Groupe Geko - cours 2.0

*

*

*

*

*

Ce matin-là, Seth s’éveilla avec les premiers rayons du soleil. Il n’avait plus sommeil – surtout pas quand il s’apprêtait à reprendre la route en compagnie de Syndrell, son amie aux cheveux d’azur, pour retrouver son maître. Cela faisait de longs mois, à présent, que le Marchombre aux cheveux blancs avait dû s’absenter précipitamment. En y réfléchissant bien, cela n’avait sans doute pas été plus mal pour le garçon qui avait mis du temps à accepter la mort de sa mère. Aujourd’hui, il était plus que jamais prêt à reprendre sa formation, à continuer de filer sur la voie qu’il s’était choisie quelques années plus tôt. Le souvenir de Gil qui, tout comme Naïs, avait manqué de s’étouffer en apprenant la nouvelle le fit sourire distraitement.

Revoir sa famille avait fait du bien au jeune homme, indéniablement. Cependant, il s’inquiétait pour Erwan et, depuis sa dernière rencontre avec Syndrell, il se demandait si quelque-chose de grave ne lui était pas arrivé. Secouant tout seul la tête, Seth jeta son sac de voyage sur son épaule gauche et se glissa hors des murs de l’Académie. Il fit un bref crochet par les écuries pour retrouver Tornade : au rythme du trot régulier de sa fidèle jument, il ne mit pas longtemps avant d’arriver à Al-Chen. L’apprenti connaissait par cœur cette ville dans laquelle il avait passé pratiquement toute son enfance. L’une de ses tantes y vivait toujours et y tenait une auberge particulièrement réputée. D’ailleurs le garçon laissa sa monture dans les écuries attenantes de l’auberge d’Athénys.

La plus haute tour d’Al-Chen se trouvait à deux pas de l’Orchidée Sauvage. Seth n’eut même pas besoin de lever le nez pour savoir, au fond de lui, que son amie était déjà là-haut. Syndrell l’attendait déjà, c’était certain ! La douce chaleur du matin accompagna la majeure partie de son ascension : le soleil tapait pourtant déjà fort sur sa peau. Une peau mate où se dessinaient des muscles fins et déliés. Son entraînement commençait vraiment à payer, mais il fallait quand même reconnaître que l’apprenti avait quelques facilités. C’est donc sans grandes difficultés qu’il se hissait au sommet de la plus haute tour de la ville marchande. Il surplombait fièrement le rebord du toit et profitait d’un instant pour admirer la vie qui s’éveillait doucement en contrebas, mais surtout il laissa son regard se perdre sur la surface scintillante du lac Chen.

Une voix familière le fit se retourner : sans surprise, Syndrell était là. Le regard doré de Seth s’illumina littéralement.


- « On va manger aux Jardin de Chen ? Ma tante m’en a parlé il n’y a pas longtemps. Il paraît que c’est génial ! »

C’était tout naturellement que Seth papotait avec Syndrell, tout en descendant de son perchoir. On aurait presque dit qu’il avait fait cela toute sa vie. Tout en soignant ses gestes et prenant garde à la moindre de ses prises, le jeune homme se laissa happer par l’histoire de la joyeuse Marchombre aux cheveux bleus. Il fallait bien l’avouer, son amie avait un don pour raconter les histoires : elle y mettait tellement le ton qu’il avait l’impression de vivre lui-même la scène. Sa présence même avait fait énormément de bien à son moral, quelques semaines plus tôt. La bonne humeur de Syndrell était littéralement communicative, c’est pourquoi Seth était vraiment heureux de la retrouver.

Il n’eut même pas le temps de se rendre de compte de la fin de la descente que déjà ses pieds rencontrèrent les pavés réguliers de la rue. L’apprenti Marchombre suivit son maître provisoire dans le dédale des ruelles de la ville. Ils s’installèrent tous deux sur la terrasse du petit restaurant dont ils avaient parlé un peu plus tôt. Le garçon engloutit son repas avec un appétit féroce et lorsqu’il prit la peine de lever le nez de son assiette au milieu du festin, il remarqua le regard brillant d’une serveuse plutôt mignonne. Cela le laissa un poil gêné et, s’empourprant légèrement, il baissa le menton l’air tout penaud. La boutade de Syndrell lui relever brusquement la tête.

- « Hein ? » bredouilla-t-il, un peu perturbé « Quel chat ? » s’enquit-il avant de remarquer l’éclat d’amusement dans le regard de son amie « Hé, t’as fini de te fiche de moi ! » s’exclama-t-il alors, hilare.

Ce voyage s’annonçait particulièrement palpitant !

Syndrell répondit aux questions qui le taraudaient avant même qu’il ne les formule à voix haute. Depuis que Seth avait retrouvé la jeune femme au sommet de la plus haute tour d’Al-Chen, il se demandait inlassablement quelle serait leur destination pour retrouver son mentor. Même s’il savait le Marchombre aux cheveux blancs largement capable de défaire les ennemis les plus redoutables, le garçon s’inquiétait malgré tout pour son maître. Le mieux qu’il pouvait faire, au lieu de se ronger les sangs, c’était d’accompagner son amie et maître provisoire aux confins de l’empire pour le retrouver.

Perdu dans ses pensées, l’apprenti Marchombre ne fit pas nécessairement attention au trajet qui les mena jusqu’à un appartement envahi par les livres et les parchemins. Il n’était pas foncièrement grand mais était aménagé avec charme. Seth remarqua que la Marchombre aux cheveux bleus y semblait comme chez elle. Aussi, le garçon conclut-il qu’elle devait le partager avec un étrange colocataire. Etrange, du genre intello. N’osant rien toucher, l’apprenti s’autorisa simplement à prodiguer quelques caresses au félin malicieux qui se frottait contre ses jambes en ronronnant gaiement.

Lorsque Seth releva la tête, il eut à peine le temps d’attraper la sacoche que lui tendait Syndrell. La jeune femme dût remarquer son léger froncement de sourcils car elle précisa sa pensée presque aussitôt. Le regard brillant, le garçon hocha la tête avant de tourner les talons pour se diriger d’un pas tranquille vers la bibliothèque. En chemin, il fit rapidement l’inventaire de ce que contenait la sacoche : tous ces crochets et épingles seraient bien utiles pour venir à bout du coffre qui trônait effectivement entre deux imposants ouvrages sur l’histoire de l’Imagination.

Sortant ses outils de la sacoche, le jeune homme commença par jauger la difficulté de la serrure. Bon, elle n’était pas simple mais l’on ne pouvait pas dire non plus qu’elle était particulièrement complexe. La première fois qu’il avait dû crocheter une serrure, cela lui avait bien pris une bonne heure. Depuis, il avait eu un peu de temps pour s’exercer et gagner en dextérité. Soufflant légèrement, sans perdre sa concentration, Seth trouva assez rapidement le point central du mécanisme. Dès lors, le coffre s’ouvrit dans un clic satisfaisant quelques secondes plus tard. Les poings sur les hanches, l’apprenti Marchombre se retourna en arborant un large sourire. Fier de sa victoire, le garçon en oublia complètement le contenant du coffre. Jusqu’à ce que le chat bondisse souplement sur le coffre en question, faisant tout dégringoler au passage dans un fracas assourdissant.

Se baissant précipitamment pour tout ramasser, Seth remarqua alors la fine ceinture de cuir assortie de son poignard à la manufacture étonnante et, surtout, la superbe cape au tissu des plus légers. Alors qu’il se relevait, tout en se ceignant de sa nouvelle ceinture, le jeune homme adressa à la Marchombre aux cheveux bleus un regard empli de gratitude.

- « Syn… » bredouilla-t-il en cherchant ses mots « Merci » dit-il finalement, le plus simplement du monde.

Quelques minutes de silence s’égrainèrent avant que le garçon ne s’éclaircisse à nouveau la gorge.

- « Quand partons-nous ? » demanda-t-il avec entrain.

A l’affirmation enthousiaste de Syndrell, le sourire de Seth s’élargit. Certes, il fallut encore quelques bonnes minutes avant que le maître et l’apprenti ne quittent le bel appartement d’un même pas. Ensemble, ils remontèrent la rue principale d’Al-Chen à contre courant de la foule, jusqu’à arriver sur la plus belle place du marché de tout l’est de l’Empire. L’architecture des bâtiments y était raffinée à tel point que l’on aurait que la pierre avait été creusée dans la dentelle. Sans doute était-ce l’une des prouesses de jeunes Dessinateurs de renom qui étudiait dans la fameuse école de la ville.

Seth parvint à suivre son amie et maître d’adoption sans trop de difficultés. L’on pouvait même dire qu’il se mouvait dans la foule avec une certaine aisance. Pourtant, cela ne l’empêchait pas le moins du monde de rester attentif aux paroles de la Marchombre. Méditant sur ces mots, le jeune homme se fit la réflexion que son amie aux cheveux bleus avait une manière d’aborder les choses bien à elle, et complètement différente d’Erwan. Cependant, ils s’accordaient tout de même sans le savoir dans leur propos. Une lueur de nostalgie illumina brièvement le regard de l’apprenti Marchombre en pensant à l’homme aux cheveux blancs. Avant de secouer la tête, avec un regain de détermination. Oui, ils allaient le retrouver !


Cela ne faisait même pas une heure qu’ils avaient quitté la ville marchande, chevauchant à une allure raisonnable et régulière, que Syndrell lui imposa quelques manoeuvres en tous genres. Le garçon s’exécuta sans broncher, prenant même un réel plaisir à sentir les muscles puissants de Tornade répondre à ses sollicitations dans une harmonie pleine et entière entre le cavalier et sa monture. Et puis, il fallait bien l’avouer : rompu à de longs voyages depuis sa plus tendre enfance, Seth était depuis longtemps devenu un excellent cavalier, à l’aise en toutes situations.


Les deux comparses firent leur seule halte de la journée à la tombée de la nuit, après une course mémorable dans les hautes herbes, de longues discussions et quelques petits défis que Seth releva fièrement et avec brio.

Maître et apprenti avaient dressé le camp dans un vieux moulin abandonné. Leurs gestes étaient sûrs et précis, guidés par l’habitude. Leur duo fonctionnait relativement bien : ils se partageaient naturellement les tâches avec une efficacité indéniable et sans forcément ressentir le besoin de se coordonner en paroles inutiles.

Ils venaient de terminer de manger à la lueur du feu crépitant quand Syndrell tendit au jeune homme un bâton d’entraînement. Haussant un sourcil, Seth se leva souplement et entreprit de s’échauffer. Cela ne prit pas plus de quelques minutes et lorsqu’il vint se placer face à la Marchombre, le regard du garçon brillait d’une détermination sans faille. Il allait lui montrer de quoi il était capable, même s’il savait parfaitement qu’elle devait encore le surpasser largement. Le regard doré de Seth glissa sur la posture de son maître, de haut en bas puis de bas en haut. Il nota chaque petit détail dans un coin de sa tête. Parce que dans un combat il était important de ne pas trop s’attarder non plus en réflexion, l’apprenti bougea en premier.

Son style, si l’on pouvait en parler ainsi, s’était forgé de manière tout-à-fait instinctive auprès des guerriers qu’il avait côtoyé toute sa vie. Il empruntait à Atal un sang-froid incroyable, à Naïs quelques feintes improbables et pourtant redoutablement efficaces, à Gil la férocité d’un loup, à Nwëlla sa légèreté et sa rapidité, et à Juhen une pointe d’audace. Voilà ce qu’était Seth, et dans le coeur de l’action, il nota non sans fierté, qu’il parvenait tout de même à donner pas mal de fil à retordre à son amie. L’adrénaline pulsant dans ses veines, il appréciait réellement le moment.

Sans s’en rendre vraiment compte, Seth progressait considérablement. Chaque jour, il gagnait en précision, en rapidité et en efficacité. Ses muscles s’affinaient doucement à mesure qu’il prenait aussi en maturité. Le garçon appréciait l’enseignement de Syndrell : elle ne lui laissait absolument aucun répit, considérant une nouvelle occasion d’apprendre dans les moindres détours du long chemin qui les menaient sur les traces d’Erwan – son maître. Parfois, ses pensées s’envolaient vers le Marchombre et il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Enfin, jusqu’à ce que son mentor d’adoption lui ramène les pieds sur terre d’un coup de bâton bien senti.  

Elève attentif et curieux, le jeune homme prenait toujours soin d’appliquer au mieux les conseils de son amie. C’est cette capacité qui, combinée à leur routine d’entraînements, lui permit d’apprivoiser un tout nouveau pouvoir. C’était ce que Syndrell appelait la perception du temps. Au début, il avait pris cela pour un don, une sorte de magie qu’il ne maîtriserait jamais. En réalité, à force d’échanges martiaux, il comprit qu’il s’agissait surtout d’une question de rythme. Un peu comme une danse, en fait, mais où l’objectif était de prendre le dessus sur l’autre. Donc d’anticiper, prévoir, deviner le moindre mouvement, le moindre geste de son adversaire.

Bon, il lui faudrait certainement encore beaucoup de pratique pour maîtriser cette toute nouvelle capacité. Cela tombait parfaitement bien : après tout, leur long voyage vers Frontières de Glace ne faisait que commencer !

Au fur et à mesure que les deux comparses progressaient vers le nord, les paysages offraient un spectacle éblouissant de pureté. Bientôt, la neige accompagna chacun de leurs pas, mais cela ne semblait pas les déranger outre mesure. La journée était le plus souvent consacrée à affûter le physique de l’apprenti tandis que les longues soirées au coin d’un feu joyeusement crépitant étaient devenues un moment privilégié pour satisfaire l’appétit intellectuel de Seth. Le garçon percutait très vite et il ne tarissait jamais de questions.

Ce matin-là, l’air était tellement piquant qu’un nuage de condensation se formait à chaque fois qu’ils expiraient une goulée d’oxygène. Seth se frottait les mains l’une contre l’autre pour tenter de les réchauffer – malgré les mitaines qu’il portait, ses doigts restaient littéralement congelés – son maître d’adoption lui proposa un exercice de précision, d’adresse et de patience : le lancer de couteau. Opinant en silence, le jeune homme suivit Syndrell légèrement à l’écart de la piste recouverte par une fine couche de givre.

Non sans un haussement de sourcil amusé, observa la malicieuse petite Marchombre disposer une pomme sur un promontoire rocheux à quelques dizaines de mètres de là. Un creux se sourire se forma même sur sa joue. Il fallait bien avouer que son hilarité venait du fait que le fruit qui allait lui servir de cible avait été creusé d’un regard et d’un sourire absolument démoniaques. Secouant la tête tout seul, il fallu tout de même à Seth quelques longues secondes pour retrouver son calme et sa concentration. Son sérieux, tout simplement – même si avec Syndrell, le sérieux ne durait jamais bien longtemps, cédant souvent la place à quelques fou-rires mémorables !

Seth se positionna face à la cible, adoptant naturellement la posture la plus confortable pour ajuster son tir. Fermant les yeux quelques secondes, il jaugea brièvement la direction de la petite brise matinale. Elle était traîtresse et s’il s’était précipité, le souffle glacé de la brise nordique lui aurait certainement fait manquer son tir. Le soleil rasant rendait également difficile la perception de la distance, mais comme il le faisait souvent, l’apprenti se fia à son instinct. Tout se déroula alors rapidement. Le geste de Seth jaillit, calqué sur sa respiration.

Le couteau fendit l’air glacial, et…