[-16] L'ombre du silence [Irae]

Hucheloup m’est tombé dessus quand je fouinais, répondit Bastian sans quitter le noble des yeux. On a papoté un peu.

Il était peu probable que leur hôte tente quelque chose maintenant - d’abord parce que leur arrangement était, croyait-il, dans son intérêt, et ensuite parce qu’il y avait trop de monde ; un coup d’éclat ferait courir des rumeurs que cet homme n’était pas prêt à affronter. Sûr de lui, Bastian baissa les yeux et plongea dans le regard flamboyant d’Ìrae. Il sourit en se remémorant sa première question.

Et toi, tu accepterais de danser avec un sourd ?

Sans attendre la réponse, il l’entraîna vers la piste. Au cours de son apprentissage, Bastian avait été formé à tout ce qui pouvait lui être utile en mission : l’étiquette, le paraître, l’art de juger une oeuvre, de nouer des relations, de leur servir un verre de vin ou bien une dose de poison… Il pouvait paraître curieux que la danse ait fait partie de cet enseignement, mais il suffisait de connaître un peu Bastian pour réaliser au contraire qu’il s’agissait d’une évidence.

Il avait appris à faire tout ce qu’un entendant pouvait faire.

Certes, ce soir-là il n’avait pas eu à masquer sa surdité, celle-ci faisant partie du personnage de Gil’Baste ; toutefois, il lui était arrivé de devoir faire illusion, en lisant sur les lèvres, en forçant sa voix (il détestait cela), en tournant la tête comme s’il réagissait à un son. En outre, danser ne supposait pas seulement d’écouter une musique et de la suivre. En matière de rythme, celui d’un combat était tout aussi cadencé !

Vibrations. Moins bien perçues que s’il s’était trouvé pieds nus, et pourtant, elles étaient là, tout autour de lui, qui le guidaient dans ses pas.

Contact. Physique d’abord, car il tenait Ìrae entre ses bras et il sentait qu’elle conduisait leur danse au moins autant que lui ; visuel ensuite, parce qu’il ne la quittait pas des yeux. C’est d’ailleurs au fond de ses prunelles qu’il lisait ce que ses oreilles lui taisaient.

Soudain coupé du reste du monde, il ne vit pas les invités qui les regardaient évoluer, subjugués par une cohésion unique et fabuleuse. Ìrae était une flamme entre ses doigts, captivante et malicieuse, insaisissable lorsqu’il la laissait tourbillonner, chaleureuse quand il la serrait contre lui. Difficile d’imaginer que ces deux-là aient pu s’affronter en duel quelques jours plus tôt !

Mais peut-être s’agissait-il d’un autre type d’affrontement… Le jeu était là, qui scintillait dans leurs yeux et illuminait leurs sourires ; le défi chevillé au corps, Bastian cherchait à lui donner le tournis, ou bien à se faire pardonner de l’avoir abandonnée à cette noblesse insipide le temps d’accomplir sa mission. Il voulait rendre cet instant inoubliable. Le tempo ralentit. Plaqué contre l’envoleuse, il inclina la tête et sentit son souffle chaud contre ses lèvres, exactement comme dans les bains, juste après leur duel de champions.

Alors, une main pressa son épaule, et il se retourna à contrecoeur pour dévisager Axim Hucheloup.

- Puis-je vous faire l’affront de vous subtiliser votre merveilleuse cavalière ?

Bastian réalisa que la danse était finie et qu’une autre était sur le point de débuter, qui exigeait un changement de partenaires. Son sourire, glacial, fit légèrement pâlir le noble, puis il inclina la tête et se détacha d’Ìrae.

Jouer la comédie ayant ses limites, il préféra aller se servir un verre plutôt que de regarder sa compagne virevolter au bras d’un autre. L’alcool apaisa ses pensées désordonnées, mais son agitation, qu’il décida de tromper en se laissant alpaguer par un groupe de gens odieusement guindés. Sans Ìrae pour rapporter ses paroles, la discussion l’ennuya rapidement et il y mit un terme pour sortir sur le large balcon.

L’air piquant de la nuit rafraîchit son visage. Les bras appuyés sur la balustrade, il sonda les ombres en quête d’une réponse à une question dont il ignorait pourtant la teneur. Son attention vaguement émoussée par l’alcool et la distraction, il ne perçut pas la silhouette qui se glissa dans son dos.


[Tu parles Charles ! Je me régale - et j'ai repéré le clin d'oeil à Emrys  ]

La chaleur apaisante de Bastian lui donnait le sentiment d'émousser ses sens. Elle s'efforça de se recentrer sur ce qu'il lui disait.

Hucheloup m’est tombé dessus quand je fouinais. On a papoté un peu.

Papoter, hein ? Un sourire dansa sur ses lèvres peintes de rouge cuivré. Leur discussion avait dû être... passionnante. La mission semblait être réussie – pourquoi pas, en effet, profiter des festivités ?

D'autant qu'elle avait à son bras quelqu'un de bigrement intéressant – voir plus.

Et toi, tu accepterais de danser avec un sourd ?

Un autre sourire répondit pour elle. Oh que oui, elle danserait avec ce sourd si particulier, qui parlait via l'Imagination, qui se battait comme un tigre mais était plaqué au sol par un seul regard, qui lui inspirait d'étranges sentiments et qu'elle se plaisait à vouloir troubler.

Il l'emporta vers la piste et ils se mirent à valser. C'était tout un autre niveau que ses précédents prétendants à la danse. Pas seulement parce qu'il dansait bien mieux que cette assemble de nobles – mais il y avait ce corps tantôt serré contre elle, tantôt éloigné pour un pas ou deux. Elle n'avait pas activé sa greffe, mais elle sentait une chaleur particulière émaner de lui – d'elle ? – d'eux ?

Ils dansaient en parfaite harmonie, ces envoyés du chaos, comme ils s'étaient battus quelques temps plus tôt contre un convoi armé pour subtiliser des sphères graphes, comme ils avaient combattu dans l'arène. Une seule danse, qu'elle soit de mort ou de vie, un tourbillon et elle se pressait contre lui pour un pas plus osé.

Sachant qu'il aurait du mal à guetter la musique, elle proposait un rythme, sans le quitter du regard – et se chuchotaient entre les paires d'yeux bien des choses qui ne se murmuraient pas.

Un pas, un autre. La danse était hypnotique, le reste disparaissait. C'était comme si un lien les retenait inéluctablement, même quand leurs doigts ne faisaient que se frôler avant une étreinte qui picotait le bout de ses doigts.


C'était une danse animale, une danse humaine, pleine de non-dits et de murmures silencieux, une danse dans laquelle elle se plongea corps et âme ; n'importaient que leurs doigts entrelacés, la main sur sa taille, la sienne sur son épaule. Elle se faisait feu ardent, puis étincelle brûlante quand elle le désirait. Elle se consumait au fil de leurs gestes et oubliait tout, les autres, les danses précédentes, les nobles sans saveur, la mission...

Puis.

Ce bref instant, hors du temps, où leurs souffles se mêlèrent, où le sien manqua de se tarir, à l'attente de quelque chose.

Quelque chose qui ne vint pas.

- Puis-je vous faire l’affront de vous subtiliser votre merveilleuse cavalière ?

Elle glissa un regard d'or glacé à Axim Hucheloup qui en effet commettait un affront en les interrompant. Sans doute voulait-il se venger de l'humiliation subie en la prenant ainsi, mais Ìrae n'appréciait guère d'être considérée comme une prise de guerre. Et elle était décidée à le lui faire regretter.

Elle laissa filer de ses doigts déjà froids le corps chaud de Bastian, vint à contrecœur prendre la main que le noble lui tendait. La musique en fond revint peu à peu à ses oreilles et c'est avec dédain qu'elle sentit la main d'Axim dans le bas de son dos. Ses yeux, brûlant de trouver Bastian et de s'y attacher, choisirent plutôt de s'enflammer pour son danseur d'un temps. Pas de feu réconfortant ou du genre à attirer les papillons, mais un brasier auquel on risquait de se blesser.

Ìrae Courtesy n'était pas un trophée et elle le fit savoir dès les premiers pas. Imposant sa cadence, son rythme, lui échappant sans cesse, elle était feu follet, inatteignable et inoubliable.


Le tempo s'accentua et le rythme imposé par Ìrae devint de plus en plus difficile à suivre pour le noble qui ne parvenait à reprendre les rênes de la danse. Elle se déchaînait, explosant d'énergie après être restée en retrait pour la mission. Impossible à suivre. Ce fut avec un point sur le côté qu'Axim Hucheloup rompit la danse.

Satisfaite, elle chercha Bastian du regard. Ne l'apercevant pas, elle se dirigea vers le balcon et l'observa silencieusement de dos, quelques instants. Son cœur bataillait dans sa poitrine, insaisissable. Elle était à un cheveu de trouver la réponse, qui lui glissait entre les doigts comme de l'eau.

Elle s'approcha finalement de lui tout en silence et s'accouda à ses côtés à la balustrade. Elle chercha quelque chose à dire pour entamer la conversation. Échoua lamentablement. Se reprenant et incitant son cœur à se calmer, elle finit par tourner la tête vers Bastian.

Ta danse était bien meilleure.

Piètre intervention, songea-t-elle en se mordant la lèvre.

[j'adore ce rp ]

Notre danse.

Coude à coude, ils écoutent le silence de la nuit, chacun à sa manière.

Je commence à prendre goût au travail en équipe.

Sourire.


[Et moi donc ! ]

Les parfums de la nuit et ses bruits feutrés.

Seulement au travail en équipe ?

Sourire en coin.

Coup de coude moqueur.

Professionnellement parlant, oui.

Personnellement parlant...

Bref silence. Comment poser une réponse dont on ne connaît pas la question ?

Que penses-tu de moi ?

Sourire léger adressé à la lune.

Il y a parfois des questions qui se passent de réponse.

Ou bien des réponses qui se passent de questions.

Bastian délaissa le sourire d’un croissant de lune pour se tourner vers Ìrae. Dans la nuit, ses yeux brillaient comme ceux d’un chat. Il se déplaça sur le côté, de façon à coincer l’envoleuse entre la rambarde et lui. Un bras de chaque côté d’elle, il se figea, un bref instant.

Le temps d’admirer son visage, parce que je pense que tu es belle.
Le temps de croiser son regard et d’esquisser un bref sourire, parce que je pense… non, je sais que si tu le souhaites, tu peux m’envoyer valser la tête la première dans les buissons qui sont en bas.

Sans bouger le petit doigt.

Le temps d’ancrer ce moment dans sa mémoire, parce que je pense que je n’en vivrai pas beaucoup qui soient aussi beaux.

Le temps de comprendre qu’il était déjà trop tard.

Il n’était plus capable de penser quoi que ce soit.

Alors il pencha la tête et franchit enfin la distance qui le séparait d’elle. Son baiser fut doux, à peine plus tangible que la caresse d’un papillon. Est-ce qu’il mourait d’envie de se laisser aller ? Oui. Mais pas ici. Ni maintenant. Alors il recula légèrement et, écartant une mèche tombée devant le visage de la jeune femme, il la replaça derrière son oreille.

Tu es une sacrée trouvaille, Ìrae Courtesy, dit-il enfin. Je suis honoré de te connaître, orgueilleusement fier que tu sois ma "femme d'un soir", et... sincèrement charmé.

Etait-elle frustrée de ne pas aller plus loin ? L’idée l’amusa - il avait envie de la taquiner, de mettre ses nerfs à rude épreuve, car après tout, c’était ce qu’il vivait lui-même depuis un bon bout de temps !

Tournant la tête, Bastian jeta un coup d’oeil vers les nobles en train de se pavaner comme les paons d’une basse-cours.

On se tire ?




Ils auraient pu rentrer directement au Domaine, mais leurs affaires étaient restées dans la cabane. Le temps s’était gâté sur le chemin du retour, et lorsque Bastian referma la porte, le vent hurlait à l’extérieur, charriant d’énormes flocons de neige. La tempête faisait trembler les murs de l’abri de fortune, comme pour mettre ses fondations à l’épreuve. Le dos appuyé contre le battant malmené, Bastian dessina quelques boules de lumière.
Son regard captura celui d’Ìrae.

Et toi, qu’est-ce tu penses de moi ?

Il sentait son coeur battre lentement dans sa poitrine. Mais il savait qu’au moindre mouvement de l’envoleuse, l’organe qui le maintenait en vie s’emballerait invariablement.

Alors, il ferma les yeux.

Se priva de la vue, en plus de l’ouïe.

Et attendit.


[Nom d'une chiure de mouche ! Bastian m'empêche de réfléchir, je suis en mode pilotage automatique alors si quoi que soit te dérange, dis-moi !]

Les réponses et les questions se trouvaient parfois au même endroit, sans qu'on ne le sache ou le perçoive au premier coup d’œil. Elles étaient parfois inaccessibles, ou à un souffle seulement.

Un souffle, le Mentaï n'était qu'à un souffle. Ses réponses et questions aussi.

Il avait quitté la rambarde pour la rejoindre – les rejoindre. Mains de chaque côté d'elle, comme dans les thermes, elle sentit son cœur habituellement calme s'emballer. Ìrae se demanda s'il pouvait l'entendre, sentir ce petit organe qui peinait à s'apaiser.

Elle pouvait, malgré la lumière qui venait de derrière le mercenaire et la plongeait dans la pénombre, percevoir son visage, ses yeux gris, le début de barbe, les traits sur lesquels elle aurait aimé laisser traîner ses doigts.

Elle croisa son regard, le sourire en coin, et ses yeux étaient brûlant.

Elle les ferma pourtant quand il se pencha pour un baiser papillon. Son cœur s'emballa alors que les lèvres l'effleuraient, pour s'éloigner aussitôt. Elle rouvrit les paupières, croisa son regard alors qu'une mèche était balayée hors de son visage.

Tu es une sacrée trouvaille, Ìrae Courtesy, dit-il enfin. Je suis honoré de te connaître, orgueilleusement fier que tu sois ma "femme d'un soir", et... sincèrement charmé.

Sincèrement charmée, elle l'était aussi, et également frustrée. Mais ici, dans le feu des regards qui pouvaient se poser sur eux, elle pouvait accepter l'idée de se contenir – même si elle sentait l'amusement de Bastian.

Elle se repassa ses mots. Sacrée trouvaille, hein ? Voilà qui pouvait s'appliquer à lui également. Elle n'aurait imaginé rencontrer un mercenaire de cette trempe.

Ìrae suivit son regard jusqu'aux nobles en question, qui semblaient n'avoir rien remarqué. Quant à eux, ils n'avaient plus rien à faire ici ; il était temps de partir. Elle hocha ainsi la tête.

On se tire.


Dehors, le temps se déchaînait. On était bien loin d'une terrasse tranquille dans la villa d'un noble, mais elle se sentait plus à sa place dans cette cabane qui semblait sur le point de s'effondrer qu'au milieu des richesses et des vices qui les avaient entourés jusqu'ici.

Des vices, songea-t-elle en contemplant ses mains, ils en commettaient également, mais elle les préférait, et de loin, à ceux des nobles.

Elle se tourna vers Bastian quand il illumina la pièce, chassant l'obscurité. Elle fut happée par son regard.

Et toi, qu’est-ce tu penses de moi ?

Doucement, elle fit un pas vers lui, puis un autre. Il avait fermé les yeux, comme elle avait fermé les siens auparavant. Elle plaça ses mains des deux côtés de son corps, se hissa sur la pointe des pieds pour lui rendre son baiser papillon. Elle sentait leurs deux cœurs s'affoler, et s'éloigna légèrement pour, du bout des doigts, dessiner doucement ses traits .

Je pense que je suis tombé sur un homme talentueux et unique qui me fait tourner la tête... et qui me charme sincèrement.

Elle s'éloigna un peu plus, à l'affût de sa réaction.


[c'est parfait ! ]

Il la rattrapa avant qu’elle s’éloigne trop, avant même de rouvrir les yeux, et l’attira à nouveau contre lui. Les étincelles crépitaient depuis trop longtemps ! Piégé à son propre jeu, il n’avait plus qu’une envie : l’embrasser vraiment. Il pivota, l’entraînant dans son élan, et ce fut-elle qui se retrouva le dos appuyé contre le battant de la porte.

Ultime rempart entre eux et la tempête. Bastian avait pourtant l’impression qu’elle se déployait dans tout son être. Les poings serrés pour se maîtriser, de chaque côté de la tête d’Ìrae, il captura ses lèvres. Et cette fois-ci, ce fut aussi ardent que le feu qu’elle pouvait faire naître au creux de ses paumes.

Quelque part, la voix de la sagesse s’éleva, mise en garde solide et raisonnable contre les relations de travail qui se jetaient souvent au devant d’une succession de conflits non désirables. Mais le désir impérieux qu’il sentait grandir en lui la fit taire ; ses perceptions se résumaient désormais au parfum sucré de la jeune femme, à la douceur de ses lèvres et à la chaleur du corps plaqué contre le sien.

Il ne la touchait pas encore avec ses mains, sachant très bien qu’à l’instant où il le ferait, il se perdrait dans un univers duquel il ne ressortirait pas indemne. Seule sa bouche explorait, avide et possessive ; le souffle lui manquait, il volait le sien, à moins que ce ne soit le contraire, et il ne s’interrompit que parce que son coeur menaçait sérieusement d’éclater dans sa poitrine. Hors d’haleine, il laissa tomber sa tête contre elle, le front appuyé dans le creux de son épaule.

C’est toi qui me fait tourner la tête, marmonna-t-il.

Il ne s’embarrassait pas de questions inutiles. Plus simple au lit que dans la vie, Bastian n’était pas homme à bouder son plaisir ; il se savait vigoureux et performant, mais il n’avait pas pour habitude de tomber dans le charme facile et n’accordait ses faveurs qu’en cas d’attirance véritable. L’envie d’aller plus loin avec Ìrae mettait ses nerfs à rude épreuve. S’il se retenait encore de déchirer ses vêtements pour la prendre contre la porte, c’était uniquement parce qu’il ne voulait rien céder : le défi, lancé tacitement lors de leur première rencontre, et qui avait pris forme lors de leur affrontement dans l’arène, revenait au premier plan.

Mais je ne perdrais pas la face cette fois-ci, jura-t-il, un sourire aux lèvres.

Promesse de dupes ? Son coeur tambourinait et il était encore essoufflé quand il redressa la tête pour l’embrasser à nouveau. Il mordilla sa lèvre inférieure, puis passa la langue dessus, joueur. Il voulait saper une à une la moindre de ses résistances. Non pas lui faire tourner la tête, mais la lui faire perdre.

Complètement.


[Court, mais... intense ]

Bastian la rapprocha de lui et elle sentit la chaleur de son – leurs – corps grimper en flèche quand il la retourna pour la plaquer contre la porte. Elle avait déjà eu des amants, mais celui-là les surplombait tous. Elle n'aurait su dire en quoi si ce n'est tout ; il était un être unique qui effaçait de lointains visages.

Ses doigts frôlèrent les traits de son visage pour venir s'enlacer derrière sa nuque quand il l'embrassa follement, son cœur s'emballant avec plaisir. Elle aimait ce visage, elle aimait ces lèvres, elle aimait ce qu'il se passait.

Point culminant d'une danse qu'ils avaient joué ensemble jusqu'à cet ultime moment, crépitement d'un feu couvé trop longtemps. Ils avaient joué et il était difficile de dire s'ils avaient gagné ou perdu. La question, quoi qu'il en fut, ne se posait pas maintenant.

Le baiser était brûlant comme ses paumes quand elle les activait, et lui faisait tourner la tête. Elle en désirait davantage, et ses mains quittèrent l'arrière de sa tête pour sinuer le long de son cou, l'enlacer et le rapprocher encore davantage d'elle.

Au diable les conséquences possibles, elle le voulait toujours plus près d'elle, sentir son corps en fusion, son odeur, ses lèvres, le piquant de sa barbe. Elle se serait volontiers damnée plusieurs fois pour vivre ce moment.

Quand elle l'avait vu dans le lointain, la première fois, elle n'aurait jamais pensé en arriver là, serrée entre lui et une porte dans une cabane alors que la tempête hurlait dehors. Essoufflée, ils rompirent le baiser et elle sentit sa tête se caler dans le creux de son épaule, tandis qu'elle s'accrochait encore à son dos.

C’est toi qui me fait tourner la tête, marmonna-t-il.

Trop facile, songea-t-elle. Elle avait le sentiment que son cœur allait imploser, au diapason de celui de Bastian. Ìrae passa doucement la langue sur ses lèvres, captant un peu de la saveur des siennes. Tout s'était emballé tout en lui semblant logique. La demeure des Hucheloup et leur danse de faux-semblants pour accomplir leur mission paraissaient bien loin, à présent. Irréelles.

C'était une torture de le sentir tout contre elle sans aller plus loin ; à croire qu'il voulait la voir céder la première. Ce n'était pas le genre d'Ìrae. Cela n'avait jamais été son genre ; et pourtant elle se sentait prête à jeter aux orties ses principes pour une danse avec lui.

Mais je ne perdrais pas la face cette fois-ci, jura-t-il, un sourire aux lèvres.

C'est ce que l'on verra, lui répondit-elle, ses doigts s'enfonçant légèrement dans le dos du Mentaï.

Elle le laissa l'embrasser à nouveau, fondant contre lui. Ses doigts se délièrent pour parcourir son dos, frôler ses hanches et se glisser entre eux deux, tout près de sa peau, sous la couture de ses habits. Combien de temps les portera-t-il encore ? songea-t-elle fugitivement tandis qu'elle répondait au baiser en cherchant à prendre le contrôle, décidée à ne pas s'avouer vaincue sans s'être battue.

[ ]

Les poings de Bastian se desserrèrent. Lentement, il fit descendre ses mains le long des bras d’Ìrae. Il était décidé et il aimait lire cette même certitude dans les yeux de l’envoleuse, quand il détachait ses lèvres d’elle et reculait assez pour la contempler. Ses doigts tremblaient légèrement lorsqu’il s’attaqua aux multiples lacets de son haut - d’excitation, non pas d’inexpérience, et il songea que le vêtement était un bijou de frustration mais que pour rien au monde il n’aurait envisagé des attaches plus simples.

Il avait conscience, en même temps, du contact des mains chaudes de la jeune femme sur sa propre peau. Elle pouvait lui infliger de terribles blessures si elle le voulait. Il s’en moquait comme de sa première chemise. Qu’elle le brûle ne changerait rien au brasier dévorant qui le consumait déjà. D’un geste vif, il fit tomber les dernières barrières de tissu, et ses mains découvrir à leur tour la douceur de sa peau.

Elle était toujours coincée contre la porte.
Il prit son temps.

La goûta du bout de ses doigts puis de la pointe de la langue. Il se fiait au rythme de sa pulsation cardiaque, qu’il percevait à travers sa peau fine, et il avait posé une main contre sa gorge pour l’entendre gémir. Chaque vibration était importante.

Elle ne voulait pas céder.

Il le sentait, il le devinait : le défi battait son plein et même s’il la sentait fondre entre ses doigts, sa résistance le stupéfia. Quelle force de caractère ! Et comment ne pas tomber sous le charme ? Occupé à piqueter la peau de son ventre de petits baisers, il leva les yeux, croisa son regard…

… et se retrouva à genou. Terrassé, comme dans l’arène du Domaine, par l’or en fusion. Mais si cette fois elle pensait l’avoir vaincu, il n’en était rien : voilà qu’il se trouvait à une hauteur intéressante pour continuer son exploration. Les bottes volèrent à travers la pièce exigue et rebondirent contre un mur opposé. Le pantalon descendit lentement,
lentement,
lentement le long de ses longues jambes fuselées.

Ses lèvres tracèrent une ligne de feu en remontant, tout aussi patiemment - un véritable tour de force considérant l’état dans lequel il se trouvait : fiévreux, le souffle court, le coeur battant, comme s’il avait attrapé une maladie quelconque. Contre le dos d’Ìrae, le vent faisait trembler la porte. Il eut envie de répliquer, de défier les éléments, de déclencher une tempête ici-même. Les yeux dans ceux de la jeune femme, il écarta doucement ses jambes en soulevant l’une de ses cuisses, et…




C’était lui qui cédait enfin. Après l’avoir sentie fondre sur sa langue, comme un bonbon, le besoin de se perdre fut trop impérieux pour qu’il y résiste. Il ne se rappellerait pas, plus tard, comme il quitta ses vêtements ; peut-être garderait-il le souvenir confus de sa chemise récalcitrante, et de ses doigts trop impatients sur les boutons de son pantalon. Peut-être Irae l’avait-elle aidée.

Tout ce qui lui resterait, et c’était assez pour le combler une petite éternité, c’était sa façon de la soulever pour se fondre en elle et la prendre avec fougue contre la porte de l’abri. Il se souviendrait de chacun de ses coups de reins, de son poids tandis qu’il la maintenait, de sa manière de s’accrocher à lui, de répondre à ses assauts, de lui rendre la pareille, de le mener bien plus loin qu’il n’avait jamais été.

Plus tard, alors qu’ils gisaient tous deux au milieu de leurs vêtements et de leurs couvertures, bras et jambes emmêlés, à bout de souffle et les joues rouges, Bastian retrouva sans trop savoir comment la force de frôler son esprit.

Waouh. C’était… ça va ?

Il avait certes déjà fait plus élégant, mais il était bien trop épuisé pour mettre les formes. Il réussit à lever un bras lourd comme le plomb et ses doigts trouvèrent une joue satinée. Il écarta quelques mèches de cheveux humides, tourna la tête.

Tomba dans ses yeux.

Un frisson sinua le long de la colonne vertébrale d'Ìrae quand les mains de Bastian glissèrent le long de ses bras. Elle plongea dans son regard, manqua de s'y noyer alors qu'il délaçait fil par fil son serre-taille. Doucement, elle fit sinuer ses propres doigts sous le haut de Bastian, frôlant sa peau et sa chaleur, passant sur son torse. Un nouveau frisson la saisit quand, le serre-taille et la chemise écrue tombés, il plaça ses mains contre sa peau. Elle goûta doucement le contact alors qu'elle se sentait brûler de plus en plus haut.

La femme qui maniait le feu se consumait d'elle-même sous les doigts experts de Bastian.

Les doigts, puis la langue.

Elle gémit doucement de plaisir, sa gorge vibrant contre la main du Mentaï. Les caresses brûlaient sa peau. Elle résistait, cependant, refusant d'être celle qui cède, malgré la sensualité des caresses, le brasier dans son ventre qui se répandait dans ses membres.

Elle sentait la porte trembler contre son dos et tout son corps demandait à être prise sur-le-champ contre celle-ci – mais la lente torture de ses sens par Bastian lui donnait le sentiment d'avoir croqué dans un fruit défendu. Elle se sentait fondre, sentait sa gorge vibrer.

L'espace d'un instant, elle baissa son regard doré, rencontra celui, gris, de Bastian.

Il se retrouva à genoux et elle, chamboulée. Son cœur s'emballa lorsqu'elle avisa à quelle hauteur il était ; elle passa ses mains dans ses courts cheveux bruns, sentant son muscle cardiaque battre à rompre sa cage thoracique alors qu'il finissait de la déshabiller – lentement. Un gémissement rauque d'expectative lui échappa malgré elle quand les lèvres de Bastian se reposèrent sur sa peau, incapable de briser le lien de leurs regards.

Elle sentit sa jambe être doucement soulevée, puis.


Vertige.
Une langue qui lentement explore son intimité.
Se sentir s'envoler
Tout en restant sur terre
Accrochée par un regard
Des vagues de plaisir
La balayant
Le brasier
La consumant


Quand il l'avait prise contre la porte, après l'avoir aidé à se débarrasser de ses vêtements, le piquant de baisers ici et là, elle s'était agrippée à lui comme à une bouée de sauvetage, tantôt murmurant, tantôt criant son nom, avide de sa peau et de ses lèvres, se mouvant contre lui pour aller plus loin encore, toujours plus loin. Le sentir à l'intérieur d'elle, chaque mouvement, chaque coup de reins la menait encore plus haut alors qu'elle restait accrochée à son regard.

Elle se souvint de ses doigts s'enfonçant dans le dos de Bastian à chaque montée de plaisir, de la force de ses bras, de la façon dont il la tenait pour aller plus profondément en elle. Les mèches de cheveux collant à ses joues sous la sueur, leurs corps imbriqués, la chaleur de leur étreinte.

Yeux mi-clos, bien plus tard, elle reprenait doucement son souffle et le contrôle de ses émotions. Bastian, reconnaissait-elle, en plus d'être terriblement sexy, surpassait les hommes qu'elle avait connu au lit – ou à la porte dans le cas présent.

La pensée lui tira un sourire léthargique. Tout cela l'avait bien épuisée, et elle n'aurait certes pas dit non à une sieste collée contre le Mentaï. C'est qu'elle s'y attachait de plus en plus, et si elle ignorait où cela allait la mener, elle tenait à en profiter tant qu'il en était encore temps.

Frôlement de l'esprit.

Waouh. C’était… ça va ?

Elle eut un autre léger sourire, empreint de fatigue et d'une étincelle de malice.

Ça va. Ça va même très bien.

Il tomba dans ses yeux, elle s'accrocha aux siens. Elle sentait le doux toucher de ses doigts sur sa peau et se sentit se perdre elle-même quand elle se pencha pour lui voler un baiser.

Il sourit contre ses lèvres.

Il faudra qu’on essaie à l’horizontal.

Proposition d’un homme qui se sentait l’âme d’un explorateur appelé à faire d’incroyables découvertes - mais qui, en l’état actuel, était tout simplement épuisé. La préparation de la mission avait demandé une concentration intense, la mission en elle-même une mobilisation du moindre de ses sens, et ce qu’ils avaient fait contre cette porte… Le mentaï remua pour modifier sa position. Il en profita pour rapprocher Ìrae de lui.

On se repose un peu et on s’en va…

Il s’endormit aussitôt, le nez dans le cou de la jeune femme.

Paisiblement.




“Un peu” s’était transformé en quelques heures, et quand Bastian ouvrit les yeux, il réalisa que la journée était bien entamée. La porte ne tremblait plus, signe que la tempête s’était calmée. L’unique fenêtre laissait entrer une lumière feutrée dans l’abri. Lovée contre lui, Ìrae dormait encore. Quelques minutes encore, il resta immobile, puis il usa de tous ses talents de maître assassin pour se faufiler hors des couvertures sans éveiller la jeune femme.

Il s’habilla rapidement, mais moins vite que si ses vêtements n’avaient pas été éparpillés un peu partout, enfila son manteau et entrouvrit la porte. De la neige bloquait le battant. Il le referma et dessina un pas sur le côté pour se retrouver à l’extérieur de la cabane. Tout était blanc. Où que son regard se posât, il ne voyait que voyait qu’un manteau immaculé. Des stalactites dentellaient les branches d’arbres et scintillaient au soleil.

Il fallait qu’Ìrae voie ça.

Oubliant à quel point il avait été précautionneux pour ne pas l’éveiller, il ramassa de la neige et la tassa entre ses mains. Les mitaines qu’il portait protégeaient ses paumes, mais ses doigts le brûlèrent sous la morsure du froid - ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre sa tâche sournoise. Il dessina à nouveau pour entrer dans la cabane, lâcha la neige sur le visage de sa compagne, et disparut aussitôt.

Pour entrouvrir la porte et jeter un coup d’oeil à l’intérieur, soudain curieux.


[Court, mais je ne voulais pas anticiper la réaction d'Ìrae - et je m'engage par la présente à accepter toute forme de représailles ]

[c'est fouuurbe   ]

Il faudra qu’on essaie à l’horizontal.

Sourire de la part d'Ìrae. Oui, ce serait original aussi, plutôt que de faire ça contre une porte. L'idée de recommencer aussi lui plaisait, fortement d'ailleurs. Après un peu de repos, néanmoins. Elle se blottit confortablement dans les bras de Bastian, ferma les paupières.

S'endormit doucement.


Pour être réveillée par un tas de neige lâchement lâché sur son visage. Ìrae se réveilla d'un coup, la peau brûlant sous la morsure du froid et lâcha une série d'imprécations et d'insultes. Furibonde, elle se tourna vers la porte entrouverte.

Ça, tu vas me le payer, Mentaï de pacotille.

Finissant de se débarrasser de la poudreuse qui avait prit un malin plaisir à sinuer dans son cou, elle se releva d'un bond et marcha résolument vers la porte – bloquée par la neige. Marmonnant une série d'autres insultes, elle se pencha et usa de sa greffe, faisant rapidement fondre ce qui bloquait le battant, et se faufila à l'extérieur, poussant Bastian dans la foulée pour pouvoir passer.

Une fois dehors, alors qu'elle hésitait entre l'insulter encore ou lui jeter de la neige au visage, elle se figea devant le spectacle qui se révélait à elle. De la neige d'une pureté absolue à perte de vue, un paysage en tons de blanc, tranché par le brun des arbres et le vert des rares pousses d'herbe qui, recouvertes de givre, avaient résisté à l'assaut de la poudreuse. La glace des stalactites brillait en écho à la neige et le tout était à couper le souffle.

Ìrae en serait probablement restée à admirer le tout si elle n'était pas un tantinet rancunière sur les bords. Ramassant une poignée de neige, ignorant la brûlure sur sa main nue, elle attrapa Bastian par le col pour d'abord l'embrasser, avant d'enfouir la neige dans son col avec un plaisir sauvage. Le relâchant, elle croisa les bras, moqueuse.

Ça t'apprendra, tiens.


[court aussi, du coup ]

Oh oui, Bastian apprenait. Il n’était pas habitué à dévier ne serait-ce qu’un brin de sa trajectoire ou d’une mission. Il suffisait pourtant que son regard croise celui d’Ìrae pour que le reste soit totalement éclipsé. Les dents serrées, il subit le choc de la neige dans son col, et se permit un sourire frondeur.

Même pas froid.

Il apprenait mais pas assez : il eut tout le loisir de regretter ses paroles pendant l’heure qu’ils passèrent à se chamailler comme des gamins dans la neige. Trempé, gelé, le mentaï finit par retourner dans l’abri ; il alluma le feu dans le poêle et se débarrassa de ses vêtements pour se sécher. A deux, ils se débrouillèrent pour étendre les habits humides en travers de la pièce et chauffèrent de l’eau avec laquelle ils firent du thé.

Blottis l’un contre l’autre sous une couverture, leur tasse à la main, ils cessèrent petit à petit de claquer des dents, mais la brusque chaleur colorait leurs joues et le sourire espiègle qui jouait sur leurs lèvres ne s’effaçait pas. Ils ne dirent rien. Parler n’était pas nécessaire, après une nuit pareille et une telle bataille de boules de neige. Ce qu’ils avaient partagé n’allaient pas être oublié de sitôt.

Plus tard, alors qu’un pas sur le côté les ramenait au Domaine, Bastian retrouva son sérieux. La mission était un succès, Bô attendait son rapport et ces quelques jours loin de son bureau avaient dû nourrir la pile de paperasse à gérer.

La récréation était terminée.

Il avait choisi comme point de chute l’aile réservée aux maîtres Envoleurs, pensant que c’était ici qu’Ìrae désirerait se rendre, et son arrivée sema le trouble parmi les quelques personnes présentent dans ce qui tenait lieu de salle commune : il était rare de croiser Bastian à cet étage, mais cela n’empêchait pas de le reconnaître immédiatement. Ignorant bravement le poids des regards appuyés, le mentaï plongea les yeux dans ceux de sa compagne.

Convaincue par notre partenariat ?

Il ne se voyait plus s’associer à un autre, désormais - et sûrement pas l’un de ces types en train de le dévisager ouvertement. Mais Bastian n’était pas en froid avec les gens de cette école. Seulement avec les Mentaïs. Et tout se serait bien passé si l’un d’entre eux, celui qu’il ne pouvait décidément pas encadrer, n’était pas entré dans la pièce à ce moment-là.

- Tiens ! Voyez-vous ça : seigneur Bastien de la rue nous fait l’honneur de quitter ses sombres cachots pour nous rendre visite…

Il s’appelait Guillemont Xil’Léondrie. Grand, maigre, de longs cheveux blonds et un sourire mièvre. Il avait pensé sa tirade tout en la prononçant à voix haute. C’était le genre d’homme qui aimait se faire mousser en public.

- Pardonne notre nonchalance, si nous avions su, nous aurions sorti la vaisselle du dimanche.

Deux envoleurs esquissèrent un sourire, amusés par la situation ; les autres se contentaient d’observer la scène, tendus. En dépit de leur caractère, il était plutôt rare que deux Mentaïs s’affrontent oivertement. Mais Bastian n’avait pas envie de faire cet honneur à une vipère gluante comme Guillemont. Il se contenta de le toiser. Son regard s’était tellement assombri qu’on aurait pu y distinguer un orage. Une sombre puissance émanait soudain de sa personne. Il paraissait plus grand. Et de fait, il dépassait Guillemont d’une bonne tête.

Celui-ci ne se départit pas de son sourire, mais malgré lui, il recula d’un pas. C’était tout ce que Bastian voulait. Il se détourna de l’importun et inclina légèrement la tête pour saluer Ìrae.

On se verra à la prochaine mission.

L’instant suivant, il avait disparu.




On se verra à la prochaine mission. En se traitant de sombre crétin, Bastian suspendit son manteau, qu’il défroissa, puis ôta ses mitaines et les plia soigneusement. Dans son cachot, il pouvait laisser libre court à sa maniaquerie. La solitude l’enveloppa au bout de cinq minutes. Dix minutes plus tard, l’agacement prenait le dessus.

Il n’avait pas aimé cette façon de lui dire au revoir. Sans ce connard de Guillemont… mais non. Le mentaï avait beau être d’une inutilité phénoménale, ce n’était pas lui qui était réellement coupable de ce fiasco. C’était Bastian. Il aurait dû choisir la cour, pour commencer. Et ensuite…


… et ensuite ?


Assis à son bureau, il posa les coudes sur son rapport et se prit la tête entre les mains. Il n’avait pas prévu ce qui s’était passé avec Ìrae. De là à dire qu’il regrettait… ce n’était pas le cas, il le savait pertinemment. Il avait aimé chaque instant de cette foutue mission. Il avait aimé préparer les plans, jouer les nobles, danser avec elle, lui faire l’amour contre la porte, la réveiller avec une brassée de neige, partager un thé.

Il n’avait pas imaginé que quelques sentiments puissent venir mettre le désordre dans ses pensées et dans son coeur. Voilà pourquoi il l’avait plantée là. C’était une explication, non une excuse, et ses doigts fourragèrent un moment dans ses cheveux, avant qu’il laisse échapper un profond soupir.

Puis Bastian Derue, le mentaï implacable, refit surface. Avec un détachement professionnel remarquable, il acheva son rapport. Puis il s’attaqua à la pile de documents à traiter.

Mission terminée.




[Bon ! Je ne sais pas du tout comment ça va se passer par la suite, mais Bastian n'est pas si solide qu'il veut le laisser croire, on dirait ! C'était génial, n'empêche. Merci pour cette mission, part'naire, et à très très vite j'espère ! ]

Même pas froid, répondit Bastian à son attaque.

Un sourire se dessina sur les lèvres d'Ìrae.

C'est ce qu'on va voir.

Et elle se pencha aussitôt pour reprendre une tas de neige qu'elle roula entre ses mains pour en former une boule, qu'elle lui lança au visage.


Ìrae se sentait comme à sa place, pelotonnée près de Bastian sous une couverture avec un thé à la main. Les sentiments qu'elle sentait fleurir pour le Mentaï l'étourdissaient un peu. C'était la première fois qu'elle ressentait quelque chose d'aussi fort et elle jonglait mentalement avec, ne sachant trop quoi en faire. S'amouracher d'un collègue était-il vraiment une bonne idée ? Et une fois qu'elle avait la vérité face à elle, que devait-elle faire avec ça ?

Elle décida d'y réfléchir plus tard et de simplement profiter du moment présent, échangeant des sourires avec le mercenaire. Ces derniers jours avaient pour le moins été... intenses. De précieux souvenirs qu'elle chérirait quand elle serait seule.

Une question demeurait, lui trottant en tête, sur ce que ressentait quant à lui le Mentaï. Fière, elle se refusait toutefois à poser la question. Il se passait quelque chose entre eux, une synergie, et elle en était amplement satisfaite.

Il fallut bien rentrer à un moment, et elle lui prit le bras pour leur pas sur le côté, qui les conduisit dans l'aile des maîtres Envoleurs. Elle sentit aussitôt les regards se posant sur eux et plus particulièrement sur Bastian, la faisant froncer des sourcils. Elle en fut cependant détournée en se plongeant dans le regard de son compagnon.

Convaincue par notre partenariat ?


Elle sourire creusa une fossette sur sa joue.

Complètement.

Elle s'apprêtait à ajouter autre chose quand quelqu'un fit irruption dans la salle commune.

- Tiens ! Voyez-vous ça : seigneur Bastien de la rue nous fait l’honneur de quitter ses sombres cachots pour nous rendre visite…

Les yeux d'Ìrae se firent glacials alors qu'ils se posaient sur celui qui venait de les interrompre pour semer la pagaille.

- Pardonne notre nonchalance, si nous avions su, nous aurions sorti la vaisselle du dimanche.

Elle ignorait qui était cet homme suffisant, mais elle le détesta aussitôt. Elle ne dit rien, cependant, laissant à Bastian le soin de le reprendre. Elle n'avait rien à voir dans leur confrontation, bien qu'elle resta à ses côtés quand le Mentaï fit reculer l'autre d'un seul toisement. Ses yeux sombres auraient fait reculer n'importe qui, l'homme ne fit pas exception.

Son attention revint à Bastian qui prit congé d'elle.

On se verra à la prochaine mission.

Elle n'eut pas le temps de répondre et, songeuse, observa longuement l'endroit où il s'était tenu, faisant fi des regards intrigués des autres envoleurs.

Secouant finalement la tête, elle prit le chemin de sa chambre, désireuse de prendre du repos.

Cependant, allongée sur son lit, ses pensées ne quittaient pas le Mentaï et tout ce qui s'était passé. Deux missions, du flirt, la tension sexuelle jusqu'à son apothéose, puis leur jeu ridicule et pourtant tellement naturel de boules de neiges, avant qu'ils ne finissent blottis près d'un foyer pour se réchauffer...

Elle ne s'était attendu à rien de tout cela. C'était censé être en premier lieu une simple mission avec un Mentaï, et puis... et puis. La situation avait échappé à son contrôle et venait maintenant la hanter. Non qu'elle regrettait. Elle ne regrettait jamais ses gestes parce qu'elle savait en prendre tout l'enseignement qui pouvait s'en dégager.

Non, c'était plutôt l'inconnu qui la laissait songeuse. Que se passerait-il à présent ? Et que représentait-elle aux yeux de Bastian ?

On se verra à la prochaine mission.

Était-elle simple partenaire de mission, ou plus que cela ?

Elle ferma les yeux sur cette question.

Les réponses viendraient bien assez tôt.  



[ouiii à très vite aussi !]