Rilend Ansakh Admin
Nombre de messages : 766 Citation : ... Date d'inscription : 18/03/2009
Feuille de personnage Age: 36 ans Greffe: Absorption des coups Signe particulier: Sa dague fétiche, Talisman. Bien dissimulée sous les cheveux, une cicatrice à l'arrière du crâne suite à une commotion cérébrale. Un pendentif rond, en nacre. Elle se transforme en Panthère noire.
| Sujet: [LIBRE] En descendant le Pollimage... Mar 19 Juil 2016, 00:48 | |
| Cela aurait pu être une chanson. Une chanson bucolique, un peu blues, d'une piétonne solitaire qui allait descendant le Pollimage d'un pas régulier, l'esprit tranquille et le coeur libre. Le sourire aux lèvres et les yeux épiant le paysage avec gourmandise, ces grands plateaux et ces longues plaines, ces rives boisées et ces fourrés, un terrain de jeu pour chat sauvage. L'esprit tranquille, vraiment ?
La veille, Rilend avait commencé à se poser quelques questions. Sa vie ayant ralenti après avoir brutalement accéléré pour quelque temps, la jeune femme avait pu prendre le temps de se poser et de réfléchir plus avant à tout ce qui lui était arrivé au cours des derniers mois. Ce court laps de temps, si court, depuis que Libertée l'avait libérée de son serment d'apprentie marchombre lui paraissait déjà un siècle. Elle avait voyagé, et pourtant il restait tant de chemins à parcourir ! Tant de lieues à avaler, à toute allure ou bien en prenant le temps de goûter le voyage, et tant de plaisirs à découvrir et vivre ! Tant de combats aussi, tant à soutenir que livrés en si peu de jours...
Et c'était justement sur ces combats récents que, la veille au soir, devant les flammes rouges et blanches, l'esprit de Rilend s'était laissé prendre au piège des longues réflexions solitaires. En effet, depuis peu, il lui semblait que son rapport à l'affrontement avait changé. Non pas qu'elle fût devenue plus belliqueuse, ou couarde, ni même guerrière, non. Elle n'avait pas non plus acquis une grande maîtrise des arts martiaux et, au contraire, commençait à prendre en compte et en conscience sa relative inexpérience dans ce domaine, caressant du doigt la mesure de tout ce qu'il lui restait à découvrir. L'humilité avait, un temps, été son plus grand défi et aujourd'hui encore, il lui restait un peu trop de son orgueil de chasseresse nocturne, de sa morgue féline. Il lui faudrait garder à l'esprit cet écueil. Pourtant, ce soir-là, ce qui préoccupait Rilend ne tenait pas à ses certitudes encore trop prégnantes. Cette nuit-là, sous la voûte d'un bleuté nuageux, la jeune femme avait plutôt songé au déroulement de ses batailles. Aux coups encaissés. Ou pas, justement. Elle s'en rendait compte maintenant qu'elle examinait minutieusement ses souvenirs, les coups qu'elle avait encaissés ne lui avaient pas laissé de marque impérissable. Pas de douleur, pas de dégâts, pas de perception même sinon la conscience du choc, sans souffrance ni casse. Rilend voulait bien imaginer que l'adrénaline effaçait volontiers la douleur et soutenait l'esprit, mais l'adrénaline et elle...n'étaient pas de réelles compagnes de route, et à la différence de certains de ses camarades, elle n'était pas sujette à l'ivresse du combat. Cette excitation violente, cette réduction soudaine du champ de l'esprit et des perceptions au simple ennemi à abattre, cette fièvre brûlante et dévorante de la victoire, dont les légendes parlaient avec emphase et les soldats avec le rire aux lèvres, lui demeurait inconnue. Peu à peu, Rilend avait appris à combattre froide et concentrée. Du moins sous forme humaine. Alors, pourquoi cette insensibilité ? En remontant dans son passé proche, elle réalisa que le "problème" se posait depuis peu, depuis, tout au plus, sa visite à Libertée dans sa coquette maison d'Al-Chen, avant la naissance de son enfant - tiens, il faudrait qu'elle retourne voir son maître ! Depuis la dernière "mission" de son maître. Depuis son dernier grand voyage. Dans la poussière, le sable et la chaleur.
Peu à peu, une hypothèse s'était faite jour dans l'esprit tourmenté de la marchombre. Alors, elle s'était levée, et elle avait marché entre les troncs, loin, jusqu'à ce que le feu ne soit plus qu'un souvenir crépitant. Et là, dans l'obscurité parfaite, dans le silence et l'odeur humide de la forêt, Rilend avait inspiré. Profondément. Elle s'était lentement immergée dans le flux de vie de la nuit, l'énergie environnante, le Temps enfin, en longs gestes centrés et ritualisés, jusqu'à retrouver tout au fond d'elle une conscience et un Chemin qui ne la quittaient jamais. Et puis elle avait frappé. Un tronc. Elle avait eu mal, s'était écorché les phalanges, mais une vague réminiscence s'était éveillée, un moment qu'elle n'aurait pas pensé pouvoir oublier. Un cocon de roche, et une ivresse particulière, un chant magique et tellement plus que cela. Elle avait laissé ce rêve affadi l'envahir, et avait frappé. Une fois. Deux fois. A la deuxième fois, elle eut le sentiment d'avoir franchi une barrière, comme un col de montagne, et d'accéder à une nouvelle possibilité. Sans trop savoir ce qu'elle faisait, Rilend la saisit et frappa. Elle ne sentit rien. Rien du tout. Nulle écorchure ne vint s'ajouter à ses phalanges meurtries. Elle essaya encore, de l'autre main, intacte. Elle ne sentit rien de douloureux, sinon la conscience du choc, sans aucune protestation de son corps. Rilend contempla ses mains, abasourdie. Résister aux coups ? C'était donc ça ?
Puis, s'ébrouant, la jeune femme se changea, se couvrit de fourrure noire et ses prunelles grises virèrent au vert frais, presque jaune. Elle s'étira, fit jouer ses muscles en un rapide échauffement, flaira, gronda et s'enfonça dans la forêt et une certaine altérité. Cette fois-ci, elle ressentit l'ivresse de la traque. Mais cette fois-ci, ce n'était pas Elle. Le matin la trouva repue et blottie, humaine, sous ses couvertures. Tout en levant le camp, la jeune femme songea à ses découvertes de la nuit passée. Et elle y songea encore en descendant le Pollimage à petits pas économes. Quand elle salua le garde, à l'entrée du petit village, elle y songeait encore. Et encore quand elle accepta la pinte de bière que lui offrait l'éleveur de chevaux "le plus réputé du coin", d'après ses renseignements. Tout en observant les nobles quadrupèdes et en les jaugeant de l'oeil, tout en s'essayant avec quelques discussions avec eux, elle y pensait encore.
Et quand elle repartit, tenant à la bride son nouveau compagnon de route, bai, baroque et solidement charpenté, le cheval encore sans nom n'était pas seul dans ses pensées. |
|