Rallumons nos étoiles [PV : Qui le vent portera ici...]

Mes semelles claquent doucement sur le chemin de poussière. Je pourrais faire moins de bruit, quand j’y pense, mais ce n’est pas mon objectif ni une nécessité en soi, alors je continue de courir de la même façon que j’ai quitté l’animation des rues d’Al-Chen. C’était il y a environ deux heures.

Je ne suis plus aussi mal à l’aise qu’avant au coeur des foules, toutefois je les évite si c’est possible. Ici, dans la fraîcheur de l’après-midi qui touche à sa fin, je suis bien. Seul avec mes pensées. Sans personne pour venir les troubler.

Personne ?

Kaünis pointe le bout de son nez. Elle m’agace, il faut bien l’avouer : elle me prend au dépourvu la nuit, quand je dors, le matin quand je me lève, et dans chacun de mes exercices quotidiens, comme maintenant ; sa voix au timbre si particulier commente le moindre de mes gestes et, si j’ignore le concept de “manque”, je l’attends patiemment.

J’ai quitté le Domaine il y a plusieurs semaines, lassé de voir les apprentis suivre leur maître quand le mien est absent. Je poursuis ma route en solitaire et tâche d’apprendre ce que je peux par moi-même. Dix jours plus tôt, j’ai été la proie d’un chasseur de prime qui espérait s’attribuer les gains que j’avais gagnés à un jeu de stratégie dans une taverne.

Pour sûr, Kaünis aurait été fière de moi sur ce coup-là ! Je m’en suis tiré avec une fine cicatrice sur la pommette gauche, juste sous l’oeil, et quelques bleus qui ont déjà disparu. Dommage qu’elle n’ait pas été là pour me voir lutter comme un beau diable. J’ai dépensé une partie de mon argent pour m’acheter des vêtements neufs et plus confortables, taillés dans un cuir aussi sombre que souple et parfaitement ajustés à mes mouvements.

J’ai aussi fait l’acquisition d’un poignard en acier bleu ; rangé dans sa gaine et fixé à la ceinture qui entoure ma taille, il est un complément à mon arme de prédilection, le glaive d’entraînement dont le fourreau est accroché presque horizontalement contre mes reins. J’aurais pu m’en offrir un neuf.

Je n’ai pas voulu. Tant que je suis un apprenti, je veux pouvoir me contenter de cette lame qui m’est désormais familière. Même pour courir, je ne m’en sépare jamais. Elle m’a sauvé la vie de trop nombreuses fois pour que je commette la bête erreur de l’oublier. Cela dit, avec le temps et l’entraînement, mon corps tout entier s’est façonné à la manière de celui des membres du Domaine.

Mes cheveux ont poussé. J’ai songé à les couper pour plus de commodité, mais en fin de compte, j’ai décidé de les attacher ; la petite queue brune chatouille ma nuque au gré de ma foulée tranquille. Je sens un peu de sueur couler le long de mes tempes et les essuie d’un revers du poignet, avant de m’engager sur le sentier qui ceint la berge du lac.

Après avoir cessé de courir, je me baignerai.

Le sac en toile adossé au tronc d’un arbre attire mon attention. Presque aussitôt un fourmillement bien connu me hérisse et je ralentis, puis m’arrête, la main sur la poignée de mon glaive : je ne suis pas seul.

Un instant plus tard, la surface du lac se déchire et une silhouette apparaît. Mince, gracile même, je la distingue à contre-jour sur le feu de lumière solaire qui embrase l’eau. Je plisse les yeux, raffermis les doigts sur le manche de mon arme, le souffle court, prêt à détaler, ou à me battre, s’il le faut.




[Bon, ben Keilan a débarqué sans demander son avis, alors j'espère que ça te va... ]

Aivy saisit l'instant et se redressa... pour se retrouver nez-à-nez avec une silhouette masculine. Par réflexe et pour mieux l'apercevoir dans les rayons du soleil mourant, elle plissa les yeux tout en se redressant totalement, les pieds plantés au fond du lac - ses chaussures ne s'en remettraient probablement pas, mais, tant pis.

L'homme était grand. Au moins une tête de plus qu'elle, couverte de cheveux bruns indisciplinés. En l'observant attentivement, la jeune femme vit sa posture de défense, et la main ramenée contre sa hanche, certainement pour saisir une arme en cas de danger. Elle songea à sa silhouette fluette et désordonnée, et à ses armes restées bien rangées au fond de son sac ; elle ne constituait en aucun cas une menace. Seulement, l'inconnu l'ignorait.

- C'est quoi, ton nom ? demanda-t-elle simplement pour apaiser la tension ambiante. Moi, c'est Aivy. Et je ne compte pas te sauter dessus, je prenais juste un bain.

Elle esquissa un pas en avant, alourdi par la présence de l'eau, et ses mains se tendirent vers le jeune homme.

- Je vais revenir sur la rive, d'accord ?

La rousse termina sa manœuvre et sortit de l'eau pour rejoindre son sac, en surveillant toujours l'inconnu du coin de l'œil. Sur ses gardes, elle se tenait prête à réagir au moindre geste, mais tenta de son mieux de feindre l'indifférence. Visiblement, sa présence n'avait pas mis le jeune homme à l'aise. Toujours du coin de l'œil, elle observa ses vêtements et sa posture. Il dégageait quelque chose de familier, qui la surprit frontalement : il dégageait quelque chose de Gil, mais en plus... Froid ? Terne ? Elle n'aurait su le dire.

Aivy n'avait pas encore osé capter son regard, aussi se résolut-elle à essayer de le faire en l'interpellant, sans toutefois baisser sa garde, prête à bondir sur son sac et récupérer ses lames au cas ou.

- Qu'est-ce que tu fais dans le coin ? Tu habites par ici ? Je ne crois pas t'avoir déjà vu.



[Et ben c'est parti !! ]

- C’est quoi, ton nom ?

Je cligne des yeux.

Hein ?

- Moi, c’est Aivy…

Sans bouger, je la regarde émerger lentement, mais sûrement. Elle est trempée et porte encore tous ses vêtements. Je ne suis pas spécialiste en la matière, m’enfin, il me semble quand même que pour prendre un bain digne de ce nom il faut bien se défaire de ses fripes… Cela dit, il semble que ses habits ont besoin d’une bonne reprise. Est-ce pour cela qu’elle s’est baignée avec ?

Comme de coutume, les pensées s'enchaînent à toute vitesse dans ma tête : j’entrevois un million de possibles alors que les questions se succèdent. J’ai toujours fonctionné ainsi. Je sais que ce n’est pas tout à fait pareil chez les autres, et cela m’est sincèrement égal : tant que je respire et que je suis heureux, le reste n’a que peu d’importance.

Je fronce légèrement les sourcils, concentré sur la personne en face de moi. Elle n’est pas bien grande, pourtant je devine, à sa manière de se tenir, qu’elle n’a pas peur de moi : elle se tient sur ses gardes. Eh bien ! On est deux…

- Qu’est-ce que tu fais dans le coin ? Tu habites par ici ? Je ne crois pas t’avoir déjà vu.

Quelle pipelette ! On dirait Tsukia, c’est à peine si elle reprend son souffle quand elle parle, c’est étourdissant, toutefois sa voix est agréable, vaguement chantante, et très douce. Depuis quelques temps, je m’aperçois que, si je ne suis pas doué pour comprendre les sentiments des gens, leur voix m’importe ; c’est comme une marque de fabrique, un signe d’identité concret sur lequel j’aime m’appuyer.

Je pivote pour ne pas la quitter des yeux tandis qu’elle se rapproche de ses affaires. A présent que le soleil est dans mon dos je la vois mieux. J’ai dit gracile ? Elle est tellement maigre que je me demande comment elle fait pour tenir debout ! Ses cheveux sont coupés courts et d’un roux que l’eau du lac a rendu plus foncé.

Le silence qui s’installe me rappelle qu’elle a posé des questions, et que par conséquent, c’est à moi de prendre la parole.

- Je cours. Non. Moi non plus.

J’ai répondu sans adopter de ton particulier - on m’a déjà dit que j’avais un timbre neutre, sans émotion particulière. Sans doute parce que j’en suis rarement la proie. Mon état naturel est l’observation, la curiosité, le calme, le silence. Je me tais et je regarde. J’apprends sans faire de bruit. Il arrive que je parle, généralement en guise de réponse ; mes plus longues conversations sont avec Kaünis, mais elle est maligne, elle sait attirer mon attention.

Ma mémoire est presque infaillible. L’ordre des questions de mon interlocutrice ne m’a pas échappé. Aurait-elle posé dix questions supplémentaires que j’aurais répondu sans faute à la moindre interrogation, et sans me tromper dans l’enchaînement. D’ailleurs j’enregistre tout : le son de sa voix, ses vêtements, ses cheveux mouillés, la ligne de sa silhouette… si je la croise à nouveau dans quinze ans, je la reconnaîtrai.

Aivy, a-t-elle précisé. Est-ce que je dois me présenter aussi ? Mes doigts se desserrent sur la poignée de mon glaive, et je me redresse imperceptiblement, sans pour autant me défaire de ma posture prudente. C’est curieux mais avec cette couleur de cheveux, cette spontanéité dans la façon de lier connaissance, elle me rappelle Asham.

Lui non plus, je ne l’ai pas oublié.

- Keilan, je lâche brusquement, avant de réaliser que c’est justement un peu trop abrupte. C’est mon nom.

Bon. Je vais reprendre ma course, puisque visiblement cette femme n’en veut pas à mes jours. Je trottine donc environ dix secondes avant de jeter un coup d’oeil par-dessus mon épaule.

Et sans savoir pourquoi, je m’arrête à nouveau. Oh non. Je connais cette hésitation ! Ce doute improbable qui m’assaille et m’empêche de faire un choix efficace ! Ma nature solitaire me pousse à poursuivre ma route, mais le garçon qui prend forme aux côtés de Kaünis est intrigué par cette Aivy toute mouillée.

Je reviens sur mes pas, conscient de commettre une erreur, et de l’assumer totalement.

- Tiens.

J’ai sorti un biscuit de ma poche et le lui tend. Devant son manque de réaction, je croque dans un coin de la gourmandise ; je sais ce que c’est de se méfier, je ne veux pas qu’elle s’imagine que j’essaie de l’empoisonner.

- Faut que tu manges, j’ajoute, persuadé qu’elle n’a pas dû avaler un repas copieux depuis des semaines, voire même des mois.

Je n’ai que ce pauvre biscuit sur moi alors elle devra s’en contenter.

Elle mange enfin et moi je fixe le sol sans bouger ; j’ai dû rater une étape, parce qu’elle vient de parler de m’assommer. De me “coller une raclée”, même. J’aurais balayé cette idée d’un haussement d’épaules si seulement elle n’avait pas eu l’air tellement sûre de cette hypothèse.

Ma curiosité s’accroît.

Immobile, je la regarde fouiller dans son sac. Je pensais qu’elle cherchait des vêtements secs, mais non, c’est un carnet à dessins qu’elle exhibe. Est-ce qu’il lui arrive de procéder logiquement ? Considérant qu’on peut se poser la question à mon sujet, je penche la tête sur le côté, sans cesser de l’observer ; elle n’est pas comme les autres.

J’ignore pourquoi, mais ça me rassure.

Je m’approche un peu. Entre ses mains les pages dansent, remplies d’esquisses. Je ne suis pas du tout un expert dans ce domaine, bien que l’envie de prendre un crayon m’ait déjà animée, pourtant je suis capable de juger ses dessins comme bons, voire même très bons. J’aurais voulu prendre le temps de les détailler mais les pages tournent, et tournent, et tournent encore.

Et Aivy parle, parle, parle encore.

- … est-ce que je peux te dessiner, Keilan du Lac Chen ?

Clignement de paupières. Je soupèse cette question dans ma tête. Me dessiner ? Pour quelle raison ? Je ne crois pas entrer dans la case “séduisant”, mais c’est un concept qui m’est trop abstrait pour que j’en sois certain. Atypique ? Plus probable. Le seul visage qu’elle a croisé depuis un certain temps ? Possible. Et puis au fond, je me dis que ce n’est pas la vraie question : est-ce que j’ai envie qu’elle me dessine ?

- Tsu.

Le murmure a brisé le silence à l’instant même où le visage de Tsukia est apparu sur une page du cahier. Aivy a su saisir l’insaisissable : on dirait que cette drôle de fille s’apprête à jaillir du carnet tant elle lui ressemble. Stupéfait, je m’accroupis et tends une main vers le dessin.

Je sens qu’Aivy m’observe, mais je suis trop occupé à dévisager Tsukia pour que ça me gêne. Ce dessin n’est pas seulement bon, il est excellent. C’est la première fois que je découvre un tel talent. Que donnerait mon propre visage, dans ce carnet empli de merveilles ? Détonnerait-il ? Une seule façon de le savoir.

- D’accord. Tu peux me dessiner.

Je fais l’effort de lever un peu le menton, et mon regard croise le sien, un bref instant, avant de retomber sur le portrait de Tsukia.

- Tu peux m’apprendre ?

Apprendre. C’est une soif qui ne se tarit jamais chez moi. J’ai sans cesse besoin de nourrir ma curiosité et mon envie d’essayer, de comprendre, de m’approprier mille savoirs. Dessiner ? Il y a des gens qui peuvent le faire sans crayon. C’est un objet qui me plaît pourtant, sans que je sache réellement pourquoi.

Moi aussi, je veux pouvoir capturer des visages avec autant de précision.

- Je la connais, j’ajoute en désignant le dessin.

Ce qu’il faut comprendre, dans cette remarque qui n’a rien d’extraordinaire en soi, c’est que quelque chose - non, quelqu’un - nous lie, Aivy et moi. Mine de rien, c’est un détail que je range soigneusement dans un coin de ma tête.

Les questions empressées de mon vis-à-vis me tirent un froncement de sourcils. En dépit de mon excellente mémoire, me souvenir d’événements précis, de dates est difficile puisque j’accorde une totale importance au présent. Je comprends toutefois que de ma réponse dépendra la suite, alors je m’oblige à réfléchir.

Tsukia.

Je ne saisis toujours pas ce que cette drôle de fille peut bien me trouver. C’est elle qui m’est tombée dessus la première fois, alors que je débutais dans la chasse à prime. Les souvenirs se dessinent. Je porte les mains à ma tête :

- Elle est obsédée par mes oreilles, je murmure.

Mais Tsukia est sans doute la seule et unique personne qui ait jamais pu me toucher sans déclencher de crise d’angoisse de ma part, et c’est pour ça, je crois, que nos rencontres, quoique peu nombreuses, se sont toujours bien déroulées. J’explique donc à Aivy que la première fois, j’ai vu Tsukia aux abords de la forêt de Barail.

Qu’après m’avoir aidé à faire la misère à un groupe de bandits de grands chemins, elle m’a enseigné deux, trois techniques de son crû. Qu’elle a partagé sa prime avec moi, sans raison ni requête. Je n’ai pas croisé énormément de gens dans ma vie qui m’aient tendu la main de cette façon : je peux les compter sur les doigts d’une seule main.

- Je l’ai revue il y a environ six mois, dans les collines de Taj.

Je plisse les yeux, non pas parce que je me concentre pour me remémorer cet épisode, mais parce que celui-ci détient peut-être la réponse que semble attendre Aivy.

- Elle était à la recherche d’un type… SangreLune. Giliwyn SangreLune.

Je me tais, laissant le nom faire son effet ; je sais désormais qu’il s’agit d’un maître du Domaine et qu’il a disparu du jour au lendemain sans laisser de traces ; je sais aussi que Tsukia, qui n’est pas une envoleuse, ne croyait pas à la mort de cet homme. La semaine dernière, je l’ai croisé dans un couloir de l’école. Il se murmure qu’il aurait perdu la raison mais je ne l’ai jamais trouvé franchement lucide, celui-là.

Je me dis toutefois que, s’il est revenu, c’est sans doute que Tsukia a réussi à le retrouver. A présent silencieux, j’observe Aivy du coin de l’oeil, peu certain que mes quelques réponses lui conviennent. Je ne peux malheureusement pas la renseigner davantage.

Fébrile sur ses jambes, Aivy ne répondait plus au monde qui s'ébranlait autour d'elle. Ses cheveux encore humides, ses vêtements collés contre sa peau et le soleil qui disparaissait lentement derrière l'horizon ne suscitaient pas le moindre intérêt chez elle. Seul comptait le regard de Keilan, un peu fuyant, dans lequel elle venait de voir briller une étincelle un peu étrange. Du... Doute ? De la gêne ? De l'intérêt ? Tsukia pouvait provoquer les trois sans aucun problème, et en une fraction de seconde.

- Elle est obsédée par mes oreilles.
- Tes o... Ha !

Un petit sourire s'empara des lèvres de la jeune femme, qui se surprit à rire.
Oui, c'était bien Tsu dont il parlait.
Et elle n'avait visiblement pas changé.

Pourtant, une éternité s'était glissée entre elles.

Aivy encaissa les informations, le coeur au bord des lèvres, attentive. Perchée près de Keilan, les mains toujours serrées contre son carnet, elle songea au pouvoir de ce dessin qu'elle avait griffonné une nuit sans sommeil, qui lui avait permis de retrouver son amie. Enfin, pas encore tout à fait... La dernière trace avait environ six mois. La jeune femme fronça les sourcils.

- Dans les collines du Taj, tu dis ? Qu'est-ce qu'elle fichait là-bas ?
- Elle était à la recherche d’un type… SangreLune. Giliwyn SangreLune.
- Face-de-lune ?!

Les souvenirs défilèrent en elle comme un torrent. Sa rencontre avec Gil, les combats qu'ils avaient menés avec Tsukia, et ces aventures teintées de la mémoire de Libertée, vécues à la recherche d'une trace d'elle au fond d'eux. La rousse tourna de nouveau son regard vers Keilan, qui ne semblait pas tout à fait comprendre la situation. Comment aurait-il pu ?

- Ce "type"... Est-ce que tu sais où il est ?

Inutile de lui demander s'il le connaissait : pour avoir retenu son nom, Keilan l'avait forcément croisé un jour ou l'autre.

- Ah, pardon, c'est un peu confus pour toi. Et pardon de t'assommer de questions, aussi. Si tu veux, on peut s'asseoir, le temps que je dessine...

La jeune femme retrouva le confort sommaire des bords du lac, et invita d'un signe de main sa nouvelle connaissance à faire de même. Sa posture n'était pas tout à fait détendue, et les interrogations d'Aivy l'avaient visiblement chamboulé, aussi décida-t-elle de le laisser tirer ses propres conclusions avant d'aller plus loin. Elle-même avait grandement besoin de se poser et de laisser ses mains divaguer sur le papier, le temps de comprendre exactement dans quelle situation elle venait de se mettre grâce au hasard.

Pourquoi Tsukia était-elle partie dans les collines du Taj ? Pourquoi était-elle à la recherche de Gil ? Avait-elle également laissé sa formation derrière elle ? Avait-elle cherché à devenir Envoleuse ? La jeune femme n'avait pas encore osé remettre un pied à l'Académie, effrayée à l'idée de tomber sur quelqu'un de connu ; plus la conversation avançait, plus elle sentait que, si elle voulait retrouver son amie, elle n'y couperait pas.

- Dis... Est-ce que quand tu l'as vue, elle était, par hasard... Accompagnée ? D'une femme avec de longs cheveux blonds, peut-être... Ou d'une autre, avec des cheveux bleus ?



[Je crois que j'ai pas la bonne couleur pour Kei ! ><']

“Face de lune” ? Je laisse mon interlocutrice se mettre à babiller à tort et à travers, soudain perdu. J’ai du mal à comprendre cette manie d’affubler les gens de surnoms de ce genre. Asham m’appelle Taciturne, ce qui ne me plaît ni ne me déplaît particulièrement. Pour Tsukia je suis “Peluche” ou bien “Keinouchet”.

Naya disait “Trésor”.

Je ne sais pas pourquoi le vert des yeux de l’homme que j’ai appris aimé - et que j’ai assassiné - s’impose soudain à moi mais c’est le cas, et comme souvent, c’est mauvais signe : je sens mon rythme cardiaque s’emballer. Je ne me sens pas bien. Aivy semble le remarquer car elle m’invite à m’asseoir ; je l’imite sans réfléchir.

Il faut que je me calme.

Je ne suis pas en danger, du moins pas immédiatement : cette fille est étrange mais elle ne me veut aucun mal, juste me dessiner. Elle est un peu brutale avec ses questions, c’est tout, et d’ailleurs elle s’est tue, alors je profite du silence ô combien rassurant pour reprendre mes esprits.

Tout va bien.

Je ne me trouve plus à bord de La Furie, et je n’ai absolument aucune raison de faire une crise de panique maintenant. Petit à petit, mes poings se desserrent, mes mâchoires se décrispent, mes muscles se détendent. Je sens l’étau libérer ma cage thoracique et l’air frais qui emplit mes poumons.

Je vais bien.

J’accueille la nouvelle question d’Aivy avec plus de lucidité et de tranquillité. Elle aussi semble s’être calmée : sa voix est plus douce, son ton moins pressant. Elle cherche des réponses qui ont l’air de compter pour elle. Mais…

- Non. C’était un homme… On aurait dit un maître, mais ce n’était pas tout à fait le cas. Elle l’a appelé Rybris.

Le silence, encore. Apaisant. Je respire doucement, le regard fixé sur mes doigts… et puis soudain je lève la tête, mû par une audace insoupçonnée - y compris par moi. Je regarde Aivy. Mes yeux frôlent seulement les siens mais c’est suffisant pour que je réalise sa déception, immense, et son désarroi, incompréhensible. Sauf que j’ai besoin de comprendre, moi.

C’est qui, pour toi ? Tsukia ? Il faut que tu m’aides à… comprendre.

J’ignore si je peux l’aider mais, si j’ai la chance de croiser Tsukia à nouveau - elle a le don de me tomber dessus à l’improviste - je saurais lui indiquer la bonne direction.

Si je comprends…


[Haha ^^ C'est firebrick la couleur de Keilan ]

Les mains posées sur son carnet, Aivy encaissa l'information en silence. Lorsqu'elle croisa le regard de Keilan, elle sut immédiatement qu'elle n'avait pas pu lui cacher son désarroi. Si Tsukia n'était pas avec Gil, Syndrell ou même Libertée, de qui pouvait-elle bien être accompagnée ? L'ancienne apprentie fronça les sourcils à l'évocation d'un nouveau nom. Rybris. Cela lui rappelait bien quelque chose, mais... Quoi ? Elle chercha un instant dans sa mémoire puis, dépitée de n'y trouver qu'une vague impression à la place d'éléments tangibles, abandonna. Recréer le lien entre les différentes étapes de sa frise chronologique personnelle lui avait pris du temps. Au fond du désespoir, elle n'avait plus souhaité s'accrocher aux souvenirs, ni à l'espoir du futur. La connexion entre les chapitres s'était silencieusement coupée, jusqu'à faire de son existence un brouillard permanent. Ce n'était que récemment qu'elle avait recommencé à retrouver du sens et de l'émotion dans sa mémoire ; il était inutile de la brusquer pour l'instant.

Les doigts postés autour du crayon, la jeune fille s'affaira silencieusement à capter l'essentiel des traits du visage de son vis-à-vis. Elle releva un instant la tête, avant de replonger dans son dessin. Le détail des yeux commençait à apparaître, et elle les trouva particulièrement expressifs une fois posés sur le papier. Les paroles de Keilan tournèrent en boucle dans son esprit, jusqu'à ce qu'elle finisse par s'attacher à un mot précis. Un qui se détachait des autres, parce qu'il portait une signification que seuls les membres de son monde pouvaient comprendre.

De leur monde ?

- Keilan...

La présence du jeune homme près du Lac Chen n'était probablement pas un hasard. Il avait appelé Rybris un "maître", mais pas tout à fait. Il connaissait donc la terminologie. Et comme "Rybris" n'était pas, aux dernières nouvelles, le nom d'un maître de l'Académie...

- Tu es un apprenti mercenaire, c'est ça ?

La question était plus rhétorique qu'autre chose. Aivy ne doutait que peu de la réponse, mais elle trouva plus pratique de demander confirmation. Dans le même temps, elle établit un nouveau contact visuel avec le jeune homme, dont elle venait de détailler le bas du visage sur son carnet, et accueillit sa propre question.

Un soupire franchit la porte de ses lèvres quand elle comprit ce dans quoi elle s'était embarquée en parlant de son amie. L'émotion revint frapper au fond de son coeur, comme un fantôme acide.
Elle posa son crayon.

- Tsukia, c'est...

Tsukia, c'était la fille qui avait bouleversé sa vie du jour au lendemain, et l'avait entraînée dans un millier d'aventures différentes. C'était les cours avec Lib, les heures à flâner dans l'Académie, les plans foireux dans les tavernes et les plages quand le soleil s'endort. C'était une tornade éblouissante, incapable de tenir en place et pleine d'idées à vous retourner le cerveau. Un million de ressources dans un petit corps de femme. L'insolence au bout des lèvres, et toujours un regard amusé sur le monde. Tsukia, c'était tout ce qu'Aivy n'était pas, et qui la complétait comme pour la protéger. Un amour inattendu, innocent, puis terriblement dangereux.

Un amour qui avait failli la tuer.

- Tsukia, c'est quelqu'un avec qui j'ai partagé énormément de choses. Que tu le croies ou non, j'ai pas toujours été dans cet état, ajouta-t-elle en désignant ses vêtements abimés, qui avaient pris le temps de sécher. Et quand je n'étais pas dans cet état, on voyageait beaucoup, elle et moi. Disons qu'on a été... Un peu plus que des amies pendant longtemps. Mais ça, c'était avant que je disparaisse.

Sa réponse était une porte ouverte pour dix autres questions, et elle le savait. Mais Keilan allait-il réellement prendre le temps de s'intéresser à elle ? Il n'avait pas l'air dangereux, et elle était à peu près certaine qu'il ne l'attaquerait pas sur un coup de folie. Son intention de l'aider semblait sincère ; pouvait-elle néanmoins lui faire confiance ?

Et puis, l'idée lui vint, et lui frappa l'esprit comme un éclair.

- Tu as dit qu'elle était partie chercher Face-de-Lune ? C'est un maître du Domaine, lui. Un vrai. Et si je veux trouver Tsu, il faut que je le trouve lui, d'abord. Donc, je pars à sa recherche.

La jeune femme se leva brusquement, son carnet toujours en main, et rattrapa au vol le crayon qui allait tomber à terre. Le dessin était pratiquement achevé ; ne manquaient que quelques détails d'ombrage, qu'elle aurait tout le temps de régler plus tard.

- Tu as quelque chose à faire, en ce moment ? Si tu es bien ce que je crois que tu es, tu pourrais m'aider bien plus que tu ne le penses...

- Keilan… tu es un apprenti mercenaire, c’est ça ?

Je ne réponds rien. Elle n’a pas répondu à ma question non plus, je ne pense pas lui manquer de respect ; en revanche, ses mots éclairent une hypothèse à laquelle je n’ai pas du tout songé en arrêtant ma course.

Et si… ?

- Tsukia, c’est…





Je n’aime pas me souvenir. Vivre dans le passé, ce n’est pas mon truc : je vis l’instant présent à fond, d’après Kaünis c’est ce qui me rend différent des autres, davantage même que mes crises d’angoisse. L’ironie du sort, c’est que ma mémoire est telle que j’ai un souvenir extrêmement précis des événements que je vis et des gens que je croise.

Celui qui me percute violemment n’est pas très récent. Cela ne faisait pas plus d’un mois que j’étais arrivé au Domaine. Teig m’avait pourtant déjà repéré. Nous nous trouvions dans le dortoir des apprentis, un soir d’hiver. Acculé contre un mur de la pièce, je faisais face à Teig et sa bande, les poings serrés, prêt à me défendre contre la brutalité gratuite de ces abrutis, lorsqu’un vacarme assourdissant avait retenti.

Tous les regards s’étaient tournés vers Ylios. C’était un garçon extrêmement doué : vif, intelligent, brillant, il avait battu des records lors de son Ahn-Ku et obtenu sa greffe. Il devait boucler sa formation dans deux semaines. Mais il s’était passé quelque chose…

- Je les hais, murmurait-il, des larmes dans les yeux mais ces derniers plus noirs que jamais. Je les hais !
- Du calme, Ylios, tenta quelqu’un. On est désolé pour ton maître, mais...

Le lit d’Ylios était en piteux état. Soit il avait utilisé sa greffe, soit les dégâts étaient le fruit de sa colère, peut-être un peu des deux ; jamais je n’avais été exposé à une telle rage meurtrière et pourtant, j’avais côtoyé les pirates les plus dangereux du Grand Océan.

- Je les hais, répéta Ylios. Je tuerai ces connards de marchombres jusqu’au dernier s’il le faut mais je vengerai Kenna !

Dès l’aube, nos cours furent plus exigeants que jamais. On fit du marchombre la cible de notre colère et la colère le terreau de notre réussite. Alimenter cette colère, c’était progresser, devenir plus fort, plus grand, plus puissant. Devenir un mercenaire du chaos.

Moi aussi, j’ai haï les marchombres.



“... dit qu’elle était partie chercher Face-de-Lune ? C’est un maître du Domaine, lui. Un vrai. Et si je veux trouver Tsu, il faut que je le trouve lui…”

La haine. Comme tout sentiment qui se respecte, je suis incapable de l’analyser. J’ai longtemps utilisé ses effets pour avancer sans savoir de quoi il retournait. Une boule de feu au creux du ventre, un formidable vecteur d’énergie, une direction précise… de simples jalons pour pouvoir me hisser plus haut sur l’échelle de la vie.

Aivy est une marchombre : “et si … ?” est devenu une certitude teinté d’absolu. Elle sait que je suis un apprenti mercenaire. Elle connaît l’existence du Domaine. Plus encore, elle connaît l’identité d’un de ses membres et compte le retrouver. A la lumière de ces éléments mes réflexes agissent, taillés dans la rudesse d’un entraînement particulièrement soutenu et difficile.

Un moteur : la haine.
Une cible : cette fille.
Une façon de résoudre la situation : la tuer.

Ici et maintenant.

Ma main remonte le long de ma cuisse, mes doigts filent vers la poignée de mon glaive…




- As-tu déjà entendu parler des marchombres, Keilan ?
- Oui.

Nouveau souvenir, plus violent encore que le premier. Plus intense, surtout. Incapable de le refouler, je le laisse couler comme une onde fraîche sur la peau brûlante de ma colère.

- Est-ce que tu m’aurais laissé tombé si tu avais su ? Pirate, mercenaire, solitaire… je suis ton négatif et pourtant, tu restes avec moi. Pourquoi ?
- Tu es un être humain avant tout, Keilan, une personne.

La voix de Darwen est chaude et rassurante.
Infiniment plus puissante que la haine.

- Les envoleurs et les marchombres sont ennemis, oui. Mais les marchombres n’ont pas pour but d’assassiner - ou de vouloir assassiner - tous les envoleurs qu’ils croisent… J’ai déjà croisé des mercenaires, je te l’ai dit. Certains ne correspondent pas tout à fait à l’idée générale que je me faisais d’eux. Est-ce que ça te vexe si je te dis que tu en fais partie ?

Certains envoleurs sont différents. Certains marchombres, aussi. Au fond, chaque rencontre n’est-elle pas unique ? Ylios aurait-il eu un discours différent si Kenna n’avait pas été tuée ? Ai-je commis une erreur en ne tuant pas Darwen cette nuit-là ?




… continue de remonter sans même effleurer l’arme sagement attachée contre mes reins. Mes doigts passent sous les mèches souples de ma queue de cheval et accrochent ma nuque. Je soupire.

- Je ne peux pas te faire entrer au Domaine. Je ne le veux pas non plus de toute façon. Mais je…

Rah, elle me regarde, elle n’a pas encore compris que ça me gêne ? Je détourne les yeux et plante mes ongles dans la peau tendre de mon cou.

- Je connais un endroit où tu pourras te renseigner à propos de ce SangreLune. Peut-être aussi de Tsukia.

Je lui jette un coup d’oeil, une fois certain qu’elle ne cherche plus mon regard. Je suis surpris d’accepter de l’aider mais je crois savoir pourquoi c’est le choix que j’ai fait : c’est sa façon de balayer les conséquences de mon identité, de solliciter ma personne en toute connaissance de cause.

Elle a fait cela sans même se justifier mais, à travers ce silence délibéré, j’ai l’impression d’entendre les mots que Darwen a prononcés.

Et je préfère l’écouter lui plutôt qu’Ylios.

- Retrouve-moi ce soir à l’entrée nord d’Al-Chen, près de la cour du tertre bleu.

Je plonge la main dans ma poche et laisse tomber sur ses genoux mon dernier biscuit.

- Mange encore un peu.

C’est sur ces mots que je me tire. Je ne lui ai pas laissé le temps de jauger ma proposition. De toute façon, si elle refuse, elle n’aura qu’à pas se pointer ce soir, voilà tout. Moi, il faut que je repasse par le Domaine.




Une pluie fine et froide tombe sur la ville. Le temps s’est couvert en fin de journée, alors que je quittais le Domaine avec empressement pour pouvoir honorer mon rendez-vous à temps ; j’ai fait le trajet avec Chaombre, un étalon sans propriétaire qui met à l’épreuve mes compétences d’équitation. Un miracle que je ne sois pas tombé en cours de route…

Et me voilà, debout à côté de mon cheval, la capuche de mon haut baissée sur le crâne pour me protéger de la pluie, mon éternelle écharpe enroulée autour de mon cou, en train d’attendre Aivy-la-drôle-de-petite-marchombre-toute-maigre.

Au Domaine, j’ai fait vite. D’abord, j’ai vérifié le tableau d’affichage des cours : pas de nouvelles de Kaünis. Je m’en doutais un peu. J’ai réussi à éviter Teig et sa bande en me fondant parmi un groupe de nouveaux, et j’ai pu ensuite apprendre que Giliwyn SangreLune était en vie, mais introuvable. Le dernier endroit où il avait été vu, c’est celui auquel j’ai pensé.

Reste à savoir si Aivy va me rejoindre, ou pas...

Face à ses questions, Keilan ne broncha pas. Il se contenta d'un silence qu'Aivy prit pour une approbation. Envoleur, hein ? Eh bien tant pis. Ou tant mieux, pourquoi pas. La jeune femme était peut-être bien tombée.

Le bras crispé de son vis-à-vis, prêt à saisir elle ne réussit pas à voir quoi, l'alerta néanmoins l'espace d'une seconde. Les battements de son coeur s'accélérèrent, et elle se tendit, prête à réagir au moindre mouvement d'attaque. Avait-elle dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Keilan avait-il compris pourquoi elle était spécifiquement dans le coin, et revu ses intentions ?

... Il ne fit rien, et l'ancienne apprentie retrouva immédiatement son calme en constatant que son bras avait retrouvé tout son flegme. Consciente du malaise qui venait de se glisser entre eux, elle fit le choix de ne rien dire, dans l'attente d'un signe d'apaisement. Elle ne chercha pas non plus à croiser son regard, désormais certaine que cela le mettait mal à l'aise - il avait tiqué plus d'une fois face à ses tentatives.

Enfin, il se décida à rompre le silence.

Il ne pouvait pas la faire entrer au domaine, hein ? Aivy haussa les épaules. Elle s'y était attendue ; elle n'avait pas anticipé qu'il ne le veuille pas, mais cela ne la froissa pas. Elle ne l'aurait pas non plus mené jusqu'à l'Académie. Le reste du discours du jeune homme, en revanche, était particulièrement intéressant, et alluma une vive lueur dans les yeux de la rousse.

- Et... Tu serais vraiment prêt à m'aider, alors ? Sans rien demander en échange ?

Le concept lui paraissait étrange, mais il était probable que Keilan soit encore en train de réfléchir à une compensation. Aivy n'eut pas le temps d'accepter le rendez-vous ; un morceau de biscuit lui tomba sur les genoux, et elle n'eut qu'à regarder sa nouvelle connaissance s'éloigner vers le soleil couchant.

Elle se saisit du biscuit, le fourra dans sa bouche, puis attrapa les affaires qui étaient restées dehors sur le bord du lac. Le tout fut jeté au fond de son sac en bandoulière, tandis qu'elle prenait la direction d'Al-Chen, bien décidée à trouver un endroit où flâner en attendant Keilan.






En sortant de l'auberge dans laquelle elle venait de boire un cidre de qualité plutôt correcte, Aivy s'aperçut que la pluie s'était abattue sur Al-Chen. Les gouttes n'étaient pas suffisamment agressives pour qu'elle ait à se plaindre de l'état de ses vêtements, mais elle ne put s'empêcher de penser qu'il lui faudrait bientôt acheter une autre cape de voyage. L'hiver n'était pas si loin.

Elle se faufila entre les passants d'un pas assuré, ayant déjà repéré le lieu du rendez-vous lors de son arrivée, quelques heures auparavant. La jeune femme trouva Keilan encapuchonné, debout près d'un cheval, dos à la cour dont il lui avait donné le nom en fin d'après-midi.

- Hey, le salua-t-elle d'un geste de la main. Et, euh... Merci, ajouta-t-elle. Je ne suis pas sûre de te l'avoir dit. Ta piste est par ici ?