Groupe Buif - Cours n°1

Il arrêta sa monture à une centaine de mètres de l'Académie, la scrutant depuis la lisière des arbres. Un soupir franchit ses lèvres, écho à tous ceux qu'il avait laissé échapper chaque fois qu'il approchait de cet endroit. La première fois, sa curiosité et son enthousiasme avaient surmontés son éternelle morosité, le jeune homme affichant l'ombre d'un sourire alors qu'il avait franchit les portes principales. La visite des lieux l'avait occupé une matinée, la découverte des alentours le reste de la journée. Puis c'est l'ennui qui l'avait gagné. Sur les conseils de Lenaya -laquelle avait finit par gagner son entière confiance au fil des mois- il s'était rendu dans cette fameuse Académie. Et maintenant... il tournait en rond. Depuis plus d'une semaine maintenant, il effectuait chaque jour des aller-retour entre les villages proches et parfois même cette ville que l'on appelait Al-Chen, rentrant chaque soir à la tombée de la nuit pour découvrir une nouvelle fois que rien n'avait changé, que ce panneau d'affichage restait toujours aussi vierge de toutes indications. Il s'était donné une dernière semaine à attendre, puis avait décidé qu'il partirait si aucunes nouvelles ne lui étaient transmises.

Il se tiendrait à cette décision, même si celle-ci avait le don de le faire douter. Ce qui l'agaçait énormément. Une femme lui avait parlé d'elle, de son statut de Marchombre, de la Voie qu'elle suivait et la Voie qu'il pourrait suivre lui aussi et voilà qu'il l'écoutait, s'enfermant dans une bâtisse de pierre à attendre qu'on le... prenne en charge ? Il grogna, lançant N'takeï au trot pour rejoindre les écuries. Ça ne lui ressemblait pas. Pourtant, au fond de lui, il savait qu'il voulait être là, qu'il souhaitait découvrir cette Voie que Lenaya lui avait fait entrevoir, avec laquelle il avait goûté à une once de sérénité. Il devait juste se faire à cet endroit et à l'idée de s'intégrer au sein de cette société si différente de la sienne. Il lui fallait accepter de faire face à lui-même, d'accepter ses démons pour les dompter.

Il douta presque de sa volonté à se lancer sur cette Voie dont Lenaya lui avait parlé, alors qu'il pénétra dans le hall après avoir installé son étalon dans un box. A sa plus grande satisfaction, les lieux n'étaient jamais bondés de monde, mais il ne pouvait s'empêcher de trouver les Alaviriens étranges. Leur société était différente de la sienne sur bien des aspects, le laissant bien souvent perplexe. Lenaya lui avait paru étrange au départ, puis il s'était habitué à sa présence, attribuant sa singularité au personnage. Finalement, c'était tout leur monde qui lui semblait curieux. Il avait croisé des femmes armées, parfois même portant une armure quand il s'était rendu à Al-Chen, le laissant à chaque fois dubitatif et dans l'incompréhension. Il avait parcouru les grands marchés de la ville, étonné de ne pas y croiser un seul marchand d'esclave. Puis, il avait effectué des allées et venues qu'il ne comptait plus dans la ville, laquelle autorisait les étrangers à y pénétrer sans contrôle apparent. Enfin, il avait appris qu'aucun Roi ne dirigeait les lieux. Une simple figure importante apparemment, puisque c'était un seul et même homme qui semblait être à la tête des villes de tout l'Empire. Venant d'un peuple de guerriers et n'ayant connu que les conflits depuis son enfance, il s'étonna alors que toutes ces villes dont il avait entendu parler semblaient vivre en paix. Il ne les comprenait pas vraiment, ces Alaviriens. "Pas pour l'instant", d'après Lenaya.

Il sortit de ses pensées moroses quand son regard doré se posa sur le panneau d'affichage, y découvrant un mot qui n'y était pas la veille, juste sous son nom. Il s'en saisit alors en fronçant les sourcils. On lui avait montré à son arrivée ce panneau, lui expliquant qu'il y trouverait le nom de son maître... et on l'avait laissé là. Il avait alors passé une bonne demi-heure à déchiffrer chaque liste. Lenaya lui avait appris l'alphabet utilisé en Gwendalavir, mais celui-ci différait sur de nombreux point de celui Nimurde et il lui avait fallu un temps fou pour reconnaître son propre patronyme sous celui d'un autre - son maître : un certain Milo Sahid.

Ce dernier lui avait visiblement laissé un mot. Ce qu'on pourrait appeler un sourire se dessina sur son visage. Exaspéré, puis amusé. N'y arriverait-il donc jamais ? Des semaines qu'il attendait ce mot, pour finalement réaliser qu'il était dans l'incapacité de le déchiffrer. Pathétique. Il comprenait désormais leur langue la plupart du temps, s'exprimer sans trop de difficulté malgré un accent prononcé, mais écrire et lire... C'était trop en demander. Il se tourna vers la salle et se dirigea vers la première personne qu'il aperçut.

- Qu'est-ce qu'il est écrit ?

Le regard du jeune homme passa plusieurs fois du mot au visage du Nimurde, interloqué. Haussant les sourcils, Amsetaïk le secoua sous ses yeux, ne se souciant pas de son intonation bourrue.

- Alors ?

L'autre finit par lui lire les mots écrits sur le papier, alors qu'Amset se concentrait pour bien les comprendre, son regard se perdant quelques instants dans le vide. Satisfait, il tourna les talons et prit la direction de l'endroit où il dormait, se répétant les paroles du jeune homme en boucle. Il ne les oublierait pas, refusant de devoir demander une nouvelle fois à ce qu'on lui lise un stupide bout de papier. Le faire une fois l'avait déjà bien trop agacé.


Il avait attendu la nouvelle lune, comme lui avait indiqué Milo et son satané mot. Il sortit alors de la pièce dans laquelle il dormait, prenant la direction des écuries. On lui avait parlé de monter et il décida donc de déposer son sac à côté du box de N'takeï, l'immense étalon se tournant vers lui quand il s'approcha. Si c'était un voyage qu'ils s’apprêtaient à faire, le jeune homme s'en trouverait ravi. Il ignorait où ils se rendraient et pour combien de temps, mais le Nimurde ne possédait de toute manière que très peu de biens. Quelques bijoux qu'il portait, des vêtements, une veste de cuir et  deux hachettes des Nimurdes en fer forgé suspendues à une lanière de son bagage. Il déposa le tout et se dirigea à l’extérieur.

Il plissa les yeux dans l'obscurité, marchant lentement pour s'habituer au manque de lumière. Il prit la direction de la porte d'entrée et se planta devant, croisant ses bras couverts d'une simple chemise de lin sur sa poitrine. La fraîcheur de la nuit ne l'affectait pas, le climat alavirien lui semblant définitivement doux. Puis... il attendit. Il ne pourrait pas dire combien de temps, les yeux fixés au loin. Sur ses gardes ? Oui, par habitude. Pourtant, il ne vit ni n'entendit l'homme qui surgit de la nuit et s'approcha de lui. Décroisant les bras, il se tourna vers lui et observa celui qui se dressait face à lui et qui devait être Milo. Une nouvelle fois, il se fit la remarque que son interlocuteur était petit. Ils l'étaient tous. Outre sa peau sombre, il ne pouvait en dire plus pour le moment, l'obscurité ambiante dissimulant considérablement le faciès de l'homme. Sa voix en revanche résonna d'un ton tranquille et avenant aux tympans du Nimurde, ce dernier souriant presque quand il buta légèrement sur son nom.

- Bonjour. On m'appelle souvent Amset si tu préfères. Et je suis ici, donc je suis d'accord. Même si je n'ai pas encore saisi ce qu'est cette Voie.

Son ton n'avait pas été aussi bourru qu'habituellement, mais ses paroles restaient toujours aussi concises. Il arborait sans s'en rendre compte un air patibulaire, mal aimable. Il s'en moquait éperdument, celui-ci gardant bien souvent les gens à distance, ce qui lui convenait tout à fait. Il avait conscience qu'il lui faudrait laisser Milo l'approcher à un moment, comme il avait laissé malgré-lui Lenaya l'apprivoiser. Mais pas maintenant. Pas encore. Ce qu'il ne comprenait pas, c'est que ce n'était pas Lenaya qui s'était approché, c'était lui qui s'était ouvert à elle de son plein gré au fil du temps. Il lui faisait confiance. C'était donc ainsi qu'une réelle relation avec un individu fonctionnait ? Il n'avait jamais réussi à mettre de mots sur ses sentiments, ne les avaient jamais compris. Peut-être cette formation lui apporterait cette découverte de lui-même en plus de la découverte de cette fameuse Voie. Peut-être. Il l'espérait.