Au milieu de nulle part, le silence [Eli]

Run, boy, run...

Les pieds se balançant dans le vide en un rythme régulier, Emrys regardait l'horizon du haut de l'arbre duquel il s'était perché. Il avait, sitôt son premier cours fini, fui l'Académie et sa multitude étouffante pour retrouver sa solitude, empruntant un cheval au passage.

Il baissa les yeux sur ce dernier, qui broutait tranquillement sans se préoccuper davantage de lui. Peut-être qu'un jour, il s'achèterait le sien, songea-t-il. Ses nombreuses missions comme mercenaire, et le peu d'argent qu'il dépensait, lui avait permis d'avoir de l'argent de côté, mais il hésitait toujours à acheter une bête. Il avait du mal à s'occuper de lui, alors d'un animal ? Qui serait le sien, qui plus est ?

Reportant son regard sur le paysage, il s'enfonça dans ses pensées. Errant sans but, il s'était retrouvé là un peu par hasard. Il n'avait pas eu envie de faire une mission de mercenaire – pas encore. C'était pourtant quelque chose à laquelle il était rodé, dont il avait l'habitude, mais il avait besoin de pouvoir réfléchir, et pas se confronter à d'autres personnes qui lui prendraient la tête, à parler pour ne rien dire.

Alors il s'était égaré un peu. A la lisière d'un petit bois, il avait fait un arrêt. Au loin, le soleil commençait à se coucher, et il envisageait de se préparer pour la nuit. L'idée de dormir au sol ne l'emballant que moyennement, tout comme d'être trop à la vue d'un éventuel passant, il allait probablement s'enfoncer davantage dans le bois pour dormir sur une branche.

Son sommeil de toute façon trop léger, il serait alerté par le moindre son. Cela empêcherait qu'on lui pique le canasson qu'il avait emprunté.

Soupir.

C'était essentiellement manger, le problème qui se posait à lui. Il sentait son organisme affaibli mais n'avait pas la force de manger la viande de siffleur qu'il avait emporté avec lui. Trop d'interrogations en tête, trop d'angoisse.

Parfois, lui venait l'envie de s'enfuir à cheval loin de la voie sur laquelle il s'était engagé presque à contrecœur. Pour faire quoi ensuite, ça, c'était encore une autre question...

Même maintenant, il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait faire. S'entraîner, peut-être... Il n'en avait pas l'envie. Une grimace tordit ses lèvres. Syndrell finirait par se rendre compte qu'il n’en valait pas la peine ; elle finirait par être déçue. Chercher un meilleur apprenti, quelqu'un de motivé.

Cela le blessait plus qu'il ne l'aurait pensé.

Il ne savait que penser de son premier cours, des marchombres et de leur voie, de son maître, des trois années l'attendant et de ce qu'il trouverait à la fin. Son manque d'espoir lui laissait un goût amer sur les lèvres.

Il porta la main à sa ceinture, récupérant son coupe-papier ouvragé qu'il finit tourner entre ses doigts, songeur. Ses mains se crispèrent convulsivement sur la poignée et la lame, et une exclamation lui échappa quand il sentit une brûlure dans sa paume.

Pestant à voix basse contre sa propre bêtise, il essuya la lame sur une feuille et la rangea à sa place. Quoi qu'il en soit, se décida-t-il, rester là jusqu'à que tombe la nuit ne l'aiderait en rien. Il se laissa tomber de l'arbre, amortissant sa chute en pliant légèrement les genoux. Le cheval renâcla, surpris, et il répondit par un claquement de langue, agacé. L'apprenti marchombre passa néanmoins une main distraite sur l'encolure de l'animal, avant de fouiller dans son sac de voyage pour trouver une bande de tissu qu'il enroula autour de sa main blessée.

Quel imbécile, se répéta-t-il. S'étirant longuement, il porta à nouveau le regard au loin. Personne en vue, mais quelque chose le dérangeait. Une présence ?

Il pouvait peut-être partir. Animal ou humain, il ne souhaitait guère de compagnie. Courir encore... Il passa une main lasse sur son visage. Il était trop fatigué pour cela. Les derniers jours avaient été trop intenses, trop prenant. Et compliqués.

Il s'allongea sur l'herbe verte, ferma les yeux pour profiter des derniers rayons de soleil., son manteau rouge se déployant autour de lui en corolle. Ses lames courbes, dans son dos, le gênaient quelque peu, mais il refusait de s’en défaire – sale habitude de mercenaire.

C'était bien, comme ça. Un peu de chaleur, l'odeur de la terre, le canasson qui restait discret. Un moment fugitif, hors du temps, avant qu'il ne replonge, ses mains entrelacées avec les brins d'herbe.

Juste une figure pâle encadrée de mèches noires et de tissu rouge, dans le vert d'une prairie.

Seul bémol, toujours cette impression de présence inconnue. Il souhaita silencieusement que celle-ci passe son chemin. Il était fatigué. Il n'avait pas envie de sortir les armes. Pas envie de repartir chercher un endroit plus calme.

Pas envie, tout simplement.

Obscurité.

Voilà qu'il replongeait.

Il ouvrit les yeux.

- Je sais que t'es là.

Ses mains se crispèrent sur l'herbe.

[Yeeees !! Enfin je réponds !! Bon c'est cours, mais je n'ai pas encore pris le temps d'apprivoiser Eli ]

Inspiration.

Expiration.

Les mains d'Emrys relâchèrent l'herbe et il se redressa légèrement. Il ne sentait pas vraiment d'intention belliqueuses mais préférait être prudent. La blessure dans sa paume le brûlait, aiguisant ses nerfs. La personne allait-elle répondre, ou passer son chemin, tout simplement ?

Effleurement.

Saisi de surprise, il entendit clairement une voix – dans sa tête. Il en resta immobile, à moitié redressé, pendant quelques instants, ne se formalisant même pas de l'intonation et des mots... prononcés ? C'était bien la première fois que quelqu'un lui parlait ainsi, via l'esprit, et il manqua en perdre pied.

Se ressaisit.

S'asseyant, il se tourna vers la présence. Une femme aux cheveux et aux yeux identiques aux siens, mais à la peau hâlée. Assez jeune, également. Petite et fine. Pas foncièrement dangereuse, à la regarder comme ça, mais son regard de mercenaire lisait autre chose, comme les muscles qui se dessinaient sous la peau.

Une fille qui parle avec l'esprit. N'était-ce pas quelque chose d'inhérent aux Dessinateurs, de ce que sa mémoire lui disait ? Serait-elle une Dessinatrice, alors ? Il ne saurait dire. Si tel est le cas, pourquoi lui parler par la pensée, cependant ? L'impossibilité de s'exprimer autrement.

Il cligna des yeux. Chercha à se souvenir de ce qu'il avait appris. Une fois le contact établi, n'importe qui pouvait s'exprimer par ce biais inhabituel, c'était bien cela ?

Il décida de tenter le coup. Tout à ses réflexions, ses pensées sombres avaient été chassées par sa curiosité. Que répondre cependant à la réponse cinglante ? Il se releva, passa une main dans ses cheveux ébouriffés. Il pouvait passer son chemin de son côté, rester seul, mais... la curiosité.

Je m'appelle Emrys. Qui es-tu ?

Bref, et peut-être un peu bancal. Il essayait de jouer à un vieux jeu auquel il avait perdu l'habitude et dont il ne se souvenait plus des règles : l'art de la discussion.


[court et pas fameux désolééé D:]

[Yup, désolée du retard Je reviens avec un peu d'animations par contre xD]

Animaux effarés par l'homme et restant sur leurs gardes, voilà ce l'impression qu'ils donnaient tous deux. Et comme deux êtres habitués à être des proies se reconnaissant, il y avait cette étincelle qui établit un lien ténu et éloigna l'idée simple de se détourner et aller chacun et chacune de son côté. Se jaugeant mutuellement, cherchant les marques de la cruauté humaine sur l'autre.

Il sentit la fille qui parlait avec l'esprit allait lui répondre quand quelque chose – plutôt quelqu'un – vint rompre leur échange silencieux et étrange. Il grimaça au bruit qui lui parvinrent. Ancien mercenaire, il avait déjà eu à faire avec des bandits, et son instinct lui soufflait que c'était ce qui se profilait à l'horizons. Une troupe de hors-la-loi face à une fille muette et un garçon maigre.

Pas la meilleure des situations. Il grimaça en voyant sortir des fourrés ce qu'il avait craint. C'était censé être un fichu coin tranquille, et voilà qu'il tombait sur une jeune femme puis des bandits. Ce serait quoi ensuite, l'Empereur lui-même ?

- Mais regardez moi ça, les amis, qu'avons-nous là ?! Deux jeunes tourtereaux !! »

Emrys serra les dents, ses doigts se détendant doucement, prêts à se saisir des deux armes courbes dans son dos. L'idée qu'il puisse être... en couple ? lui retournait l'estomac, d'autant plus suggérée par un être de cette espèce.

Il écarta fermement la pensée qu'il avait beaucoup de choses à régler avec lui-même et braqua toute son attention sur les bandits. Il avait de l'or sur lui, certes oui, mais pas la moindre intention d'en donner, surtout à des êtres aussi frustres. Il fit un pas en avant, presque nonchalant. La fille muette s'était retournée vers eux... avant de se faire attraper le poignet par un autre.

- En fait, gamin, tu vas aussi nous laisser la fille, pour le même prix.

Un crispement de révolte lui retourna l'estomac. Ce genre de regard, il le connaissait pour l'avoir essuyé lors de soirées mondaines, quand il avait commencé à grandir, se féminiser. Poupée de porcelaine blanche, aux lèvres et la robe rouge, beaucoup de nobles rêvaient de mettre la main sur un tel bijoux, l'avait prévenu sa mère – en l'avertissant de ne jamais, jamais se retrouver seul avec l'un d'entre eux. Au cas où.

Le pire de l'humanité se trouvait aussi bien dans les hautes sphères que chez le brigand de moindre envergure.

Il s'apprêtait à sortir ses épées quand la fille muette réagit. Explosion de puissance qui le laissa brièvement ébahi. Elle était rapide, plus rapide que ce qu'il lui aurait donné au premier abord, et violente.

II capta le regard de la fille, et dégaina vivement ses lames, s'élançant pour la rejoindre. Il n'était pas lâche, et n'allait pas la laisser se battre seule. Tout en souplesse, il passa sous la garde d'un des bandits et son acier chanta, avant de ressortir rougi.

Ni l'une ni l'autre ne faisaient dans la finesse.

Emrys se mit en garde, se préparant à affronter un autre homme ; soigneusement campé sur ses pieds, son corps frêle tendu comme pour un envol prochain, et ses doubles lames à tuer sans l'ombre d'un remord.

Il était prêt aussi.

S'élança pour égorger vivement un autre des hors-la-loi, et revenir à sa garde.

[Désoléeee pour le temps de réponse, je commence tout juste à mieux cerner Eli... Et le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle est un peu "sauvage"   ]

Il s'agissait d'un massacre, tout simplement. Les hommes ne s'attendaient pas à avoir deux combattants expérimentés en face d'eux. Emrys faisait tournoyer ses deux lames avec art et sans pitié. La fille – il ne connaissait toujours pas son nom – se débrouillait aussi de son côté.

Il tourbillonna, usant de son agilité et de sa souplesse, trancha une gorge, transperça un abdomen, releva sa lame droite pour frôler un visage, se baissa pour éviter un coup...

Sa garde était parfaite, ses coups précis, les deux lames courbes tranchant l'air et la chair avec vivacité, se désintéressant totalement de la jeune femme qui combattait à ses côtés.

Les bandits avaient eu la malchance de tomber sur deux personnes qu'il ne fallait pas absolument pas déranger ; et ils n'auraient pas le temps de regretter.

Une fois tous les bandits morts, il reprit doucement son souffle. Une fois l'esprit clair, il essuya ses lames avec de l'herbe et les rangea dans son dos. Quelques tapotements pour se débarrasser de la poussière qui maculait ses vêtements et il se tourna vers la fille. Elle aussi avait l'air entière, bien qu'un peu décoiffée et, comme lui, les habits gorgés de sang.

Tu n’en as pas l’air comme ça, mais tu te débrouilles bien

Il haussa les épaules. Sa frêle stature avait tendance à tromper les gens, il en avait l'habitude – ses épées n'avaient pas un rôle de décoration et il s'entraînait régulièrement pour garder ses capacités intactes.

Tu as appris où à te battre comme ça ?

Il allait répliquer que ce n'était pas ses oignons, mais elle s'en désintéressa d'elle-même. Quelle lunatique. Comme s'il allait révéler avoir été entraîné par un maître d'armes au sein d'une famille noble ; et puis, il pouvait bien lui retourner la question, à la réponse qu'il soupçonnait cruelle.

Il la regarda encore. Yeux noirs, cheveux noirs, elle lui rappelait lui, s'il n’avait pas été ce qu'il était. Il aurait été une femme aux lèvres rouges, aux longs cheveux noirs et aux yeux abyssaux. Il se secoua, éloignant cette image, et rajusta son manteau rouge sur ses épaules.

Silence. Cela ne lui déplaisait pas. Toujours debout, il regardait avec la fille le jour toucher à sa fin, se colorant à sa guise. S'en détournant, il alla vers son cheval qui s'était éloigné durant le combat pour revenir ensuite – comme celui de la fille. Caressant doucement son encolure, il profita de la chaleur de son corps. Il commença doucement à le brosser, se perdant dans cette activité pour ne pas penser à autre chose.

Il laissa distraitement la fille ramasser du bois pour le feu, ne faisant geste pour l'aider. Elle n'avait rien demandé, après tout.

Sa tâche achevée, et sa monture conduite près d'un coin où brouter, il s'assit près du feu, tendant les mains pour en sentir la douce chaleur. Un frisson le parcourut. Il n'avait pas mangé depuis l'avant-veille, et avec le combat, son corps commençait à faiblir.

Il fut surpris de voir la fille lui tendre un sac plein de nourriture. Il le prit en la remerciant d'un signe de la tête et regarda ce qu'il contenait.

L'idée de manger révulsait son estomac mais il n'avait pas le choix s'il ne voulait pas s'effondrer.

Tu peux te servir, si tu veux… Je devrais en avoir assez pour le trajet qu’il me reste à parcourir.

Il piocha quelques fruits à coque et une galette et lui rendit le sac. Il aurait aimé sourire pour la remercier mais la fatigue pesait trop sur lui pour qu'il y parvint.

Merci... Je ne connais pas ton nom.

Mordant dans la galette de maïs, il commença à mâcher distraitement, jugulant les protestations de son estomac, et avala une bouchée. Il se sentait déjà mieux, si l'on exceptait les réactions de son corps.

Son regard se dirigea vers le charnier qu'ils avaient laissé. Il ne pourrait s'attarder ici pour la nuit ; le sang allait attirer tous les prédateurs du coin. Avant de repartir, il leur ferait probablement les poches, histoire de gratter quelques pièces d'or, et il partagerait avec la fille si elle le voulait.

Prenant une autre bouchée, il ferma les yeux, fatigué.


[pas terrible, désolé !]

Elle hausse un sourcil, puis dans un automatisme fort prégnant avec la fatigue, elle signe avec les mains.

"Je suis Elinaïwenn"

Avant de secouer la tête toute seule et de rectifier.

Tu peux m'appeler Eli...

Interdit, il la regarda d'abord signer avec les mains. Ne maîtrisant pas ce langage, Emrys ne le comprit pas. Il fut donc rassuré quand la voix résonna dans sa tête.

Tu peux m'appeler Eli...

D'accord, Eli.

Il laissa flotter quelques secondes, désigna les corps au loin.

Tu veux les fouiller avec moi ?

Haussement d'épaules.

J'en sais rien. Ce qu'ils ont sur eux. Tu fais bien ce que tu veux.

Froncement de sourcils.

Pourquoi tu veux faire une chose pareille ? On ne t'a pas appris à respecter les morts ?









[Toute cette attente pour ça, je suis désolée ]

Ricanement un brin amer.

On m'a appris bien des choses, mais pas à respecter des corps de pillards, non.



[pas de soucis !]

C'est pas de la pitié. C'est juste que...

Hausse les épaules toute seule.

J'ai vu trop de morts dans ma vie pour pas les respecter. C'est tout.

Emrys sentit le gouffre qui les séparait. Il ne pouvait la blâmer de respecter les morts, mais lui n'avait aucune raison de le faire. Il avait grandit ainsi. Lui, c'était les vivants qu'il avait trop vu. Alors, il haussa les épaules à son tour.

Tu fais bien ce que tu veux.

Lui tournant le dos, il s'avança vers les bandits pour leur faire les poches. Il trouva quelques pièces, des outils de crochetage, un poignard qu'il délaissa, un peu de nourriture. Empaquetant ses trouvailles dans son sac, il se retourna vers Eli.

Désolé. Mais pour moi, ces hommes ne méritaient pas le respect.

Il se souvenait du regard qu'ils avaient porté sur la jeune femme et frémit de dégoût. Non, il ne voyait aucune raison de respecter des êtres de cette espèce. Surtout quand il aurait pu être à la place d'Eli.

Cela lui faisait penser à quelques hommes qui venaient parfois au bordel. Sans s'approcher des bandits, il en avaient le comportement, la même brutalité, estimant qu'une poignée de pièces leur donnait tous les droits sur les corps qu'ils louaient. Plus d'une fois, il avait rêvé de leur passer un poignard au travers de la gorge.

Plus d'une fois, il les avait laissé assouvir leurs fantasmes.

Il se secoua pour chasser ces pensées.

Je ne sais plus où on en était avant qu'ils nous interrompent...