Pour la deuxième fois de ma vie, je tenais entre mes mains une mince feuille de papier déposée là
Les Voiles du Navire par un oiseau messager. Cependant, cette fois ci, le message n’était pas porteur de mauvaises nouvelles. Un sourire étira mes lèvres. Je reconnaissais bien le barde dans son écriture soignée, dans sa manière poétique de parler, d’expliquer les choses. Il acceptait de me voir. J’irai donc le rejoindre à Al-Jeit — que je venais de quitter — mais avant, je tenais à faire un tour chez moi avant.
Un rapide calcul me confirma que j’en avais le temps avant mon prochain cours. Amset et moi étions rentrés la veille et je lui avais donné trois semaines de liberté. J’avais tout mon temps. Mon hésitation, cette boule qui nouait mon ventre ne venaient pas de là. J’avais honte d’avoir abandonné mes élèves et, bien que ce soit moi qui l’avais demandé, j’appréhendais cette rencontre.
Je laissai échapper un soupir et glissai le message dans ma poche. J’avais besoin de rentrer chez moi, de retrouver ma femme et de prendre un peu de recul. De me préparer mentalement à cette rencontre. J’allais prendre mon temps.
- Bon, Adage, on rentre ?Pour toute réponse, le vieil hongre souffla fortement. Je lui flattai l’encolure. Adage vieillissait et notre dernier voyage l’avait beaucoup éprouvé. Il était tant de le mettre à la retraite, mais cette idée me fendait le cœur. Je m’étais habitué à lui, à sa présence. C’était un bon compagnon de voyage, je n’avais pas envie de le laisser, de repartir sans lui. Il allait me manquer. Toutes ces années de bons et loyaux services, cela créer des liens, je m’étais réellement attaché à lui. Comment aurais-je pu ne pas le faire ?
Je profiterai de mon nouveau séjour à Al-Jeit pour retrouver une nouvelle monture, je ne pouvais pas m’en passer, cependant, une part de moi se sentait coupable. J’avais l’impression de trahir Adage. Comme si il avait deviné mes pensées, ce dernier posa son gros nez sur mon épaule et je sentis l’air chaud de sa respiration sur ma nuque. Sa présence était réconfortante. Il semblait dire « ne t’inquiètes, je ne t’en veux, je sais que tu ne me trahi pas. On a vécu de belles choses tous les deux, je dois laisser ma place à un plus jeune qui a le droit de profiter aussi de tout ce que tu pourras lui donner. » Où peut-être était-ce moi qui essayait de m’en convaincre. Je lui souris tout de même en le grattant entre les yeux.
- Aller, en route mon grand !~ * ~
Je n’étais resté chez moi que quelques jours. Svetlana était rayonnante, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu ainsi, et cela me réchauffait le cœur. Elle faisait beaucoup de progrès, sa rééducation se déroulait très bien et touchait à sa fin. Elle m’avait également annoncé avec son plus beau sourire qu’elle avait enfin pu reprendre la danse ! Doucement certes, mais quand même !
- Je prends un cours par semaine dans une petite école d’Al-Chen ! J’y vais doucement, mais ça fait tellement du bien mon Milo !Son bonheur m’avait contaminé, j’en avais oublié mes doutes et mes hésitations. Comme elle ne pouvait pas encore monter à cheval, c’était Garlan qui l’emmenait dans sa charrette. Elle était si pétillante !
J’étais passé chez mon voisin pour le remercier pour tout ce qu’il faisait pour Svetlana. J’avais essayé de voir Trystan, mais son père m’apprit qu’il était parti pour Al-Jeit avec son oncle moins de deux semaines plus tôt. Son oncle tenait une bijouterie de luxe et il avait besoin de quelqu’un à l’ouïe fine pour surveiller les clients. Il avait déjà un vigile, mais qui avait réussi à laisser entrer des voleurs parce qu’il n’avait pas entendu ce qu’ils disaient… Avec l’ouïe de Trystan en plus, ils auraient plus de mal à entrer.
Garlan était un peu sceptique quand aux capacités de surveillance de son fils. Certes il avait une bonne ouïe, mais à quoi pouvait bien servir un vigile aveugle ? Moi, je croyais très fort en Trystan. Un jour il pourrait bien être un vigile redoutable… Son père était néanmoins heureux que son fils puisse découvrir le monde en dehors des murs de leur petite ferme.
- Il voulait voyager, c’était l’occasion.Je m’étais promis de profiter de mon retour à la capitale pour passer le voir. Après avoir vu Narek. Garlan m’avait passé le nom de la bijouterie et l’adresse de l’oncle de Trystan.
Je partis le lendemain, à pieds, laissant Adage avec Impériale, la jument de Svetlana, dans les écuries de Garlan. Il était temps que je retrouve mon ancien apprenti.
~ * ~
La capitale se dressait devant moi dans toute sa splendeur. Toujours plus belle et puissante. J’avais l’impression de ne pas l’avoir quittée. Entre mon précédent cours et les mois de labeur de Svetlana… Ces derniers me revinrent soudain en pleine face, mais l’image de son sourire éclatant et de ses yeux pétillants vint très vite remplacer ce souvenir. Tout ceci était loin maintenant. Inutile de ressasser l’horreur qui aurait pu advenir. Svetlana était vivante et en pleine forme. C’était tout ce qui comptait.
Un nouveau sourire s’installa sur mes lèvres et je pénétrai dans la capitale d’un pas fier.
Où est-ce que j’allais bien pouvoir trouver un barde ? Cette ville n’était faite que de musique et de poésie. J’écartai immédiatement la piste des tavernes. Narek y ferait sûrement plus d’un tour, mais à cette heure ci, ce n’était pas là bas que je pensais le trouver… Où irait-il chercher son inspiration ? Au sommet d’une tour ? Au pied d’une des cascades qui ornaient les quatre portes d’entrée de la cité ?
Mon regard tomba sur une affiche placardée sur la Grande Place. L’Académie Impériale de la Danse. Le barde aurait-il vu cette affiche ? C’était la journée portes ouvertes et un magnifique soleil brillait dans le ciel. Les danseuses feraient quelques courtes représentations toute l’après-midi sur le parvis de l’Académie. Où un barde trouvait-il ses muses ?
Un sourire étira mes lèvres et je pris le chemin que j’avais pris des années plus tôt, le jour où j’avais rencontré Svetlana. Voilà où j’avais trouvé ma muse. J’étais persuadé d’y trouver mon ancien apprenti.
La place était déjà bondée, mais la représentation n’avait pas encore commencé. Je cherchai Narek des yeux mais ne le trouvai pas. Il y avait trop de monde. Je me décidai alors à attendre la fin de la représentation, que la place se vide, pour l’intercepter. Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas assisté à un spectacle de danse.
Les danseuses furent magnifiques. La représentation, bien que courte, grandiose. Je retrouvai les sensations qui m’avait bouleversé quand j’avais vu Svetlana danser. Le niveau de l’Académie n’avait pas baissé. Pleines de grâce et d’élégance, les danseuses virevoltaient, tissant les fils d’une histoire connue d’elles seules mais qui su toucher le public entier. Certains sortaient leur mouchoirs, d’autres souriaient avec des étoiles plein les yeux. Y avait-il un barde quelque part qui trouvait l’inspiration pour composer un poème ou une chanson en hommage à ces belles danseuses ? À la magie de la danse ? Ce savant mélange entre harmonie et partage ?
À la fin de la représentation j’applaudis de tout mon cœur.
J’attendis ensuite patiemment que la foule se disperse, cherchant du regard celui que j’étais venu voir, espérant ne pas m’être trompé. Quand je le vis au loin se déplacer avec aisance et fluidité dans cette masse humaine, je ne pu retenir un sourire. Ce garçon avait fait un bond sur la Voie depuis la dernière que je l’avais vu. Où en était-il désormais ? À en juger par sa manière de filer comme une ombre dans la foule, il n’était plus très loin de la fin de son apprentissage. Un marchombre, oui, cela était tellement évident.
Je m’approchai de lui doucement, un sourire sur les lèvres. Il détecta rapidement ma présence montrant à quel plus il avait progressé. J’étais fier de lui. Il ne me restait plus la moindre parcelle d’hésitation.
- Bonjour Narek, le spectacle t’a plu ?
[Voilà ! J'ai enfin réussi à poster x) Désolée d'avoir un peu traîné ^^ j'ai pris quelques libertés... tu me dis si quelque chose ne va pas
]