Groupe Xamo - cours n°2

Quand Dil se réveilla, le soleil n'était pas encore levé.
Il remua doucement, sentait un poids contre sa hanche, et s'immobilisa brusquement. Tendant l'oreille, il entendit clairement une respiration profonde et endormie à côté de lui, et son nez lui dit que c'était bien une femme qui se trouvait là, dans un lit d'auberge avec lui.
Secouant doucement la tête pour ne pas réveiller la créature à son côté, Dil se dégagea avec beaucoup de délicatesse de son étreinte presque possessive, et s'habilla rapidement avant de poser trois pièces d'argent sur la table de nuit, et de s'enfuir avant que le soleil ne se lève.

Lorsqu'il fut à l'extérieur de l'auberge, il se souvint de sa soirée précédente, et se félicita d'être si noir : en effet, on ne pouvait pas deviner que sinon, il aurait rougi. Parce qu'il se souvenait d'avoir un chouilla trop bu, même si apparemment pas trop non plus sinon sa tête serait plus rebell que ça, et d'avoir fini dans le lit d'une inconnue, comme ça lui arrivait souvent avant.
Avantt quoi ? Avant d'arriver à l'Académie,en fait. Depuis qu'il avait débarqué dans le grand bâtiment à l'effigie des Marchombres ou du moins pour ces derniers en apprentissage, il n'avait découché qu'une seule fois lorsqu'il avait rencontré Ange, mais c'était dans sa nature. Il s'était attaché à elle, certes, mais au point de se considérer comme son petit ami ? Non, pas à ce point. Il avait tendance à essayer de ne s'attacher à personne, car tout le monde finissait par le décevoir, ou presque. Même si Ange semblait avoir accepté sans rechigner son alter ego reptilien, qu'est-ce qui lui disait qu'elle voulait plus – ou pas.

Haussant tout seul les épaules, le jeune homme prit la direction de l'Académie en courant, se dirigeant d'abord vers la sortie d'Al-Chen.
Quand il arriva dans le hall d'entrée du grand bâtiment, Dil vit que Syndrell avait laissé un petit mot sur le panneau d'affichage, et quand il le saisit, il cligna plusieurs fois des paupières pour réaliser qu'il avait bien fait de rentrer le matin-même, sinon il n'aurait jamais pu rejoindre son Maître au lieu et à la date : quelques minutes plus tard dans la cour.

Poussant un petit soupir, le jeune homme haussa les épaules et monta dans son dortoir pour récupérer des fringues propres, se changea rapidement, et redescendit dans la cour pour retrouver Syndrell.

Quand il passa l'accès à la cour, il se rendit compte qu'elle était déserte. Ce n'était pas habituel, car normalement il y a toujours au moins une dizaine d'apprentis dans cet endroit au centre du bâtiment. Fronçant les sourcils, l'apprenti se demanda s'il n'y avait pas un problème, avant que son regard ne tombe sur l'étoile bleue aumilieu, et un large sourire étira ses lèvres.

Il était heureux de voir Syndrell.
Cela signifiait qu'il allait continuer à grandir, évoluer, s'améliorer, devenir lui-même. Son sourire fit briller ses yeux clairs, et il s'avança vers la femme pour la saluer vivement.

- Prêt à repartir à l'aventure?

Repartir ? La dernière fois ils n'étaient pas allés loin, et du coup cela mit le doute au jeune homme, qui fronça légèrement les sourcils. Il ne put s'empêcher de répondre à la question par une autre question.

- Cette fois l'aventure sera plus loin que notre dernière rencontre, hein ? Se rendant compte que ce n'était peut-être pas très poli de demander ça comme ça, il baissa les yeux un instant, se mordant l'intérieur de la joue. Enfin, c'est pas que j'aime pas l'académie, c'est que j'ai tellement hâte de voyager ! Tout ce que je connais de Gwendalavir, c'est Al-Jeit alors bon… Je suis prêt à partir à l'aventure, comme un chevalier… mais pas trop à cheval d'accord ?

Il adressa un petit sourire d'excuse à son Maître, mais ce qui était sûr, c'était qu'il était enthousiaste ! Mais il devait bien avouer qu'il n'était pas du tout à l'aise avec les équidés. Déjà parce qu'il devait contrôler la faim de Croco qui ne pensait qu'à les bouffer, et ensuite parce que leur dos était beaucoup trop haut ! Heureusement, la Marchombre le savait car elle l'avait mis sur un cheval lors du dernier cours, mais ça ne s'était pas trop amélioré depuis pour lui, malgré ses efforts.

[ désolée pour tout ce retard ! J'ai pu me connecter sur le forum mais pas trop le temps de rp. ]


La réaction de Syndrell n'avait pas échapée à Dil, tout simplement parce qu'elle n'avait sans doute pas vraiment voulu la cacher. Mais en tout cas, il vit ses yeux pétiller de bonne humeur et se félicita de la faire rire : c'était déjà ça de pris ! Parce que bon, comme il l'avait mentionné, l'équitation n'était vraiment pas sa tasse de thé !
Il allait sourire à son tour un peu plus largement lorsque son Maître lui demanda de… seller un cheval ! Oh non, mais elle le faisait exprès hein ?

Sans doute pas totalement, car elle lui expliqua que la jument dont elle lui parlait était aussi douce et gentille que celle sur laquelle il avait fait ses premiers pas, mais qu'elle lui ressemblait sur certains points : elle était sans doute aussi aventureuse que lui !
Dil haussa les épaules, car il n'avait aucune idée de la manière dont on pouvait déterminer si un cheval était aventureux ou pas. A vrai dire, il était beaucoup plus réceptifs à tous les prédateurs plutôt qu'aux proies, et pour cause : elles finissaient bouffées.

Gardant cette pensée pour ui-même, il se contenta de hocher la tête doucement avant d'entrer dans les écuries pour trouver sa monture dans le dédale de boxes.
Il fit au mieux, essayant d'apprivoiser la bête élégante et tranquille dans son espace. Mais il n'était pas doué, c'était un fait, même si apparemment la jument avait l'habitude d'évoluer avec des débutants. Elle ne sursautait presque pas quand il faisait des gestes brusques, et alors qu'il paniquait soudain quand il ne savait plus quelle était l'étape suivante de la préparation.
Puis, c'était sans compter également sur les souvenirs qu'il avait de sa dernière chevauchée : certes lors du cours précédent il avait trotté avec Syndrell à ses côtés, mais quand il était monté derrière Ange et qu'elle avait poussé sa propre monture au galop, il s'était tout simplement évanouit. Bam, comme ça.

Alors bon, il avait encore des angoisses, et pas des moindres.
Cependant, il réussit à à peu près préparer Ptibuis, même si tout n'était pas parfait et que la marchombre réajusta un nombre incalculable de sangles et autres réglages hasardeux qu'il avait réalisé.

Dil avait déjà les mains moites à l'idée de se retrouver en selle, mais apparemment ce n'était pas pour tout de suite : en effet, Syndrell commença à marcher tranquillement à côté de son grand étalon noir, et il lui emboita le pas avec sans doute un peu trop d'enthousiasme.

Quand elle monta sur l'immense cheval noir, l'estomac de Dil fit un saut périlleux dans son ventre, et il sentit ses amydgales se contracter vivement sous l'effet de l'adrénaline mêlée à la peur.

- Course à pied ! [/b[

Le jeune homme ne put retenir un long soupir de soulagement et sentit ses épaules et son ventre se décontracter. Il ne capta du coup que la fin des paroles de la marchombre aux cheveux bleus.

[b]- Au fait ! J'ai envie d'aller fureter du côté d'Al-Vor, peut-être même d'aller jusqu'à l'océan en passant par les grandes plaines. Est-ce que l'aventure est assez tentante pour toi?

Pour toute réponse, Dil adressa un large sourire à Syndrell, dévoilant ses dents si blanches sous sa peau si noire. Son regard pétillait : Al-Vor ! De l'autre côté de l'Empire ou presque – parce que ce n'était pas aussi loin que Al-Poll d'après ce qu'il avait appris, mais il avait tendance à confondre les villes secondaires de l'Empire.
Un vent de bonheur vint carresser sa joue.




A vrai dire, il ne savait pas combien de temps il avait couru.
Parce que la sensation était géniale, il aimait tellement sentir l'air s'engouffrer sur les courbes de son corps et de son visage, glisser sur ses joues et dans ses cheveux courts, il le voyait même arriver en bourrasques dans sa bouche pour rejoindre ses poumons, s'emplissait de son oxygène... Courir le rendait heureux, calme et apaisé.
Enfin, au début.
Parce qu'il aimait courir, Dil avait une bonne endurance physique à la base, mais au bout d'un moment il sentit les premiers signes de fatigue de son corps. Sa sueur s'était faite un peu plus gluante, son cœur battait régulièrement mais un peu trop vite, et il la sensation sous ses pieds n'était plus aussi agréable. Bienôt, son souffle devint plus chaotique, et il dut lutter pour continuer à respirer régulièrement car ses poumons devenaient avides.

Syndrell arrêta le massacre juste avant qu'il ne lui demande de s'arrêter de lui-même, et il hocha la tête vigoureusement pour la remercier, préférant ne pas perdre une miette d'air et d'oxygène. Prenant des inspirations profondes et puissantes, il sentit ses poumons protester, toussa plusieurs fois. Il avait l'impression que ces derniers ne voulaient plus s'ouvrir complètement et s'emplir jusque dans leurs derniers recoins, et la sensation était aussi nouvelle que désagréable.

- Etire-toi sérieusement,  tu éviteras pas mal de courbatures. 

- D'accord.

Il prit donc soin d'étirer ses jambes longuement, veillant sur les chevaux en même temps alors que Syndrell disparaissait dans la forêt autour d'eux. Il ne savait pas quelle était cette forêt, à vrai dire, mais la luminosité manquante le suffoquait un peu. Il avait besoin de soleil et de chaleur comme d'oxygène et de viande.

Syndrell l'appela et il se dirigea au soin de sa voix pour finalement attérir dans une tout petite clairière où quelques cibles mouvantes balançaient au grès d'un vent presque imperceptible.

- Cibles semi-mobiles, pas évidentes à atteindre : je te conseille de commencer par celles qui sont plus proches de toi puis, lorsque tu auras pris le coup de main, de t’attaquer à celles du haut. 

Le jeune homme hocha la tête mais ne put s'empêcher d'avoir un visage surpris lorsque la marchombre lui donna trois poignards. Du lancer de poignard ? Sur cible mobile... Elle ne lui avait pas demandé s'il savait tirer au poignard, et la technique n'était pas du tout la même qu'au tir à l'arc.
Ceci dit, pour avoir tanné des peaux une grande partie de sa vie, Dil savait se servir efficacement d'un poignard. Et le lancer, car il s'amusait à le faire quand il n'avait plus de peaux à travailler. D'ailleurs cela mettait toujours en rogne ce bon vieux Pitiloy.

Chassant l'image du visage de son ancien employeur, Dil prit une grande inspiration.
Il soupesa chacun des trois poignards, et ils étaient tous parfaitement équilibrés. De l'excellent travail de forgeron ! Jongleant de sa main droite avec un premier, il finit par s'immobiliser et choisir la cible la plus proche pour faire son premier lancer.

Le poignard fila dans l'air, ripa sur la cible, mais cette dernière tourna légèrement à cause du vent et la lame se contenta de l'entailler sans s'y planter, se perdant dans les fourrés.
Cela n'allait pas être de la tarde.

Dil tira. Beaucoup de fois.
Il tenta plusieurs approches, de face, de profil, de trois quarts... Le mieux était le trois quarts, mais il ne parvenait pas à planter ses poignards à cause de l'élan qu'il leur donnait. Il se rendait compte qu'il ne fallait pas les faire tourner pour atteindre ce genre de cibles, mais il ne savait pas comment donner un tel effet à ses armes.

- Je crois savoir où est le problème, mais je n'arrive pas à le résoudre. J'ai l'impression que c'est parce que les poignards tournent qu'ils ne se plantent pas... Quand je m'amusais à lancer, j'essayais toujours de faire le plus de tours de poignards possibles, donc à donner le plus d'effets à ma lame. Mais du coup comment essayer d'annuler ces effets ? Je suis sur la bonne voie?

Il préférait poser la question.
Parce que s'il ne connaissait pas encore réellement Syndrell, il se rendait compte qu'il avait déjà confiance en elle. Normal, non ? Elle était son maître, elle était censé l'aider, lui apprendre. Et pour ça, il la remerciait chaque seconde – mais intérieurement.

Un sourire étira les lèvres de Dil lorsqu'il vit la lueur passer dans le regard de Syndrell. Elle semblait assez contente qu'il lui pose la question, ou plutôt des questions. En même temps, il avait beau être paresseux, il était curieux et puis il avait aussi envie de bien faire, en fait. Peut-être que c'était par flemme de chercher tout seul trop longtemps qu'il avait demandé… Non, c'était plutôt certain.
Mais la Marchombre ne s'en offusqua pas.

- Les rotations ne sont pas à exclure, mais elles dépendent à la fois du poids de ton arme et de la distance qu’il y a entre la cible et toi. Comme elles sont en hauteur, il te faut ajuster cette distance et modifier la position de ton poignet.

Les sourcils froncés, Dil pencha la tête sur le côté, pas certain de comprendre l'explication donnée. Mais comme un geste vaut mille mots, Syndrell l'aida à trouver la position dont elle parlait, et soudain la lumière se fit à tous les étages de son cerveau.
La suite lui permit de mieux appréhender et de mieux comprendre la mécanique du geste, qu'il n'aurait sans doute pas trouvé tout seul. Ou alors si, mais après des heures et des heures. Ouais, donc en fait, il se serait énervé, puis lassé, puis il aurait laissé tomber. Heureusement que la jeune feme l'aidait en fait !

- Le vent est joueur aujourd’hui ! Tu peux relever son défi… non. Tu dois le relever. Un marchombre a conscience des forces qui l’entourent et agissent sur son environnement. Tous les environnements. Toutes les forces. Il les perçoit, s’immerge en elle pour les renverser.

Le jeune homme pinça les lèvres avant de hocher la tête. Le vent jouait sur sa peau, et il ne put retenir un sourire car il adorait cette sensation.
Mais son regard ne lâcha pas Syndrell, qui s'était mise à tourbillonner dans la masse d'air mobile et aérienne. Son poignard fendit les courants pour découper un ruban, qui fit tomber une cible mobile, devenue immobile.

Toutes les autres balançaient encore au grès de la bise.
Prenant une inspiration, Dil ne put s'empêcher de lancer un regard éperdu d'admiration vers la Marchombre aux cheveux bleus. Wahou, c'était tout ce qui lui venait à l'esprit !

Se secouant, autant intérieurement qu'extérieurement, le jeune homme se redressa et roula des épaules pour se donner une contenance. Il devait donc montrer ce dont il était capable… ce qui n'était pas gagné, car il ne savait pas lui-même de quoi il était capable dans ce domaine-là.

D'abord commencer donc par la cible qui était devenue immobile, coincée entre une branche et le tronc de ce dernier. Inspirant lentement, le jeune homme ferma les yeux un instant pour se recentrer sur lui-même, avant de laisser ses deux billes claires s'ouvrir pour canaliser son attention sur la cible.
Le vent ne jouait pas avec cette première cible, et il se focalisa dessus.
Penser à la bonne position, au bon mouvement. Essayant de retrouver la sensation qu'il avait enregistrée lorsque Syndrell lui avait pris le poignet.
Il lui fallut plusieurs lancers pour la retrouver, mais une fois qu'il parvint à l'appliquer une fois, les trois autres tirs se fichèrent dans la cible calée.
Satisfait de ces derniers tirs, Dil se rengorgea et s'autorisa à porter son attention sur les cibles moins faciles à atteindre. Cette fois-ci, il devait prendre en compte le vent, et donc le balancement des cibles. Mais surtout, il devait les atteindre au milieu car sinon elles risquaient de tourner sur elles-mêmes.

Encore une fois, il ferma les yeux pour prendre une inspiration. Longue et profonde.
Puis, il ouvrit les paupières et laissa un étrange calme l'envahir. Comme si plus rien n'avait vraiment d'important mais tout pouvait l'atteindre. Un endroit, enfoui en lui-même, qui était un lieu de paix et de décisions cruciales.
Laissant le silence de cet espace qu'il visualisait parfaitement blanc et lumineux s'étendre en lui, il se redressa et fit son premier tir. Le poignet souple, aligné avec sa ligne de mire, les genoux détendus, il laissa la lame de son poignard briller dans un rayon de soleil avant de glisser le long de la cible, qui tourna à son passage sans que ce dernier ne s'y plante…

Combien de fois recommença-t-il ?
Il sentait qu'il était proche, si proche ! Mais c'était comme s'il manquait encore quelque chose, une infime impulsion, insignifiant élan qui changeait pourtant absolument tout.
Mais il se fatiguait. Ses épaules lui tiraient, le brûlaient. Son souffle était court ; sa nuque hypertendue, et de la sueur lui dégoulinait dans les sourcils et sur les yeux. Se mordant les lèvres, il essaya de se reconcentrer…

[Quelle boulette je suis ! J'étais persuadée d'avoir déjà répondu... Désolée, donc, pour cette longue attente ! ]



Déclic.

De là où elle se trouvait, accroupie sur le sol, une jambe tendue sur le côté et l’autre repliée sous elle, Syndrell, perçut très nettement cet instant précis où eut lieu l’infime changement.
Immense changement.

Et lorsque Dil lança son couteau, puis les suivants, elle ne suivit pas leur trajectoire des yeux, gardant son attention fixée sur le jeune homme, sur le mouvement de ses muscles qui roulaient sous sa peau sombre,  la concentration dessinée sur les traits de son visage, le souffle régulier qui entrouvrait ses lèvres. Elle ne suivit pas la trajectoire des lames, n’en eut pas besoin.
Elle savait qu’elles avaient trouvé leur cible.

Sans lâcher Dil des yeux, elle se redressa lentement. Il se heurtait à un nouvel obstacle mais cette fois-ci, aucun découragement n’affaissait ses épaules ni ne ternissait son regard. Déclic, encore, de celui qui apprend. Et qui comprend. Mouvement souple du bras qui se tend et se détend, de la main qui apprivoise, du corps qui accompagne…

Sans bruit, Syndrell vint se placer derrière son élève. L’effort avait fait naître de petites gouttes de sueur qui scintillaient au soleil en glissant sur sa peau chocolat, son intensité commençait à faire trembler ses muscles fatigués. La marchombre attendit qu’il arme son bras pour poser sur la sienne. Du bout de ses doigts, elle devina sa surprise et lorsqu’il tourna un regard interrogateur vers elle, elle lui répondit d’un clin d’œil lumineux.

Lentement, elle accompagna son geste, étirant les muscles de son bras et de son épaule ; son autre main posée entre ses omoplates cherchait à lui faire comprendre que tout partait de là, de cet endroit précis, de cet élan formidable imprimé par le corps humain. Ils ne lâchèrent pas le couteau mais amorcèrent le mouvement du poignet qui aurait permis son envol.
Recommencèrent.

- Tout est question d’équilibre, murmura-t-elle derrière lui. Trouve l’équilibre de ton arme. Trouve l’équilibre entre cette arme et ta main. Trouve l’équilibre entre ton bras et ton épaule. Entre tes jambes et le sol. Lorsque tu l’auras trouvé, tu arriveras à toucher ta cible.

Ce maître-mot si important aux yeux de Syndrell lui donna soudain une idée. Sans lâcher la main de Dil, elle pivota pour se retrouver face à lui : le couteau était toujours entre leurs doigts mêlés, lame tournée vers elle. Sans accélérer la cadence, gardant cette même lenteur qu’elle avait imprimé aux mouvements de l’apprenti, elle fit en sorte de bloquer la « menace » du poignard. Le fit passer entre ses doigts, le retourna, et attendit que Dil imite son geste.

- Equilibre, dit-elle d’un ton plus posé, celui qu’elle adoptait lorsqu’elle s’apprêtait à donner une consigne. Clé secrète du Marchombre.

Elle se déplaça pour bloquer de nouveau la lame et, cette fois-ci, déséquilibra Dil en imprimant une légère torsion à son bras. C’était des gestes doux, sans violence ni souffrance ; c’était une danse, une quête, un jeu, celui de l’équilibre et du déséquilibre.

- A toi, lança-t-elle en pointant le couteau dans sa direction. Evite la menace, trouve le moyen de me déséquilibrer. Sans chercher à aller vite : tes gestes doivent garder ce rythme lent, fluide et souple.

Le temps fila sans qu’elle s’en rende compte. Elle laissa Dil travailler en silence, s’obligeant à ne pas intervenir dans cet exercice du corps et de l’esprit ; ce qu’elle avait à lui dire, elle le lui communiquait d’une légère pression des doigts sur son bras, d’un regard malicieux ou bien d’un sourire radieux.

Puis, lorsque le soleil arriva à son zénith, prodiguant une obscurité moins épaisse sous les frondaisons d’Ombreuse, ainsi que des rais de lumière plus audacieux, Syndrell accéléra soudain la cadence. Progressivement, doucement mais sûrement, le rythme s’accrût, l’exercice se fit plus intense, l’affrontement plus évident. Leurs gestes continuaient de se compléter tandis que l’objectif restait le même : trouver l’équilibre, le sien et celui de son adversaire.

Petit à petit, la marchombre osa quelques feintes. Elle changea de côté, joua avec le centre de gravité de Dil, entra dans son cercle en se rapprochant de lui, s’éloigna lorsqu’il essayait de lui rendre la pareille, testa ses positions, sa résistance à l’effort, sourit devant sa détermination.
Cessa alors de prendre des gants.

Se débarrassa du poignard, devenu trop dangereux, d’un geste qui l’envoya se planter dans un tronc d’arbre, et bondit sur le jeune homme. L’exercice d’application s’était transformé en combat au corps à corps. Dil devait désormais lutter à la fois contre ses attaques et contre la fatigue.

- Allez ! cria-t-elle lorsqu’elle le sentit faiblir. Continue ! Encore !

Encore…