que si, après tout, je n’en savais rien.

Je me doutais vaguement de la réponse qu’allait donner Kaizo.

J’étais certain, ou presque, de comprendre ses raisons d’acheter une épée. C’était nécessaire pour survivre, et surtout, pour se sentir en sécurité quand on savait que le danger pouvait survenir n’importe où et n’importe quand.

Je n’avais que ma dague, d’ailleurs. Cela me faisait penser qu’un jour, il me faudrait moi aussi trouver une arme un peu plus efficace en cas de confrontation physique. On ne savait jamais ce qui pouvait arriver sur les routes.

"Je vois... Un peu comme les gens qui escortent les caravanes, j'imagine... Ils ne peuvent pas se passer de leur arme, c'est nécessaire à ce qu'ils font..."

[pause]

"Et s'il te faut tuer ? Tu es bien jeune pour ça... Blesser quelqu'un c'est une chose, j'imagine, mais prendre une vie..."

[frisson]

"Et vous Erhan, vous envisagez aussi un travail... Dangereux ?"

"Ah ! Je suis bien d'accord avec toi. Vous savez, je suis venu ici avec une caravane, depuis Al-Jeit ; et bien, il y a eu un énorme incendie sur notre chemin..."

[frisson]

"Ca a été une sacrée nuit."

[pause]

"Je ne sais pas ce que vous envisagez, Erhan ; mais l'un comme l'autre, je vous voie bien accompagner une caravane. Vous avez déjà voyagé comme ça ?"

- Ça pourrait être une expérience enrichissante en plus d'être sympathique. Mais pour être honnête je n'ai pas réellement d'idée sur l'endroit où je pourrais dégoter une personne cherchant deux jeunes garçons comme escorte.

[Dit-il ironiquement.]

-Espérons que nous trouverons quelque chose demain.
[Il sourit]

"Ah ! Ca, pour être enrichissant... Et sinon, il faut aller au point de départ des caravanes ! Il y en a un près de la porte Est. De là, vous verrez bien... C'est vrai que vous êtes jeunes, mais on ne sait jamais ! Autrement, le jeune homme qui a rénové ma maison venait du comptoir commercial du Nord-au-Lac. Vous trouverez facilement, c'est un des plus gros d'Al-Chen, il est dans le coin de la pote Nord mais vers le lac, au pied d'une tour d'où il y a un observatoire, attendez... Voilà, du papier..."

[dessine un plan]

"Voilà, ici. Là-bas, vous vous inscrivez, et les employeurs viennent chercher de la main d'oeuvre... Les intermédiaires vous mettent en relation dès qu'il y a une possibilité. Du coup, une commission est reversée au comptoir, mais à ce que m'avait dit Soroïl -le menuisier qui est venu pour la maison-, le salaire est à peu près équivalent à celui que l'on touche si l'on ne passe pas par un intermédiaire.
Peut-être que là-bas, il y a des marchands qui doivent circuler sur des petits trajets et demandent des escortes ? Je ne sais pas trop..."

[silence]

"Qu'est-ce que ce serait qui t'intéresse, Erhan ? Si ce n'est pas trop indiscret... Peut-être que je pourrais te renseigner ? Je ne suis que Rêveur mais mon... Grand âge... [rire] m'a permis d'acquérir quelques connaissances qui pourront peut-être t'être utiles..."

[hésite fortement, puis hausse les épaules en souriant]

-Je suis un marchombre. Enfin, un apprenti seulement. Je ne sais encore que peu de choses sur tout ce que ça implique, mais je pense que ça pourrais être plaisant. J'ai cru comprendre que le maître-mot d'un marchombre, c'est la liberté. C'est pour ça aussi que ça m’intéresse.

-Merci pour ces indications Hièlstan, j'irais voir dans les mois à venir pour trouver une escorte. Je pense rentrer demain. Erhan, je te propose de rentrer ensemble à l'Académie.

[souris]

—Erhan, je te propose de rentrer ensemble à l’Académie, Lâcha Kaizo en souriant.

Je me tendis brièvement. Que… Il connaissait l’existence de l’Académie ?

Un déclic se produisit dans mon crâne. Puis je compris. Lui aussi, il était un apprenti marchombre ! Ça expliquait qu’il était dans une situation similaire à la mienne : il venait de loin, n’avait pas beaucoup d’argent, et il me donnait l’impression, lui aussi, de chérir la liberté qui avait toujours été mon moteur. Il était intéressé par les voyages également. Je ne savais pas si tous les marchombres en étaient férus, mais je savais que je l’étais.

Je souris et acquiesçai à Kaizo pour lui signifier que j’acceptais évidemment sa compagnie sur le retour. Ce serait plus agréable à deux que de marcher tout seul.

Hièlstan sembla un peu gêné.

—Excusez-moi, j'ai été surpris... Par ce que vous venez de me dire. J'ai... J'ai déjà rencontré des Marchombres, à vrai dire. En tout cas, trois personnes dont je sois sûr qu'elles l'étaient, et je dois vous avouer... Qu'elles ne m'en ont jamais parlé de leur plein gré.

Je me tus, un peu surpris. Bah, ce devait être normal s’il en avait déjà croisé. L’Académie n’était pas très loin, et il était probable que les marchombres soient plus nombreux dans les alentours d’Al-Chen qu’ailleurs.

—Je ne suis pas sûr que vous devriez mentionner cela avec autant de légèreté.

Alors que le Rêveur enchaînait, presque bredouille, sur sa lancée, Je me dis qu’il aurait en effet été plus sage de se taire. Mais le Rêveur nous avait soignés et invités gratuitement chez lui. J’avais jugé bon de lui répondre franchement quand il m’avait demandé ce que je faisais dans la vie. Certes, parler de l’Académie n’était peut-être pas très fin, mais Hièlstan ne semblait pas être du genre à divulguer ce genre d’informations à n’importe qui…

J’acquiesçai distraitement quand le Rêveur parla de la dangerosité de la vie d’un marchombre ; mais je me disais souvent que ce ne serait pas pire qu’être un voleur à Al-Far. Jusqu’ici, je n’avais pas encore risqué ma vie en tant qu’apprenti marchombre. A Al-Far, risquer sa vie était une nécessité presque journalière.

Je terminai mon assiette d’un air songeur, me demandant si, dans un excès de gratitude envers Hièlstan, je ne lui avais pas accordé trop ma confiance en lui parlant de ma vocation de marchombre.

Je m’étais déjà promis par le passé de ne plus me rapprocher trop de quelqu’un, par crainte du jour où la personne en question ne disparaisse à jamais. J’avais déjà suffisamment souffert comme ça.

Hièlstan restait bien entendu un ami à mes yeux, ou en tout cas une personne digne de confiance, ce qu’autrefois j’aurais froidement appelé un allié.

Le repas se termina tranquillement, et je me rendis compte, avec l’obscurité du dehors, qu’il était plutôt tard. La fatigue accumulée dans la journée se fit rapidement ressentir, avec picotements dans les yeux et légères courbatures. Je demandai poliment à Hièlstan où je pouvais dormir, et j’étais si exténué que je me souvins à peine de l’endroit où je m’écroulai presque avant de plonger dans un sommeil profond.

Une journée folle de plus dans ma vie !