[-16] Groupe Teex - cours n°3

Syles fulminait. Il fulminait tellement que Gil s’attendait à tout moment à ce que la neige fonde sous lui. Il voyait presque de la fumée lui sortir par les oreilles ! Et ça aurait dû le faire sourire, le faire rire même, sauf qu’il savait que pour une fois, la situation n’avait rien de drôle. Se sentir prisonnier n’avait rien de drôle. Privé de ses ailes, entravé par des liens, un homme peut-il encore revendiquer sa liberté ? Gravir une pente aussi dure était-il à la portée de n’importe qui ? Gil montait souplement et sans effort apparent alors que le jeune homme peinait à le suivre, gêné tant par la corde que par sa colère. Une baffe – au mieux ! – l’attendait là-haut, c’était clair. Si son élève y parvenait. Il donnait l’impression de se détacher de la montagne à tout moment. De vouloir abandonner à chaque instant. L’incompréhension était inscrite sur son visage, la rage brillait dans ses yeux. Il ne comprenait pas. Il n’avait pas encore compris ! Allez, morveux, encore un effort. Secoue la tête et connecte tes neurones, bon sang !

Il perçut le premier changement dans le souffle du garçon. De saccadé, celui-ci s’apaisa soudain. Devint inspirations longues et calmes. Ce fut ensuite dans ses gestes que Gil vit une modification franche : plus fluides en dépit de la corde, plus souples en dépit de la hauteur. Puissance dans l’acceptation de l’effort. Puis le regard de Gil trouva celui de Syles, et il se figea un bref instant. De la rage ? Oui, tellement ! Mais la rage de réussir, de prouver sa valeur, de repousser ses limites, plus loin encore, et de les dépasser ! Et autre chose, aussi. Une chose qui frappa Gil en plein cœur et que la boutade du jeune homme ne suffit pas à atténuer. Un merci silencieux et lumineux. Alors, Syles arriva à sa hauteur, et pas seulement sur cette falaise de glace. Comprenait-il l’importance de cet instant ? Gil aurait voulu le lui crier. Ce fut un simple murmure qui s’échappa de ses lèvres gelées.

- Le dernier arrivé est une fiente de siffleur.






Il n’y eut pas de perdant.
Seulement deux gagnants. Un Envoleur rompu à l’escalade de murs aussi raides, et… un Envoleur qui prenait son envol. Enfin ! Assis à côté de Syles, épaule contre épaule, Gil parvint à calmer son souffle. Pas les battements de son cœur. Enfin… Ils y étaient. A cet instant où tout prend fin. Où tout commence. Une mer de nuages s’étendait sous leurs yeux, et au-dessus de leur tête, un ciel céruléen. Ils se trouvaient sur le toit du monde. Il n’y avait pas de mot pour décrire la beauté de ce moment que Gil avait pourtant déjà connu, mais de manière différente ; pas de comparaison possible avec ce qu’il ressentait en ce moment, alors que son apprenti et lui étaient plus proches que jamais. Un gamin écervelé, une grande gueule de première, un emmerdeur hors catégorie, un parasite dont il était impossible de se débarrasser, un élève qui n’était pas le sien à l’origine et que Gil ne regretterait jamais, jamais d’avoir un jour pris sous son aile.

Parce que merde, on s’est bien marrés, toi et moi, pas vrai ?


Gil ne disait rien. Syles ne disait rien. Ils se contentaient d’observer les nuages, la neige qui scintillait dans les sommets, la chaîne du Poll qui se déployait sur la gauche, Méria qui planait dans le ciel. Libre. Gil se redressa, ignorant la protestation de ses muscles fatigués, et attendit que Syles en ait fait autant avant de lui attraper les mains.

- Corps et esprit sont liés, dit-il doucement, tout en défaisant les liens qui meurtrissaient ses poignets. Mais le lien qu’entretient un Envoleur entre les deux n’est pas un lien.

Il s’agenouilla dans la neige, s’occupa de défaire la corde qui entravait les chevilles du jeune homme. Leva la tête et planta son regard dépareillé dans le sien.

Un regard brillant d’émotion.

- C’est une fusion, ajouta-t-il dans un souffle. Et c’est ma dernière leçon. Tu es libre, désormais.

Pas seulement libéré d’un bout de corde que Gil jeta dans le vide.

Libre.

Dans tous les sens possibles du terme.

Curieux comme de simples paroles pouvaient à ce point ébranler une conscience. Gil ne dit rien mais observa Syles pendant que celui-ci menait un combat intérieur, celui d’un Envoleur contre un apprenti. Difficile de réaliser. D’accepter. De lâcher prise. De dire au revoir. Il se souvenait très bien de la réaction de Kaünis – comment pourrait-il l’oublier ? C’était la première fois qu’elle lui avait témoigné ouvertement de l’affection. Elle l’avait serré dans ses bras et chaque fois qu’il y repensait, il se sentait tout chose. Il ne pouvait pas prédire ce qu’allait faire Syles. Parce que, tout comme Kaünis, ce morveux était fichtrement imprévisible. Toujours là où on ne l’attendait jamais. Et c’était là sa plus grande force. Alors, Gil se contenta d’attendre, immobile et silencieux, que le jeune homme fasse le deuil de trois ans de formation, et accepte de faire ses premiers pas seul sur la Voie qui était désormais la sienne. Toi, un Envoleur… C’était pas gagné, songea-t-il avec amusement, mais regarde un peu où tu te trouves ! Il aurait pu parler à voix haute, mais il n’en fit rien. Pas de sentimentalisme entre eux. C’était la règle ! Une règle qu’ils avaient brisé à quelques reprises, alors il fallait faire ça bien, pour une fois.

Il vit soudain Syles s’ébrouer et se rapprocher doucement, pour s’arrêter juste en face de lui. Il haussa un sourcil en le voyant lever la main, paume tournée dans sa direction. Un salut frontalier pour un envol d’Envoleur ? C’était bien du Syles, ça ! Gil leva la main à son tour, et…

- Enfer de bordel de…
- Tu ramollis, vieillard, lança l’insupportable garnement en brandissant la lame que sa fichue greffe venait d’attraper, je garde ça pour la montrer à Kaünis, viens la chercher !

Sans lui laisser le temps de réagir, Syles s’élança dans le vide. Gil se pencha et suivit des yeux sa descente, rapide, souple, efficace, preuve irréfutable que cet épouvantable sale gosse avait bel et bien achevé sa formation. Cela remontait déjà à plusieurs jours, peut-être même qu’il avait eu cette flamme dans le cœur depuis toujours, mais le voir s’envoler avec autant de superbe, ça flanqua un coup de poing dans l’estomac de Gil. Il battit des paupières. J’ai de la pluie dans les yeux, ou quoi ? Il les essuya d’un revers du bras, puis porta la main à sa ceinture. Les bougre. Ils l’avaient dépouillé. Pourtant Gil se sentait le cœur léger. Récupérer ses lames était un défi qu’il relevait avec plaisir. Il allait prendre son temps ; peut-être ne reverrait-il pas Syles avant longtemps, mais leurs retrouvailles étaient toutefois une promesse qui faisait battre son cœur et qui fit naître un sourire sur ses lèvres.

Sois sage, morveux. Sinon je te ferai la misère quand on se retrouvera !




La monture de Syles n’était plus là quand il retrouva Chante-Brume. Gil câlina la jument et se mit en selle en songeant que le voyage de retour allait être long, sans les bavardages incessants de son apprenti. Ancien apprenti. Vais avoir du mal à m’y faire… Il soupira et fit tourner bride à sa monture. Allez, ma belle. On rentre à la maison. Libertée l’attendait-elle, cette fois ? Nouvel espoir qui chassa la nostalgie de son cœur et lui donna un objectif.

Il rentrait chez lui.



[Non, merci à toi Syles ! Comme Gil, je ne regrette pas d'avoir repris ce cours en main. C'était formidable et bon sang, ça va me manquer de ne plus te faire trimer, hein ! N'oublie pas ta promesse de venir te taper l'incruste dans mes rps... ]